"Panier anti-inflation de la mer" à 10 euros, les clients mordent à l'hameçon

Une poissonnerie familiale propose 2,5 kilos de pêche du jour pour 10 euros. Ce "panier anti-inflation de la mer" prouve que l'on n'a pas besoin d'être gros, pour casser les prix. L'initiative devance le plan du gouvernement sur 50 produits, prévu en mars.

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Mars rouge. Ce n'est pas le nom d'un film de science-fiction, mais les prévisions du cabinet de la ministre déléguée au commerce. Les prix de l'alimentaire pourraient flamber, après la fin des négociations entre fournisseurs et distributeurs. Le gouvernement planche donc sur un panier anti-inflation, pour amortir le choc en mars, sur le porte-monnaie des ménages. En Normandie, la poissonnerie "Le Sextant", tenue par la famille Martin, à Meuvaines, dans le Calvados, l'a devancé avec une formule à 10 euros, qui remporte déjà un franc succès, quelques jours seulement après son lancement.

Il aura suffi d'une simple publication sur les réseaux sociaux (relayée ensuite par une page Facebook comptant un grand nombre d'abonnés) pour que l'initiative se propage comme une traînée de poudre. Ce mercredi matin, le téléphone n'arrête pas de sonner, dans la boutique. "On est une toute petite entreprise. On ne fait pas de bruit, dans notre coin, et on se retrouve avec des centaines d'appels, de SMS, de gens qui veulent commander", s'étonne Angélique Martin. On peut être petit et rivaliser avec les gros. C'est justement en s'inspirant de ces derniers que la jeune femme a eu l'idée de son panier. "J'emmenais ma fille à l'école et j'écoutais la radio. Ils parlaient des supermarchés qui aidaient les gens, avec des prix à moins d'un euro. Je me suis demandé ce qu'on pouvait proposer à notre échelle."  

Les "mal-aimés" du jour

Son mari, Alexandre, pêcheur, est tout de suite emballé par l'idée de sa compagne. "Il m'a dit qu'en plus, il y a beaucoup d'espèces méconnues, et qu'il suffit de les connaître pour les apprécier." Permettre au plus grand nombre de manger du poisson, mais aussi de découvrir ou redécouvrir certaines espèces, c'est la philosophie du panier à "10 euros pour tout le monde", lancé par la famille Martin. "À l'intérieur, il y a trois espèces différentes, qui permettent de faire trois repas, pour quatre personnes. Ça représente environs 2,5 kilos. Sachant que le poisson est vidé, on peut le cuisiner tel quel." Pour permettre à cette petite entreprise de rentrer dans ses frais et de proposer du frais, le contenu du panier est déterminé au tout dernier moment. "Les gens ne savent pas à l'avance ce qu'ils vont avoir. On se base sur les cours du poisson chaque matin à la criée. On choisit les "mal-aimés" du jour pour les proposer, le jour-même, aux clients."

Ce mercredi, après-midi, ils sont nombreux à se presser devant la camionnette de la poissonnerie pour récupérer leur panier. Angélique a fait le déplacement jusqu'à Caen pour assurer la livraison. " Avant, j'avais tendance à acheter du surgelé qui n'a pas du tout le même goût. C'est moins bon, on ne va pas se mentir. Si je peux avoir du frais pour 10 euros, évidemment que je vais revenir et je vais manger du poisson plus souvent. C'est quand même meilleur et ça fera moins mal au porte-monnaie", confie une mère de famille. "C'est cher le poisson, de plus en plus cher. Le kilo, c'est 23-24 euros. Là, pour 10 euros, on a tout de même deux kilos de poisson, j'économise au moins 20 euros. Ce n'est peut-être pas du poisson qu'on mange tous les jours, mais le tacot, c'est du très bon poisson", s'enthousiasme un retraité. Dans son panier-surprise, un étudiant découvre du maquereau, du merlan et de la daurade. "J'ai vu l'annonce sur les réseaux sociaux", raconte le jeune homme, "C'est attractif, ça permet de cuisiner, de bien manger, équilibré. C'est un super projet. Et ça permet aussi de découvrir des poissons qu'on n'a pas l'habitude de déguster."

Un succès qui fait mal au cœur

Cette semaine, les commandes sont déjà closes. Mais "Le Sextant" a tenu à rassurer ses clients sur les réseaux sociaux : il est déjà possible de réserver son panier, pour la semaine prochaine. "Voir le sourire des gens, c'est la plus belle des récompenses", confie Angélique Martin. "Et on se dit en même temps que ça fait mal au cœur, de voir autant de personnes qui vivent chez nous, sur la côte, qui ne peuvent pas se payer du poisson. C'est presque honteux, en fait ! Nous, on est quatre à la maison. Je bataille pour que mes enfants mangent sainement des produits locaux. Si je peux aider des familles à faire la même chose, c'est super."

Face au succès de son opération, la petite poissonnerie familiale est aujourd'hui incapable de faire face à la demande. Alors, Angélique Martin lance un appel : "S'il y a des volontaires marins-pêcheurs qui veulent faire la même chose, qu'ils viennent nous aider à nourrir la Normandie !"

Tensions sur l'alimentaire

En janvier dernier, les prix de l'alimentaire ont augmenté de plus de 13 %, par rapport à janvier 2022 (13,2% selon l'INSEE). Et l'inflation pourrait connaître un coup d'accélérateur, à l'approche du printemps, à l'issue des négociations annuelles, entre distributeurs et fournisseurs, qui doivent s'achever fin février. En début d'année, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) annonçait que les prix mondiaux de l'alimentaire avaient atteint des niveaux records en 2022. Si les consommateurs français en ont ressenti l'effet sur leurs tickets de caisse, celui-ci a été notamment atténué par les opérations commerciales lancées par les distributeurs, qui ont également retardé l'application des hausses de prix négociés l'an dernier, et la répercussion de l'augmentation de leurs propres charges (énergie par exemple). 

Depuis le 1er décembre, distributeur et fournisseurs sont réunis autour de la table pour négocier les tarifs 2023. Le très médiatique Michel-Edouard Leclerc affirmait récemment sur son blog "la plupart des demandes (des industriels) sont entre 10 et 30% d'augmentation." Côté agriculteurs, la patronne de la FNSEA, Christiane Lambert, annonçait peu avant Noël, au micro de nos confrères de FranceInfo, que les prix alimentaires resteront "élevés", en 2023. La présidente du syndicat agricole rappelait que la guerre en Ukraine, et la crise énergétique, ont fait augmenter de "135% les prix des engrais azotés" et de "50% l'énergie". Sur son site internet, l'association 60 millions de consommateurs estime que l'inflation des produits de grande consommation "devrait probablement atteindre un pic à 15% en juin". Selon ces projections, les Français devraient débourser pour leurs courses 790 euros de plus cette année, qu'en 2021.

Un panier encore flou

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement a entamé des discussions avec la grande distribution sur la mise en place d'un panier anti-inflation. Un dispositif similaire existe déjà dans certains territoires d'outre-mer où le transport des denrées alimentaires renchérit leur prix de vente par rapport à la métropole. La Grèce a, elle aussi, mis en place une telle mesure, à l'automne dernier. Les distributeurs se sont engagés à geler les prix de 51 produits de base.  En France, le panier anti-inflation que souhaite mettre en place le gouvernement au début du mois de mars comprendrait également une cinquantaine de produits, alimentaires et non alimentaires (hygiène-beauté). La liste devrait être dévoilée, dans les prochains jours. Pas question de gel des prix, comme en Grèce, mais de "prix attractifs", sur des articles librement choisis par les distributeurs, dans des catégories de produit (viande rouge, poisson, légume, pâte, mais aussi hygiène bucco-dentaire). Le dispositif serait en vigueur durant trois mois et reposerait sur le volontariat des enseignes de la grande distribution. 

Or, certains de ses acteurs ont déjà émis quelques réserves quant à la pertinence d'une telle mesure, estimant ne pas avoir attendu le gouvernement pour afficher des prix attractifs dans leurs rayons. Mais surtout, ils fustigent une proposition de loi du député Renaissance député (Renaissance) du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille, qui vise à rééquilibrer le rapport de force entre distributeurs et fournisseurs. En cas d'échecs des négociations commerciales, ce sont les prix des producteurs qui s'imposeraient à la distribution, le temps de parvenir à un accord (ou une rupture commerciale). Le texte, actuellement examiné au Sénat, a été quelque peu adouci par les sénateurs.

Mais ces derniers ont introduit une disposition qui, elle aussi, suscite une levée de boucliers, cette fois-ci chez les agriculteurs. La commission des Affaires économiques du Sénat a proposé de suspendre durant deux ans l'obligation des supermarchés de vendre les produits alimentaires au moins 10% plus cher que le prix auquel ils les ont achetés. Cette disposition de la loi Egalim 1 (2018) était censée protéger les revenus des agriculteurs. La FNSEA a mis en garde contre "des effets dramatiques pour l'ensemble de la filière".    

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