La décision était attendue : sans surprise, les juges qui instruisent cette affaire tentaculaire abandonnent les poursuites contre les cinq anciens directeurs d'usine qui restaient mis en examen. "Vingt-trois ans d'instruction pour rien !" s'étrangle l'avocat des victimes. Me Ledoux va faire appel.
Depuis que le parquet avait requis l'abandon des poursuites, l'issue ne faisait plus guère de doute. L'ordonnance des magistrats est tombée ce jeudi 18 juillet : le justice estime "qu'il ne résulte pas de l'information charges suffisantes contre quinconque", en conséquence de quoi elle prononce un non-lieu général.
L'avocat qui défend l'ALDEVA, l'Association Locale de Défense des Victimes de l'Amiante de Condé-sur-Noireau est accablé. "Les magistrats s'appuient sur une lecture erronnée d'un rapport d'expertise, explique Me Michel Ledoux. Selon eux, dans mesure où il n'y a pas de date précise de contamination, on ne peut pas déterminer de responsabilité. Or en matière d'exposition à l'amiante, on ne peut par parler de date de contamination, mais de période d'exposition. Et il n'est pas si difficile de déterminer qui était responsable à une période donnée".
Un fiasco judiciaire
Depuis l'origine, la justice bute sur cet obstacle juridique que constitue "le lien de causalité". Lorsque les premières plaintes ont été déposée en 1996, des anciens salariés des usines Ferrodo-Valeo voulaient que justice soit rendue, afin "que ceux qui nous ont fait ça rendent des comptes". Mais qui est le responsable de la maladie d'un ouvrier qui a travaillé pendant trente-cinq ans dans une usine ?
Le grand procès de l'amiante tant espéré par les victimes pourrait donc ne jamais se tenir. "Nous allons faire appel", prévient Me Ledoux qui en fait une question de principe. "Si on extrapole, imaginons qu'une usine rejette une petite dose de poison chaque jour et qu'elle empoisonne les gens, on ne pourra plus poursuivre personne !".
Dans le bassin de Flers/Condé, l'amiante a déjà causé des centaines de décès. En France, les autorités sanitaires estimaient en 2012 que ce poison utilisé dans l'industrie jusqu'en 1997 pourrait provoquer 3.000 décès, chaque année d'ici à 2025.
Cette catastrophe sanitaire se double aujourd'hui d'un fiasco judiciaire. Après vingt-trois ans de vaine instruction, et sauf ultime rebondissement, l'affaire semble bien avoir été enterrée.