On en voit peu, encore moins en hiver, dans des eaux aussi froides : pourtant, ce dimanche 28 janvier, un thon rouge d'un mètre a été aperçu, échoué sur une plage de Seine-Maritime. Une rareté ? Pas tant que ça.
La présence d'un thon rouge échoué sur la plage de Quiberville (Seine-Maritime) peut surprendre. Le poisson d'environ un mètre et aux pinnules (petites nageoires) jaunes caractéristiques, était visible en fin de matinée sur la plage de Quiberville (Seine-Maritime), avant d'être à nouveau charrié vers le large.
Le thon rouge de retour dans la Manche
Le thon rouge de l'Atlantique avait disparu de la Manche et de la mer du Nord au début des années 1960, victime de surpêche. La faute à sa chair grasse très prisée.
Mais l'instauration de quotas de pêche (fixés à 36 000 tonnes mondiales en 2002, par exemple) a contribué à réintroduire l'espèce et à sensibiliser le grand public sur le sort de ce coursier au large.
Ainsi, le thon rouge est bel et bien de retour dans nos eaux depuis quelques années : selon l'Iccat (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique), le nombre de sujets serait même revenu à des "niveaux sains" !
"Le stock s'est reconstitué et il se porte particulièrement bien", confirme Dimitri Rogoff, président du Comité régional de pêche. "Aujourd'hui, c'est une espèce qui se promène dans tous les océans", précise-t-il, ajoutant que sa pêche est toujours "extrêmement réglementée".
Mais peut-on seulement imputer aux quotas de pêche la présence des thons rouges dans la Manche en plein mois de janvier ?
Des températures adoucies
La température de l'eau dans la Manche se situe en ce moment autour de 9°c, avec des maximales de 11°c pour la saison. Une température stable depuis 2014.
En revanche, les hivers sont plus doux : selon l'Observatoire national de la biodiversité, qui a pu comparer les températures collectées par Météo France entre 1961 et 2010, le nombre de jours de gel annuel a baissé de 2,5 jours par décennie.
Ainsi, on comptait en 1961 57 jours de gel en moyenne en France. Et 49 jours en 2010.
Ces températures plus douces (sachant que le thon rouge de l'Atlantique est doté d'un système de régulation thermique lui permettant de supporter des températures comprises entre 3 et 30°c) expliquent aisément sa présence dans la Manche en cette période hivernale.
La théorie de "l'oscillation atlantique multidécennale" privilégiée
Par ailleurs, selon une étude du CNRS et de l'université de Lille parue en 2019, la présence de ce poisson dans la Manche après 50 ans d'absence traduit davantage une nouvelle distribution géographique de l’espèce qu'un succès de l'instauration des quotas de pêche.
La disparition, puis le retour du thon rouge seraient liés à un phénomène climatique connu nommé "oscillation Atlantique multidécennale" (AMO), une variation des températures de surface dans l'Atlantique.
L'alternance de phases chaudes et froides sur de longues périodes (70 ans) affecte à la fois la météo, les courants et la distribution géographique de certains poissons... Dont les thons.
Les scientifiques ont examiné l’intensité des captures de thon rouge dans l’océan Atlantique Nord-Est au cours des derniers siècles et les changements de distribution spatiale de l’espèce. Les résultats sont sans équivoque : l’AMO module les fluctuations d’abondance du thon rouge et contrôle sa distribution géographique.
CNRS
"Lors d’une phase positive (chaude) de l’AMO, le thon rouge remonte jusqu’au Groenland, l’Islande et la Norvège à la recherche de nourriture ; il se fait alors plus rare dans les régions sud et centrale de l’Atlantique. Lors d’une phase négative (froide), le thon rouge explore davantage les zones tropicales", précise l'étude.
Depuis 1995, l’AMO est de nouveau dans une phase chaude de son cycle habituel. Ainsi, des bancs de thons rouges réapparaissent au large de la Grande-Bretagne, et sur nos côtes. Lorsque l'AMO entrera dans une phase froide, les thons rouges reprendront le chemin des zones tropicales.
Mais selon les scientifiques, le réchauffement climatique global devrait limiter les effets de cette phase négative. En combinaison avec une gestion plus durable de la pêche, les thons rouges pourraient ainsi perdurer dans la Manche... Pour longtemps.