Trois jeunes marins de la Manche périssaient en mer il y a tout juste un an, à bord du chalutier le Breiz, au large du Calvados. Le naufrage a eu lieu en plein remorquage par la SNSM. Le rapport d'enquête du BEA Mer donne les premières réponses sur les causes de ce drame.
Ce n'est pas un rapport à charge, ni une décision de justice mais un rapport d'investigation du Bureau d'Enquêtes sur les évènements de la mer ( BEA Mer), en date de janvier 2022. Ce document de 34 pages vient d'être rendu public et peut-être consulté intégralement sur internet. Les conditions météos, la charge du bateau et le manque d'expérience des trois personnes embarquées dont un patron sans diplôme pourraient expliquer la fin tragique des trois marins partis trop tôt, coincés dans leur bateau alors qu'il coule par l'arrière.
Le Chalutier Breiz s'est retrouvé en difficulté au large de la côte de Nacre la nuit du 14 janvier 2021, il y a tout juste un an. Remorqué par la SNSM dépêchée sur place, le bateau a sombré en une minute sans que personne ne puisse réagir parmi les sauveteurs en mer. A bord, il y avait trois jeunes marins dont deux frères. Le plus jeune avait 19 ans. Tous étaient originaires de la Manche : St Vaast la Hougue et Cherbourg.
Jeunes et inexpérimentés
L'un des premiers points concerne l'histoire de ce bateau qui venait d'être acheté par le plus âgé des trois marins (27 ans), il est ce jour-là patron de son bateau mais n'a pas encore tous les diplômes requis alors qu'il est d'une famille de pêcheurs et qu'il a navigué pendant cinq ans.
"Pendant plusieurs mois, il a été à la recherche d’un navire à acheter afin de se mettre à son compte. Alors qu’il avait une préférence pour un ligneur, il a finalement trouvé un coquillier en vente et se met d’accord avec son armateur : compromis de vente fin juin et signature mi-novembre 2020. Toutefois, la licence « coquille » attribuée au BREIZ reste au nom de l’armateur jusqu’à ce qu’il puisse l’obtenir. Il acquiert 49% du navire et l’armateur reste propriétaire à 51%. L’armateur prévoyait de céder définitivement ses 51% restants du navire lorsque le patron aurait pu obtenir une licence à son nom", raconte le rapport à propos du patron pêcheur.
Il patronne pour la première fois et n’a pas d’expérience de pêche à la coquille sur un navire de moins de 12 m. Titulaire d’un baccalauréat professionnel « conduite et gestion des entreprises maritimes », il devait suivre un module de formation pêche au mois de février
Rapport BEA janvier 2022
Quand il prend la mer en janvier 2021, à bord, "un équipage qui a quelques jours d'ancienneté". Il comprend donc "un patron débutant et pour l'assister, seul un des matelots possédait le titre professionnel pouvant lui permettre d'exercer sa fonction à bord".
L'équipage demande de l'assistance en fin d'après-midi pour une avarie de barre alors qu'il est à proximité de Port-en-Bessin, le jeudi 14 janvier 2021.
Il y a beaucoup de vent et il ne faut pas que le bateau dérive, l'aide des autres pêcheurs sur zone restera inutile. "Ca va être chaud pour le rentrer avec ce temps là", prévient un navire prêt à aider vers 19 heures. "La mer est méchante", ajoute la SNSM de Port-en-Bessin par téléphone.
Un remorquage vers Ouistreham est alors décidé par le CROSS. Le canot tout temps de la SNSM est prévenu vers 19H16 et arrive à hauteur du coquillard en difficulté moins de deux heures plus tard, mauvaise mer oblige. Les manœuvres pour la remorque peuvent commencer.
De l'eau dans le bateau jusqu'à chavirer
.A 21H22, ils repartent attachés l'un à l'autre après quelques difficultés. Une heure plus tard les marins du Breiz demande un arrêt car il y a trop d'eau dans leur chalutier. "L'eau ne s'évacue pas par le pont". Plus tôt dans la journée, les casiers de coquilles entassés ont déjà gêné l'équipage. Ils repartent vers Ouistreham à 7 noeuds.
"De nuit, le convoi fait cap à l’est à 7 noeuds. Après un peu plus d’une heure, arrivée dans le nord de Langrune-sur-Mer, la SNS 091 SAINTE ANNE DES FLOTS vient sur sa droite pour se diriger vers Ouistreham. Juste après ce changement de route, le BREIZ signale qu’il embarque des paquets de mer sur le pont, qu’il a de la gîte sur tribord et que sa lisse 8 est sous l’eau."
A 23 heures, le BREIZ prévient : «on embarque carrément de la flotte sur le tribord, on n’arrête pas d’avoir de la gîte ». « On est carrément par le travers et la lisse est sous l’eau ». Ils ralentissent et ça semble se calmer mais trente minutes plus tard, c'est le drame.
A 23H35, Le BREIZ demande en urgence au remorqueur de débrayer. Le patron du navire de pêche alerte qu’il est en train de chavirer. Le CROSS qui a entendu les appels tente de contacter le canot tous temps et le BREIZ.
Rapport du BEA Mer
Le bateau des marins pêcheurs vient de couler par l'arrière. Les 3 marins seront retrouvés le lendemain par les plongeurs dans l'épave : "Les corps des trois marins du BREIZ sont dans la timonerie. Le marin le plus jeune semble être le seul à avoir tenté de mettre un EPI contre la noyade."
L'eau sur le pont du bateau était une charge trop lourde. Le bateau a déjà été inondé plusieurs fois en attendant devant Port-en-Bessin. Le navire avait également probablement trop de coquilles à bord: la limite d'exploitation a été dépassée.
La SNSM allait-elle trop vite dans le remorquage ?
C'est l'une des critiques souvent formulée. "L’opération d’assistance a été effectuée par une équipe d’une station SNSM aguerrie car souvent sollicitée pour intervenir en mer : la station de Ouistreham a effectué 299 interventions depuis 2011 dont 130 avec remorquage. Le patron de la SNS 091 SAINTE ANNE DES FLOTS est expérimenté. Il est à la SNSM depuis 35 ans et est le patron « en titre » du canot tous temps depuis 13 ans", estiment les enquêteurs. La vitesse n'est pas excessive selon les experts et embarquer les marins à bord dans les conditions qui étaient les leurs n'est pas une obligation si ces derniers ne le demandent pas. D'autant souligne le rapport que le "remorqueur ignorait les conditions de charge dans lesquelles se trouvait le BREIZ et le peu d’expérience de l’équipage".
Le rapport d'enquête du BEA mer dont le but est de tirer des enseignements n'a pas de valeur pénale. L'enquête judiciaire est, elle, encore en cours