Cette nouvelle saison de la coquille en Normandie s'annonce une nouvelle fois prolifique. Problème : les professionnels font face à un manque de main d'œuvre pour assurer la commercialisation. Les décortiqueurs manquent cruellement à l'appel.
Sur l'étal de Bibie, le poissonnier, le produit star de la commune figure en bonne place. En Normandie, Port-en-Bessin c'est un peu la capitale de la coquille. La saison, débutée le 3 octobre dernier, s'annonce une nouvelle fois sous les meilleurs auspices. Plus de 60 000 tonnes du savoureux coquillage reposeraient au fond de la Manche. "Il y a davantage de coquilles au large et dans la baie de Seine que l'année dernière avec un bémol dans le gisement de Seine-Maritime qui lui est moins abondant que d'habitude", nous confiait récemment Dimitri Rogoff, le président du comité régional des pêches. De grosses quantités en perspectives donc. Pour une demande qui semble ne pas s'essoufler.
Ce vendredi matin, à Port-en-Bessin, Bibie n'a aucun mal à écouler sa coquille, pourtant associée aux repas de fêtes. De coquille, il faudrait plutôt parler de noix, dépourvues de leurs carapaces. "Maintenant, les gens ne veulent plus de coquilles entières, ou très rarement. Il y a une facilité, un gain de temps pour tout le monde. Il y a 25 ans, on épluchait très rarement les coquilles Saint-Jacques", se rappelle le poissonnier, "C'était principalement pour les personnes âgées qui avaient des petits problèmes de main. Tout le monde avait l'habitude d'éplucher ses Saint-Jacques. Maintenant, c'est l'inverse." Et la noix décortiquée représente aujourd'hui près de 95% des "coquilles" vendues aux clients.
"Un décortiquage, ça ne se fait pas comme une machine"
Le "sale boulot", c'est pour Eric Prigent. Un boulot pas si sale, puisque le décortiqueur l'exerce depuis six ans maintenant et défend ce qu'il considère être un "vrai" métier. "Avec un bon décrotiqueur, normalement, votre noix, une fois qu'elle est sortie, vous povez quasiment la manger tout de suite. Il suffit juste d'un coup d'eau pour éviter qu'il y ait du sable", explique le professionnel. "Une coquille, c'est un animal avec une anatomie. Il faut comprendre comment ça fonctionne. Un décortiquage, ça ne se fait pas comme une machine. Il faut être en capacité de voir tout de suite ce qui va ou ne va pas pour pouvoir adapter son geste." En clair, une coquille ne fait pas l'autre. En ce mois d'octobre, Eric décortique environs huit kilos par heure. "Pour un début de saison, c'est pas mal. au début, la coquille est plus petite, il y a moins de corail. en fin de saison, on monte tout de suite à 10-12 kilos."
Eric est l'un des 28 employés d'Estelle Leprevost, la patronne du mareyage Port Marée. L'entreprise familiale, créée il y a une quarnataine d'années, réalise environs 30% de son chiffre d'affaire sur la coquille. "Notre Saint-Jacques est un vrai succès, on l'expédie dans toute la France." Des Saint-Jacques vendues en coquilles entières mais aussi dans leur plus simple appareil. "Beaucoup de restaurateurs, de grossistes, surtout au mois de décembre", indique Estelle, "On a besoin de personnels à partir du mois de novembre et ce jusqu'à janvier. Avec les fêtes de fin d'année, on a une grosse demande."
Un savoir-faire qui se perd
Alors pas question de laisser Eric filer. "C'est une denrée rare. C'est compliqué de recruter des personnes pour décortiquer", explique la chef d'entreprise, qui confie devoir refuser des commandes dans certains cas, faute de bras suffisants. "On ne peut pas dire oui aux clients si on n'est pas sûr de pouvoir le faire. Faire les filets de poisson, décortiquer, emballer la coquille : il y a un moment, il faut faire un choix." Et ce problème de main d'eouvre existe depuis plusieurs années. "Les profils de décortiqueurs, ça devient introuvable", afffirme Bérangère Jardin, en charge du recrutement au mareyage Port-Marée, "J'avais contacté la semaine dernière le lycée maritime de Cherbourg et visiblement ce n'est pas une formation qui est assurée. Et pourtant, c'est un métier, il y a une technique pour décortiquer sans abimer la noix. C'est vraiment un savoir-faire qui se perd. Est-ce que c'est parce que le métier est dur ? C'est un travail qui nécessite d'être debout, dans le froid, l'humidité."
L'entreprise familiale est donc forcée de se tourner vers les agences d'intérim pour trouver la perle rare, un service qui a son prix. "C'est quasiment deux fois plus cher qu'un recrutement en direct", indique Bérangère Jardin, "Les marges ne sont plus les mêmes." Dans la région, le problème est suffisament pris au sérieux pour que Pôle emploi propose aujourd'hui 25 postes de décortiqueur à pourvoir avec formation.