TEMOIGNAGE. "J'ai souvent la nausée et je fais beaucoup de cauchemars", cette journaliste a été séquestrée au Panama

La photojournaliste Isabelle Serro a été séquestrée au Panama avec son assistant. Elle était sur place pour réaliser un reportage avec le soutien du festival de la photographie d’Houlgate (Calvados) "Les femmes s’exposent". Encore sous le choc, elle nous livre son témoignage poignant.

Sa voix est tremblante par moments, avec quelques blancs dans la conversation : "J'ai la nausée souvent vous savez... Je fais beaucoup de cauchemars". Il faut dire qu'Isabelle Serro revient de l'enfer. Il y a une semaine, la photojournaliste était au Panama. Elle réalisait un reportage sur une des îles de l'archipel des San Blas. Avec son assistant, elle a été séquestrée : "C'était un guet-apens".

"Je n'ai jamais vu une telle violence"

Il y a quelques mois, Isabelle Serro a remporté une bourse climat. Dans le cadre du festival "Les femmes s'exposent", elle décide de faire un reportage sur la relocalisation des Kunas, une communauté autochtone qui vit dans cet archipel du Panama. Ils vont être les premiers habitants des Amériques à être déplacés à cause de la montée des eaux, victimes des conséquences du réchauffement climatique.

Pour raconter ce bouleversement historique, elle commence son reportage le 21 mars sur l'île de Gardi Sugdub. Quelques jours plus tard, elle se rend sur une autre île pour poursuivre son travail. Mais le vendredi 29 mars, dans la matinée, plusieurs hommes lui tombent dessus. Privés de liberté, d'eau et de nourriture, Isabelle Serro et son assistant ont été soumis à une demande de rançon. Leur embarcation ainsi que leur matériel leur ont été brutalement confisqués, les laissant à la merci de leurs ravisseurs :

J'ai déjà été dans des zones de conflits et je n'ai jamais vu une telle violence. Je ne veux pas rentrer dans les détails, je ne suis pas encore prête...

Isabelle Serro

Photojournaliste

Les ravisseurs lui laissent juste son téléphone pour qu'elle rassemble l'argent demandé : "J'ai donc écrit à Béatrice Tupin, la directrice du festival, je lui ai demandé de m'aider". 

Les autorités l'exfiltrent

À l'autre bout du monde, Béatrice Tupin reçoit ce message. Elle est sous le choc : "Quand elle m'a contacté, je me sentais perdue mais j'ai aussi vite compris que c'était très violent ! Je me suis dit qu'il fallait absolument que je la sorte de là avec son assistant", nous explique la créatrice et directrice du festival "Les femmes s'exposent".

Elle décide donc de contacter le service de la direction artistique du ministère de la Culture et le Quai d'Orsay : "C'était le long week-end de Pâques, les autorités ont été formidables, ils ont tout fait pour nous aider". L'ambassade de France au Panama et des autorités panaméennes se mobilisent. L'équipe a finalement pu être exfiltrée de la zone, vers 21h, par les forces de sécurité du SENAFRONT (service de police aux frontières) après de longues négociations sur place.

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À l'aube, ces mêmes forces militaires les ont escortés en dehors du territoire de la communauté Kunas, puis jusqu'à l'aéroport de la capitale du Panama, pour un retour sans délai vers la France. Les deux femmes restent en contact tout au long de ces moments.

Prendre la parole pour avertir les autres journalistes

Pour son travail, Isabelle Serro s'est rendue dans plusieurs zones difficiles et de conflits dans le monde. Elle a beaucoup travaillé avec des ONG ou Fondations. C'est une femme qui a toujours été préparée et rodée à ce type de terrain : "Je n'avais aucune crainte en y allant. Nous avions toutes les autorisations. Mais d'une île à l'autre, chacun à ses codes. Ils se sont servis de nous car nous étions vulnérables et une source d'argent. Pour moi, c'était clairement un piège". La journaliste prend la parole aujourd'hui car elle veut sensibiliser ses confrères sur les risques que comporte cette zone. Elle appelle à la plus grande vigilance.

Un reportage qui lui tient à cœur

Initialement, Isabelle Serro devait rester au Panama durant six semaines pour réaliser ce reportage : "Je voulais comprendre les Kunas, m'inspirer de leur culture, voir comment cette communauté vivait sur le territoire et comment ils vivaient leur déplacement avec la montée des eaux", explique cette dernière.

Ce déplacement de population est une première dans l'histoire des Amériques : "Avec les quelques photos que j'ai pu faire avant mon exfiltration, je vais mener à bien mon travail. J'ai à cœur de porter ce travail que j'ai réalisé. Ça reste un sujet historique... et je ne veux pas mélanger les deux".

Mais avant de se remettre au travail, Isabelle Serro va tenter de penser un peu à elle : "Je suis encadrée et suivie mais je ne lâcherai rien. Je veux donner vie à ce reportage et je veux surtout aller de l'avant". La journaliste se sent extrêmement reconnaissante envers la directrice du festival : "Béatrice a soulevé des montagnes pour nous. Elle ne nous a jamais lâchés. Sans elle, on ne serait jamais revenus". Elle a aussi une pensée pour son assistant : "Il a été remarquable, d'une patience là où un autre aurait pété un câble".

Malgré les obstacles rencontrés, ce reportage d'Isabelle Serro sera donc présenté lors du festival "Les femmes s’exposent" du 7 juin au 1er septembre 2024, à Houlgate, dans le Calvados.

Réaction de la communauté Kuna

De son côté, la communauté Kuna se défend, elle explique dans un communiqué officiel que : "la journaliste en question n'a jamais été séquestrée" et que cette dernière "aurait fait voler un drône sur une île où elle n'avait pas obtenu d'autorisation".

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