Disparu depuis cinquante ans, le thon rouge est de retour au large de la Normandie

Des thons rouges sont observés de plus en plus souvent au large de la Normandie. Ce mois d'octobre, des bancs entiers ont été aperçus par des marins. L'espèce, qui avait disparu des côtes normandes dans les années 1960, pourrait être en train de s'installer pour de bon dans la Manche en raison de l'augmentation de la température de la mer.

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En septembre 2019, la présence d'un thon rouge de 241 kilogrammes sur l'étal d'un poissonnier de Cherbourg (Manche) avait défrayé la chronique. L'animal, dont la seule tête pesait 45 kilos, avait été pêché au large du Cotentin. À l'époque, l'apparition d'un tel spécimen était perçue comme exceptionnelle sur le littoral normand.

Le thon rouge de l'Atlantique, poisson au sang chaud, a en effet disparu de la Manche et la Mer du Nord à la fin des années 1960. La chute drastique de sa population avait alors été mise sur le compte de la surpêche.

Mais les apparitions de ce poisson gris, dont le poids à l'âge adulte dépasse les 150 kilos, se font de plus en plus régulières sur les côtes de la Normandie, en témoigne l'échouage d'un spécimen en janvier dernier sur une plage de Quiberville (Seine-Maritime). Si bien que les pêcheurs et les scientifiques s'attendent maintenant à son retour.

Des bancs entiers sur le littoral

Depuis le début de 2024, les marins observent même des bancs entiers, laissant croire au retour d'une très large population. C'est ce qui arrivé à Guillaume Fourrier, guide de pêche de Dieppe (Seine-Maritime), lors d'une excursion dans la Manche ce mois d'octobre. "J'ai observé une chasse de thons rouge [lorsqu'un banc s'attaque à des proies, NDLR], avec des thons qui sautaient hors de l'eau. Il y en avait qui mesuraient 1,50 mètre. Là, je me suis dit : ils sont de retour, se rappelle le marin. Les deux années précédentes, quelques poissons isolés ont été observés ou capturés. Mais cette année 2024, il y a de grosses chasses qui laissent imaginer des milliers d'individus", avance-t-il.

Depuis, un autre pêcheur normand, Jean-Louis Perrin, a capturé ce même phénomène dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux le 15 octobre.

Forte valeur marchande

Et les pêcheurs manifestent leur intérêt pour le retour du poisson. Le thon rouge est en effet un produit de pêche à forte valeur, qui se vend à près de 40 euros le kilogramme. À titre de comparaison, le prix de la sardine tourne autour des trois euros par kilo. Mais les plus gros thons rouges sont acquis pour un prix bien supérieur, jusqu'à plusieurs milliers d'euros le kilo. En 2019, un spécimen d'exception avait été acquis par une chaîne de restaurants japonaise pour 2,7 millions d'euros, soit près de 9 700 euros le kilo – une exception sur le marché.

Outre la commercialisation de la viande, les guides de pêche de loisir font souvent face à des demandes spécifiques pour partir pêcher le thon rouge. "Je connais un groupe de pêcheurs parisien qui m'a dit : préviens-nous quand tu auras du thon rouge", confie Guillaume Fourrier.

Réchauffement de la mer

Depuis plusieurs années, les scientifiques se penchent sur le phénomène du retour de ce poisson. En 2019, une étude menée par le CNRS et l'Université de Lille expliquait sa disparition passée et son retour actuel par une oscillation naturelle de la température de l'Atlantique sur plusieurs décennies. L'océan gagne et perd quelques dixièmes de degré en température tous les soixante ans, ce qui influence les migrations du thon rouge, expliquent les scientifiques.

"Il y a un lien très net entre les périodes où le thon rouge réapparaît sur les côtes de la Manche et la Mer du Nord et l'oscillation de la température de l'Atlantique", enseigne Grégory Beaugrand, l'un des auteurs de l'étude, directeur de recherche en biologie du changement climatique au CNRS. "Au début des années 1960, l'océan est passé en période froide et les thons rouges ont disparu. Depuis les années 2010, on est entrée à nouveau en période chaude", explique-t-il.

"Évidemment, l'espèce est surexploitée", juge Grégory Beaugrand, mais sa disparition et sa réapparition pourraient ainsi être moins liées à la surpêche qu'à la volonté des thons rouges de vivre dans des eaux chaudes. Dans leurs périodes de disparition, les bancs de poisson se rendraient alors plus au sud, au large de l'Espagne et du Portugal.

Le réchauffement climatique pourrait altérer ce cycle de migration, anticipe le scientifique, en supprimant sa "phase froide" pendant laquelle les thons repartent au sud. Les spécimens pourraient alors s'installer pour de bon sur le littoral normand.

Espèce menacée

Malgré le retour en nombre des thons rouges, des associations de protection de l'environnement alertent, refusant que la réapparition de l'espèce dans le nord de l'Europe signe à nouveau le début de sa pêche intensive. La pêche du thon rouge est soumise au respect de quotas internationaux. En France, ils ont été abaissés en 2010, lorsque le poisson se faisait rare. L'ONG Greenpeace avait alors mené une campagne pour la réduction de ces quotas, dont elle entend sauvegarder l'héritage.

"Le stock n’est pas encore à l’équilibre et toute pression pour revoir les quotas à la hausse risquerait d’entraîner le retour des scénarios catastrophe", lançait Greenpeace en 2017. "Le risque serait de céder à la pression des industriels de la pêche qui demandent encore et toujours une hausse des quotas", ajoutait l'organisation.

Le thon rouge de l'Atlantique est placé sur la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

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