Quand on perd tout, il faut s'accrocher à quelque chose pour survivre. Ermir, petit garçon de Berdytchiv en Ukraine a fui la guerre avec ses parents deux jours après le début de l'invasion. Ils sont partis dans la précipitation en voiture, lui n'a pris avec lui que ses affaires de foot.
Ermir, 10 ans, est arrivé à Caen en voiture avec son papa, sa maman, sa mamie et sa petite sœur de 4 ans. La petite famille a fui l'Ukraine précipitamment un samedi matin. C'était le 26 février, deux jours après le début de la guerre. Leur exode (Roumanie, Autriche, Allemagne, France) s'est terminé à Caen, huit jours plus tard, après 2700 kilomètres la peur au ventre et la gorge serrée, à la recherche d'un abri sûr.
Derrière lui il a tout laissé, sa maison, sa chambre, ses jouets, son grand-père et son oncle devenus soldats et ses copains restés aux pays ou partis, eux aussi loin, très loin.
Sur le chemin, Ermir n'a pas lâché son petit sac à dos contenant ce qu'il avait de plus précieux : ses crampons flambant neufs, son short jaune et gris au maillot assorti, portant la marque Zeus, l'équipementier de son club à Berdytchiv, sa ville, sa vie d'avant.
"Il n'a voulu prendre que ça avec lui dans son sac à dos", nous raconte sa maman, avec le sourire bienveillant, la main sur la tête de sa petite tête d'ange.
"Ronaldo ! Messi OK mais je préfère Ronaldo ", nous assure Ermir en formant en cœur avec ses doigts comme le font tous les adolescents du monde, sur tik tok ou Instagram. Il y a des noms et des signes universels qui font qu'on se comprend, même quand on ne parle pas la même langue.
"Avec un ballon on se comprend"
"Quand il est arrivé il faisait des jongles toute la journée et on sentait qu'il se libérait d'un poids en tapant dans le ballon", raconte Nadège du foyer à Caen qui héberge depuis quelques jours une quinzaine de personnes arrivant d'Ukraine. "Mais je me suis vraiment dit qu'il fallait lui trouver un club quand il s'est mis dans un état pas possible en perdant son ballon qui a disparu derrière un mur."
Très vite Nadège appelle un joueur de l'Asptt-Caen qui la met en relation avec le responsable du Club. Et la solidarité a été immédiate.
Ermir a dix ans ? Très bien il y a un bon groupe dans cette catégorie d'âge. Il n'a pas de licence, pas de papiers ? Pas grave, "J'ai même pas réfléchi à ça, ni aux questions d'assurances", réagit Laurent Dufour, le directeur sportif du club caennais." Et il ne parle pas français ? "Avec un ballon on se comprend. C'est universel le foot. Tous les sports d'ailleurs. C'est ça qui est formidable.
Quand on m'a raconté qu'il a quitté l'Ukraine avec ses chaussures de foot dans son sac mon cœur s'est serré et j'ai tout de suite dit oui pour l'accueillir dans nos séances
Laurent Dufour, ASPTT Caen
Depuis quelques jours, Ermir est intégré aux séances deux fois par semaine. Son papa et sa maman l'accompagnent. Il y a même un deuxième enfant ukrainien qu'il a rencontré à l'école qui vient désormais avec lui.
Il ne pourra pas jouer de match, pour cela il lui faudrait une licence et c'est encore trop tôt pour ce genre de papier. La réalité administrative est lente.
Ermir sur la photo ci-dessous porte le maillot de la Juventus qui était le club de Ronaldo jusqu'à cet été.
"Si on peut lui redonner un peu de bonheur, c'est le principal", insiste le coach de l'Asptt Caen.
"Je communique avec mes copains d'Ukraine sur WhatsApp "
Il faut bien imaginer que la vie d'Ermir a basculé brutalement. Le 20 février dernier, il fêtait ses dix ans dans sa jolie maison de Berdyvitch avec tous ses proches. Un anniversaire grandiose de petits garçons qui vit dans une famille aux moyens confortables. Sa maman est infirmière en pédiatrie et son papa commerçant.
Il vit avec sa petite sœur Emilia, quatre ans, à Berdyvitch, une petite ville du centre de l'Ukraine, entre Kiev et la frontière avec la Moldavie.
A Noël, le 24 décembre, deux mois jour pour jour avant le début de la guerre avec la Russie, il regardait la télévision confortablement installé dans son salon, prêt à ouvrir ses cadeaux en famille.
Désormais, Ermir vit momentanément dans un appartement-foyer de Caen. Le confort est sommaire, sans télé ni canapé. Mais il a un toit. Et Ermir va à l'école . "J'adore les maths", nous explique t-il avec le traducteur du téléphone portable de sa maman.
Ermir, tout comme ses parents, parle ukrainien et russe, des langues à l'alphabet cyrillique différent du nôtre.
Il a donc beaucoup de choses à intégrer tout comme la centaine d'enfants, venus comme lui d'Ukraine, qui ont rejoint les écoles normandes ces derniers jours. Pourtant, à la sortie des classes Ermir a le sourire. Il retrouve peu à peu, une sorte de normalité dans son quotidien : le foot et l'école, c'est "sa vie". Tout du moins, il s'accroche à ça.
Ermir communique tous les jours avec ses petits camarades de classe et ses coéquipiers d'école de foot en Ukraine, grâce à internet et aux réseaux sociaux. Il saisit le téléphone de Marina et nous montre l'application WhatsApp.
Ses yeux bleu azur s'assombrissent quand il en parle et ses sourcils se froncent. On sent qu'une épée lui traverse le cœur. "Mais c'est de plus en plus difficile de les avoir, il y a de plus en plus de coupures de réseaux là-bas." Sa maman nous explique qu'un de ses petits camarades n'a pas donné de nouvelles depuis plusieurs jours et tout le monde sent que ce n'est pas normal. Il y a eu des bombardements dans leur ville la semaine dernière.