Situation jugée incohérente et stratégie gouvernementale mal comprise, les étudiants ont bien du mal à garder le cap d'une nouvelle année cahotique. Entre désespoir et décrochage, ils témoignent de leurs difficultés.
"Le couvre feu à 18 heures ? ça ne va pas changer grand chose à mon quotidien..." se désole Susanne après avoir appris hier soir les nouvelles mesures gouvernementales mises en place pour lutter contre la propagation du coronavirus. Après tous ces mois déjà passés dans sa chambre, l'oeil rivé sur son ordinateur ou son téléphone portable, elle a un peu perdu son esprit de rebellion. Cette année ses parents ne cherchent même plus à la freiner dans ses activités numériques tant sa vie s'est réduite comme peau de chagrin. Ses journées, elle les passe souvent en pyjama, la capuche négligemment posée sur sa tête défaite, rempart artificiel contre ses pensées déprimées. Inscrite par choix et avec convictions en fac de sociologie sur le campus de Mont-Saint-Aigan, la jeune Susanne s'est passionnée pour cette première année d'études, et s'est rapidement liée avec d'autres étudiants de sa promo. Activités de groupe, excercices à plusieurs, la proximité des autres galvanisait son engagement. Les bonnes notes concrétisaient l'énergie qu'elle mettait alors dans son travail.
Et puis patatras, le distanciel a remplacé le présentiel...Il a fallu apprendre et comprendre le sens de ces mots nouveaux dont on leur rebattait les oreilles à longueur de journée. A l'université, les étudiants ont très vite compris qu'ils n'étaient pas tous logés à la même enseigne. Les écoles privées ont mis en place des procédures informatiques performantes, les prépas ou les BTS ont continué d'accueillir leurs élèves, alors que les étudiants des universités ont mesuré le peu de cas que l'on faisait d'eux, ainsi que le gouffre qui séparait certains professeurs des outils numériques. "Certains professeurs ne maîtrisent pas la visio, oublient de la réactiver, et on se retrouve avec des cours tronqués que l'on va passer des heures à récupérer et recopier ! Certains nous envoient les cours en streaming...On passe notre temps à s'adapter à des contraintes, c'est épuisant et désespérant" poursuit Susanne. "Sans compter qu'il est impossible de suivre correctement six heures de cours magistraux en visio dans une journée ! Vous décrochez obligatoirement. et vous devez rattrapper le cours !".
Vers un accueil progressif des étudiants
La jeune fille imaginait que la rentrée de janvier serait une ère nouvelle. Après les vacances de Noël elle a passé les 15 premiers jours de reprise sans avoir le moindre cours, ni en visio ni à la fac. Depuis le 4 janvier pourtant, les étudiants "nouvellement arrivés dans l'enseignement supérieur, les étudiants en situation de handicap, de précarité numérique, de décrochage et les étudiants internationaux" ont la possibilité de revenir sur les campus par petits groupes. A croire que les choses tardent à se mettre en place, Susanne ne connait personne qui a pu en bénéficier pour l'instant. Dans son allocution du 14 janvier, le premier ministre Jean Castex a précisé que les élèves de première année pourraient assister aux travaux dirigés par demi groupe à partir du 25 janvier. Susanne n'y croit plus. "On est 220 dans ma promo, un quart a déjà décroché que ce soit parce qu'ils se sont trompés d'orientation ou à cause du confinement. Depuis le début de l'année, nous n'avons pas eu un seul cours où nous n'étions pas un siège sur deux, au moins ! On a toujours respecté les gestes barrière et les distances. On aimerait bien des explications claires et qu'on arrête de nous balader parce que nous sommes soit disant capables d'être autonomes !". Susanne commence ce mois ci son second semestre, sans même savoir ce qu'il en est du premier. "Commencer un second semestre avec des nouvelles matières en visio... franchement je ne sais comment je vais tenir" se désespère la jeune femme de 19 ans.
Julien lui est en deuxième année de Staps, et ses cours magistraux sont aussi dispensés en viso conférence. Mais pas les cours de sports. "Je fais du judo quatre heures par semaine et bien sûr nous ne portons pas de masque. A la première prise, il ne resterait pas en place de toutes façons ! On vient de commencer le cross fit, je ne vois pas comment faire avec un masque non plus. On ne comprend pas toutes les mesures ...". Le jeune homme de 21 ans a déjà contracté le Covid il y a quelques mois, et se sent protégé par son immunité.
Chloé a décroché dès le début du mois de décembre. Elle avait choisi d'étudier les Langues Etrangères Appliquées à Nantes pour s'éloigner un peu de Rouen. Le deuxième confinement l'a ramené en Normandie, et depuis son retour son moral se détériore. Il y a 4 jours la jeune fille a fêté ses 20 ans, loin de ses amis. Toutes ces semaines d'inactivité ont réactivé sa dépression chronique. Elle ne se projette pas et n'a aucune idée de ce que l'avenir lui réserve.
Quant à Tom qui vient de redoubler sa première année d'école d'ingénieur à Rouen, son moral est en berne. Il sait que ces années d'études sont cruciales pour lui, d'autant que son cursus est payant. 10 000 euros l'année sur 5 ans...la pression est énorme pour lui qui culpabilise de ne pas être à la hauteur de l'engagement financier de ses parents. Mais ses difficultés de l'année dernière sont toujours là, et ses notes ont baissé depuis qu'il étudie en distanciel. Le jeune homme n'ose pas parler de ses difficultés à ses parents, et se renferme sur lui même.
Susanne, Julien, Chloé et Tom devront faire preuve d'un bonne dose de courage en attendant de retrouver leurs salles de classe, puis leurs amis dans un bar bondé pour enfin trinquer à leur belle jeunesse !