Infirmiers libéraux dans le même cabinet de Pont-Saint-Pierre (Eure), Stéphanie Roussette et Baptiste Delalonde sillonnent une partie du Vexin normand pour s'occuper de leurs patients à domicile. Ils ne connaissent ni les arrêts maladie, ni les congés payés... Et ne comptent pas leurs heures. Nous les avons rencontrés, à l'occasion de la Journée internationale des infirmières, vendredi 12 mai.
"On fait Pont-Saint-Pierre, Romilly-sur-Andelle, Radepont, Pîtres, Heuqueville, Amfreville-les-Champs, Flipou..." La liste des communes sillonnées par Stéphanie Roussette et Baptiste Delalonde est longue. D'autant plus que le gros du travail de ces infirmiers libéraux s'effectue à domicile.
"On est du cru. Pour les gens, c'est plus facile, pour les urgences, c'est plus facile", précise Stéphanie Roussette. "On est deux par jour, le matin à partir de 6h30 et jusqu'à 13h. On a une demi-heure de permanence, parfois ça tire un peu. On reprend vers 16h, et en ce moment, on termine vers 19h30. Lors de la petite coupure du midi, on fait souvent de la paperasse. On répond au téléphone. Les heures qu'on y passe, à appeler Pierre, Paul, Jacques, ce n'est pas rémunéré, ce n'est pas valorisé. On n'en parle pas."
"On est au centre de tout"
Stéphanie Roussette et Baptiste Delalonde ont commencé leur carrière en hospitalier. Une étape obligatoire pour les jeunes diplômés. "J'étais en soins de suite dans une petite structure privée", raconte Baptiste Delalonde. "Ils essayaient de rentabiliser énormément : peu de personnel, peu de moyens, beaucoup de travail et pas forcément de reconnaissance. Je me suis dit : autant bosser comme un dingue, mais bosser pour moi !"
Fin 2006, le jeune infirmier revient dans sa ville natale et devient libéral. Diplômée depuis 1997, sa collègue a, elle, attendue quelques années de plus. "On arrive jeune sur le marché... A 22 ans, je ne savais pas ce qu'était le libéral", explique Stéphanie Roussette, à son compte depuis dix ans. "Il y a un monde entre ce que l'on imagine, entre l'hospitalier et les soins à domicile, il y a vraiment une barrière entre les deux. Les hospitaliers n'imaginent pas ce qu'il s'y passe."
Pour les hospitaliers, il n'y a pas de vie après l'hôpital. Nous, on doit être disponible 24 heures sur 24.
Stéphanie Roussette
Troubles psychiatriques, diabète, soins d'urgence, palliatifs ou post-opératoires, Baptiste et Stéphanie rappellent qu'aucun infirmier libéral ne se contente de faire des prises de sang. "On réalise tout acte sur prescription, tous les soins d'hygiène", relève Stéphanie Roussette. Avec parfois, quelques surprises, entre ceux qui ouvrent la porte dans le plus simple appareil, en slip... Ou ceux qui n'ouvrent pas du tout.
"Il faut être débrouillard, ne pas se laisser intimider. Il peut se passer tout et n'importe quoi, à n'importe quel moment", admet l'infirmière. "Une patiente m'a appelée parce-que les points de suture de son hallux valgus s'étaient détachés. Je lui ai dit que je n'étais pas médecin... Mais bon, j'y suis quand même allée." "Les gens nous appellent pour tout et n'importe quoi. Ils ne vont pas forcément spontanément voir le pharmacien, le médecin. C'est tout de suite l'infirmier", évoque de son côté Baptiste Delalonde. "On exerce, grosso-modo, le métier où il faut être le plus réactif vis-à-vis des patients. On est au centre de tout."
"A domicile, on dépasse toujours un peu la distance"
Lorsqu'on lui demande si son métier est physique, Baptiste Delalonde sourit. Et liste : "On se lève tous les matins à 5h pour rentrer chez soi à 20h30. Monter 50, 60 fois dans la voiture, c'est dur pour les articulations. L'attention qu'on a sur la route du matin au soir, sous la pluie, le verglas, la neige, c'est éprouvant pour la vue. Soulever et déplacer les patients, c'est quelque-chose. Comme se baisser pour faire des pansements aux pieds ou aux genoux. On n'est pas docker non plus, mais on n'est pas assis derrière un bureau 24 heures sur 24."
Pour autant, le soignant âgé de 40 ans est loin d'être blasé. Et se dit toujours motivé par le contact avec les patients, indissociable du métier d'infirmier. "Le domicile je trouve ça plus intéressant que l'hôpital", estime-t-il. "Les gens, ce sont eux qui nous choisissent. La confiance est là d'emblée. Quand on est à l'hôpital, les gens n'ont pas envie d'être là, ils n'ont pas choisi leurs infirmiers, ils subissent tout. Là, c'est tout le contraire."
Certaines personnes vont se confier si l'on se confie aussi. C'est du donnant-donnant : ils nous reçoivent chez eux... Et ils ne vont pas recevoir quelqu'un qu'ils ne connaissent pas.
Baptiste Delalonde
Au fil du temps et des interventions, des liens se créent ainsi entre soignants et patients. "A domicile, on dépasse toujours un peu la distance", admet Baptiste Delalonde. "On voit parfois les gens trois fois par jour", confirme Stéphanie Roussette. "Ce sont des patients, d'accord, mais le côté privé arrive forcément. On connaît leur histoire... Ils connaissent la nôtre." Des liens boostés lorsque l'on exerce à la campagne ? La réponse de Baptiste Delalonde est sans appel. "En ville, c'est du Uber Eats. Certains ouvrent à peine la porte."
Quid de l'avenir du métier ?
Pour Baptiste Delalonde et Stéphanie Roussette, l'avenir passera forcément par les soins à domicile. "Avant, les patients restaient 2 à 4 jours à l'hôpital. Maintenant, c'est fini", constate Baptiste Delalonde. "Depuis 4-5 ans, la France met le paquet sur l'ambulatoire". Y compris pour des opérations lourdes... "Le problème, c'est que c'est souvent mal géré", avance Stéphanie Roussette. "Comme il y a cette barrière entre le monde hospitalier et le domicile... Les patients très âgés ou dépendants, lorsqu'ils rentrent à la maison le vendredi soir, rien n'est prévu [en termes d'organisation de soins, ndlr]."
On a du boulot qui nous attend, de toutes les façons possibles !
Stéphanie Roussette
Ce rythme plus soutenu, les deux infirmiers l'observent depuis déjà plusieurs années. "On est déjà dedans. Il y a de moins en moins de médecins généralistes, d'auxiliaires de vie, d'aides-soignants", assure Stéphanie Roussette. "Il va rester qui ? Nous. A mon avis, ça ne va pas s'arranger. Je pense qu'il va y avoir une charge de travail beaucoup plus importante pour les infirmiers..."
Pour autant, aucun des deux ne renoncerait au libéral pour retourner dans une structure hospitalière publique ou privée. "C'est maltraitant au possible", assure Stéphanie Roussette. "Une infirmière en clinique ou en établissement hospitalier court toute la journée. Elles sont des piliers, donc tout le monde tourne autour d'elles, se planque derrière elles. Elles ont à peine le temps de faire pipi". Avant de conclure : "Nous aussi, mais on n'a pas de chefs sur le dos !"