L'Inspection générale de la justice rend un rapport après l'évasion de Mohamed Amra le 14 mai 2024 au péage d'Incarville (Eure). Deux agents pénitentiaires avaient perdu la vie lors de la fusillade. Des failles dans la communication entre la justice, les enquêteurs et les services pénitentiaires sont pointées du doigt.
Le 14 mai 2024, au péage d'Incarville (Eure), Mohamed Amra s'évadait lors d'une attaque ultra-violente de son convoi pénitentiaire. Deux agents avaient été tués et trois autres blessés. Le ministre de la justice, Eric Dupont-Moretti, avait alors commandé un rapport pour déterminer les failles qui auraient pu conduire à ce drame.
Manque de communication entre les autorités judiciaires, pénitentiaires et les enquêteurs
Dans un rapport de 61 pages, qui revient d'abord sur le parcours pénitentiaire d'Amra, les auteurs détaillent les nombreuses infractions du trafiquant en cellule. Durant son incarcération à la prison de la santé à Paris, puis à Marseille et à Evreux, Mohamed Amra avait multiplié les comparutions devant la commission de discipline. Il avait également été sanctionné pour des menaces envers un surveillant. Le rapport indique également qu'Amra avait "mis un contrat sur la tête" d'un agent de l'administration pénitentiaire. Autant d'éléments qui mettent en lumière la dangerosité de ce détenu.
Dans son document, l'inspection générale de la justice note un fort cloisonnement entre l'ensemble des services et autorités ayant eu à connaître des activités illicites de Mohamed Amra.
La coordination concrète des différents acteurs relativement à la situation de Mohamed Amra a pâti d'un déficit de centralisation et d'analyse susceptible de révéler son réel profil, à tel point qu'il a été considéré par chaque autorité judiciaire comme un détenu ordinaire
Inspection générale de la justice
Interrogé par nos confrères de Franceinfo, Hervé Ségaud, secrétaire général adjoint de FO Justice, souligne que "des informations auraient dû, auraient pu, nous être données sans trahir le secret d'instruction". Au regard du dossier de Mohamed Amra, il ajoute que "le magistrat qui avait placé la cellule d'Amra sur écoute pendant plus de huit mois avait connaissance de faits extrêmement importants, qui auraient dû être portés à notre connaissance".
Des activités criminelles multiples
Mohamed Amra était visé au moment de son évasion par deux informations judiciaires pour tentative de meurtre et complicité de meurtre en bande organisée. Il est également soupçonné d'être impliqué dans cinq autres procédures indique le rapport. Sa cellule avait été placée sur écoute quand il était en détention à la prison de la Santé à Paris, ce qui avait permis aux enquêteurs de l'Office central de lutte contre le crime organisé de voir qu'il poursuivait "ses activités de trafic de produits stupéfiants en ayant recours de surcroît au vol, à l'enlèvement et à l'extorsion de ses concurrents".
Comment peut-on imaginer qu’aucune responsabilité ne puisse être engagée, même si celle-ci a pour conséquence la mort tragique de deux fonctionnaires ? [...] même si la loi protège certaines personnes, et qu’il n’y a pas de responsabilité légale, il n’en demeure pas moins que la responsabilité morale est établie !
Communiqué du syndicat national FO Justice
Mais ce n'est que le 11 avril, après son transfèrement de Marseille à vers Evreux, qu'est révélée, selon le rapport, l'information obtenue grâce aux écoutes de la Santé qu'il aurait mis "un contrat sur la tête d'un surveillant". La cellule du renseignement pénitentiaire de Marseille en est avisée, la prison d'Evreux, elle, ne le sera pas.
Ces informations n'ont pas été partagées avec tous les acteurs chargés du suivi de Mohamed Amra, constatent les rapporteurs, ce qui a notamment empêché de relever le niveau d'escorte lors de son transfèrement entre le tribunal de Rouen et la maison d'Evreux le 14 mai.
L’ensemble des éléments […] aurait dû être révélée aux établissements pénitentiaires qui en assuraient successivement la garde aux fins de prendre toute mesure de sécurisation, de sa détention comme de ses extractions
Inspection générale de la justice
Pour qu'un drame comme celui d'Incarville ne se reproduise pas, les rapporteurs préconisent 17 mesures, notamment en faveur du partage d'informations entre la justice, les services pénitentiaires, le renseignement et les enquêteurs.
Un nouveau "parquet national anticriminalité" pourrait également voir le jour avait annoncé le garde des Sceaux en avril dernier. Objectif : décloisonner l'ensemble des services qui traitent des informations sensibles relatives aux détenus dangereux.