Entre vote électronique et sincérité politique : les clés pour éviter l'abstention chez les jeunes

C'est la grande leçon de ce premier tour des élections départementales et régionales 2021 : les jeunes ont boudé le scrutin. Mais après tout, à l'heure du distanciel / présentiel, ne faut-il pas dépoussiérer notre manière de voter et de faire campagne ? Les politiques ont du pain sur la planche.

Ce dimanche 20 juin, premier tour des élections départementales et régionales 2021, huit jeunes sur dix en âge de voter n'ont pas donné leur voix. Cette abstention record dans toutes les catégories d'âge de la population française l'est encore plus entre 18 et 35 ans. Que s'est-il passé pour en arriver là ? Tout le monde s'interroge. 

Les médias avaient averti, la déroute était prévisible. "Entre difficultés personnelles, désintérêt, dégoût de la politique", titrait France Info  quelques jours avant le premier tour.

"Je ne me sens pas assez légitime" confie l'un des nombreux témoins de cette enquête. "Peu importe le candidat pour qui je vote, ça ne va pas changer les choses." Un désintérêt qui s'explique aussi dans un contexte économique difficile : "Dans mon entourage, personne ne va voter. On ne croit plus en ça. On cherche d'abord à travailler, à sortir de la galère", explique Melain, 23 ans. Certains avouent même, tout simplement, ne pas avoir de carte d'électeur chez eux.

"Pas étonnant", confie Laurence Dumont, députée PS de Caen depuis 1997 et ancienne conseillère Régionale.  "Les jeunes sont ceux qui ont le plus trinqué ces derniers temps. Ils ont perdu la foi parce qu'ils se disent qu'on ne fait rien pour eux, ou pas grand chose de concret." A travers ce "on", il faut bien entendre "les" politiques : hommes ou femmes, tout le monde est mis dans le même sac.

On voit bien qu'ils ont d'autres choses à penser. Ces derniers mois, je n'ai jamais reçu autant de demandes de stage de la part d'étudiants ou d'appels à l'aide pour trouver une entreprise. Et nous en campagne, quand on parle (par exemple) de gratuité dans les transports, c'est pour eux mais ils ne l'entendent même plus. Les politiques, les partis, les élus : on ne les intéresse plus.

Laurence Dumont, députée PS du Calvados

Les jeunes n'ont pas voté, ça ne veut pas dire qu'ils s'en moquent, bien au contraire. Sur les réseaux sociaux, les rares qui s'expriment à ce propos, nous rappellent qu'il faut éviter les raccourcis faciles : la crise est profonde et peut-être "générationnelle". La société va devoir ne pas se dédouaner mais chercher à comprendre pour avancer.

Tous les partis politiques sont en pleine remise en cause depuis ce 20 juin :  "87 % d'abstention chez les jeunes. Ce taux doit nous inspirer humilité et innovation", tweetent les Jeunes radicaux.

"Il est temps de renouveler la participation à l'heure du vote à distance, du numérique et de l'immédiateté", précisent -ils, en écho à leur génération et aux conversations entre copains de cette classe d'âge. On vote encore comme en 1945.

Il va être temps de se renouveler et pas seulement la classe politique : notre façon de faire doit être mise à la page et il faut avancer sur les questions de réforme du vote. Il faut dépoussiérer tout ça, se moderniser."

Correntin Goethals, maire délégué de Vire-Vaudry- dans le Calvados, élu à 27 ans.

 

Voter en distanciel ou présentiel et sur plusieurs jours

Le Covid et la crise sanitaire ont tout bouleversé : depuis près d'un an et demi, une partie des français travaillent à la maison, "en télétravail". Ce qui était impossible, voire inconcevable, pour bon nombre d'entreprises avant la pandémie, a basculé dans le possible en seulement quelques heures en mars 2020. Une révolution qui est en marche et qui ne va pas s'arrêter là. Ceux qui le croient se trompent. Il n'y pas de raison que la vie politique soit épargnée.

"On a changé notre manière de travailler, notre manière de voter, c'est pareil. Il faut dépoussiérer tout ça", analyse Corentin Goethals, maire de Vaudry, commune déléguée de Vire-Normandie. Le très jeune élu est entré dans la vie politique à 19 ans, en tant que conseiller municipal. Lui qui ne quitte pas sa montre connectée pour répondre à tous ses appels et mails en temps réel, reste persuadé qu'il faut évoluer pour être en phase avec la nouvelle génération : la sienne.

Des machines pour voter de manière électronique sont testées dans 60 mairies de France depuis 2008. C'était à l'époque une révolution. Douze ans plus tard, on n'a pas avancé. Le vote électronique était dans le programme présidentiel d'Emmanuel Macron, il n'a rien fait pour le mettre en place au cours de son mandat. 

Alors certes, il y a des "warning" qui s'allument quand on évoque ce changment. "On a peur du hacking. Quand je siégeais à la Cnil, les spécialistes nous disaient que les risques de détournement étaient trop forts", rappelle Laurence Dumont, députée PS. Elle qui a toujours travaillé avec un fil rouge, la citoyenneté, préfèrerait voir la durée du vote s'allonger.

"En Italie, ils ont testé depuis longtemps le vote sur deux jours, dimanche et lundi. C'est une bonne idée d'étaler le temps du scrutin. C'est juste de l'organisation. En soi ça ne peut pas suffire mais c'est intéressant à tester."

Laurence Dumont, députée PS

En effet, ce 20 juin était un jour de fête des pères en sortie de confinement, de quoi tenter beaucoup de jeunes à s'abstenir de voter. Les votants potentiels n'auront pas sacrifié un week-end en famille pour se soumettre à un devoir qu'ils ne placent pas au premier plan de leurs préoccupations. 

Allonger le vote sur trois ou quatre jours en utilisant les moyens du numérique et le vote électronique me paraît indispensable aujourd'hui. On paye bien nos impôts sur internet et de manière sécurisée. Je ne vois pas comment on ne peut pas se donner les moyens de voter pareil. On se met des barrières en cherchant du ultrasécurisé avant tout.

Corentin Goethals, 26 ans, maire d'une commune délégué de Vire-Normandie

 

C'est un débat de société qui est aussi un conflit entre générations mais il va être essentiel d'avancer sur ces questions dans les mois qui viennent pour donner un coup de jeune à notre manière de faire de la politique.

Sur les réseaux sociaux de nombreuses réactions ont été postées sur ce besoin de changement. "Cette organisation papier n'a plus aucun sens et aucune efficacité", se plaint un anonyme, témoin de son époque, sur Twitter.

 Des arguments écologiques sont aussi avancés par cette génération soucieuse des questions sur le climat. "Quand on voit tous ces bulletins de vote jetés à la poubelle en quelques heures dans les isoloirs, c'est plus de notre époque", constate Corentin Goethals. "Franchement ça fait pas envie."

L'Estonie est un exemple dans ce domaine : depuis 2014 le vote électronique est testé dans ce petit pays. Nos vieilles démocraties sont plus frileuses.

"Quand on les entend parler dans les débats c'est interminable"

"Il faut faire campagne sur les bons réseaux sociaux : une communication moderne et intelligente", assure un autre jeune élu normand. Tony Jouanneault est maire à 22 ans, élu en juin 2020.           

Quand j'entends nos politiques parler dans les débats c'est interminable. Ils savent que la durée moyenne d'attention c'est 11 minutes ? Un discours pour être bien compris et entendu doit faire moins de deux minutes. On est beaucoup à décrocher avant même qu'ils aient fini de parler. Vive les petites vidéos bien faites

Tony Jouennault, maire de Saint Maurice en Cotentin, à 22 ans

Ainsi, les élus les plus jeunes sont pour une présence de la campagne sur Tiktok, ou Instagram. "Il faut parler aux jeunes où ils sont. Les candidats aux régionales et aux départementales ont fait des efforts pour être sur Facebook ou Twitter, mais c'est déjà plus la même génération sur ces réseaux", constate Corentin Goethals.

Alors si beaucoup n'ont pas retenu que du positif dans le coup médiatique du président Macron, son idée d'inviter des youtubeurs à l'Elysée aura ouvert la voie. 

"Tout dépend de la manière dont on le fait et pourquoi. Mais pourquoi pas s'ouvrir à une autre façon de communiquer. Il va falloir de toute façon bouger les lignes et faire autrement", réagit Aristide Olivier, élu à la jeunesse et aux sports à la mairie de Caen, également candidat sur la liste d'Hervé Morin pour ces élections régionales. 

Etre plus transversal et revoir les programmes au lycée ?

"Un  citoyen plus vieux ne sait déjà pas vous dire quelles sont les compétences d'une région ou d'un département, alors les jeunes, ça ne peut pas être mieux", constatent d'une manière générale tous les élus questionnés. "Moi je suis vraiment pour que les élus entrent plus dans les salles de classe pour venir expliquer ce qu'ils font dans ces grandes collectivités locales. Combien de lycéens ne savent même pas que c'est la région qui finance leur matériel ? Et dans les cours d'éducation morale et civique, il faut insister sur la vie politique locale", affirme Corentin Goethals.

Etre transversal, c'est aussi monter des opérations qui investissent les jeunes dans la vie locale :"A Vire, on a associé un petit groupe à la construction d'un skate-park, par exemple." 

"Tous les ans j'associe des classes de ma circonscription au Parlement des enfants", explique Laurence Dumont. "Ils préparent une proposition de loi, vont à l'Assemblée Nationale, etc. Et c'est vrai que dans leurs propositions, on retrouve souvent l'idée d'ouvrir l'école vers l'extérieur. Alors pourquoi ne pas inciter plus les élus à venir les rencontrer, leur expliquer nos institutions."

On parle des politiques "hors sol", on pourrait s'interroger aussi sur le rôle de l'école, des collèges et des lycées. Des jeunes de 17 ans et demi qui auront le droit de vote dans quelques mois nous avouent n'avoir jamais vraiment entendu parler du rôle des régions et des départements dans leur cursus. "Le président de la République, le gouvernement, l'Assemblée, le Senat, les grandes institutions nationales sont bien expliquées depuis le primaire, le reste non. On ne sait rien là-dessus quand on passe le bac." 

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