La France continuerait d'exporter des pesticides interdits en Europe : c'est ce que révèlent des journalistes de l'émission Vert de Rage, diffusée dans quelques semaines sur France 5. Pendant un an, ils ont tenté d'en mesurer l'impact sur l'environnement.
Du Fipronil, un insecticide toxique pour l'écosystème, ou encore de l'Atrazine, un herbicide : ces pesticides sont interdits en Europe. Ils seraient pourtant toujours produits en France afin d'être exportés, principalement dans des pays à revenus bas ou intermédiaires situés en dehors des frontières européennes (le Brésil en tête).
Une enquête au long cours
Une équipe de journalistes de l'émission Vert de Rage a dévoilé le fruit d'une enquête de plus d'un an, ce lundi 23 septembre, et épinglé deux usines en Normandie : le groupe suisse Syngenta, implanté à Saint-Pierre-la-Garenne (Eure) et l'Allemand BASF, situé à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Seine-Maritime).
Regardez ce décryptage de Théo Thomas, avec l'interview de Martin Boudot, coauteur de l'enquête :
Une "pression chimique" sur l'environnement
Pour mener leur enquête, les journalistes, en particulier la coréalisatrice Mathilde Cusin accompagnée d'une consœur, ont effectué des prélèvements dans les rivières, les nappes phréatiques ou encore les puits situés à proximité des usines.
Les résultats des prélèvements ont ensuite été analysés par une équipe de scientifiques, sous la houlette du Dr. Souleiman El Balkhi, responsable du service de toxicologie analytique environnementale au CHU de Limoges.
"Selon le Dr. Souleiman El Balkhi, la présence de molécules interdites représente un risque pour l’environnement, même si les teneurs ne dépassent pas toujours les normes, peut-on lire dans le dossier de presse de l'étude. En cause notamment, le grand nombre de molécules détectées dans les échantillons impliquant une importante 'pression chimique' sur l’environnement."
336 fois le taux normal de Fipronil
Les deux sites normands étudiés n'ont pas été choisis au hasard : ils font partie des 14 usines françaises qui ont produit ou produisent toujours des pesticides interdits par l’Union Européenne.
Et sur les 372 molécules recherchées (dont 190 molécules interdites), des traces de pesticides dépassant les seuils recommandés ont bel et bien été retrouvées près des usines de la région.
Théo Thomas revient sur les principaux résultats sur le plateau d'ICI 12/13 Normandie Rouen :
Le Fipronil a par exemple été détecté à un taux 336 fois supérieur à la normale dans les eaux de rejet du site BASF de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Dans l'usine euroise, des traces d’Atrazine ont été retrouvées avec un taux trois fois supérieur au seuil de risque environnemental. Ce dernier est interdit en Europe depuis 2004, mais toujours exporté vers des pays en développement.
Coauteur de l'enquête, Martin Boudot estime qu'il faut réagir... En urgence : "Ce travail que l'on a réalisé ce n'est que pour deux usines sur 14 en France. Je pense qu'il serait important que les pouvoirs publics s'emparent de notre travail et élargissent le panel d'usines à vérifier."
Mathilde Cusin abonde : "Il s'agit d'une étude exploratoire." L'idée étant de pousser les administrations à mesurer plus concrètement l'impact de ces produits sur les populations qui vivent dans les secteurs concernés.
Les autorités régulièrement informées, selon les deux sites normands
Les deux industriels, de leur côté, assurent à Vert de Rage être en règle. "L’exploitation de notre site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, et en particulier de nos rejets, fait l’objet d’un encadrement précis soumis au respect de valeurs limites, plaide BASF. Nous opérons une autosurveillance régulière de nos rejets en étroite coordination avec cette administration et faisons l’objet de visites d’inspection au titre de cette réglementation."
Syngenta commente : "La production de produits à base de thiaméthoxam et de cyproconazole a été arrêtée respectivement en 2022 pour le premier et en 2020 pour le second. Il n'est pas rare que des résidus de substances puissent être détectés à l'état de traces [...] ce qui ne signifie pas qu'ils représentent un danger pour la santé", ajoutant que "différentes actions ont été mises en place pour suivre et réduire les concentrations de molécules phytosanitaires dans les eaux souterraines".
Syngenta dit ne pas produire de thiaméthoxam seul. Mais elle exporte des semences qui en sont enrobées.
Mathilde Cusinà France 3 Normandie
Les groupes normands affirment également qu'ils informent régulièrement les autorités de la situation. Mais se refusent à s'expliquer concrètement sur les résultats des études.
"Dans le cas de Syngenta, on leur a transmis l'ensemble des résultats, on les a relancés... ils nous ont répondu avec les mêmes éléments de langage et ont refusé de commenter", relève cependant Mathilde Cusin. Syngenta, qui dit ne plus fabriquer de thiaméthoxam directement, commercialiserait cependant des semences enrobées de ce produit reconnu toxique pour les écosystèmes et la biodiversité.
Des résidus de pesticides retrouvés sur des fruits et des légumes importés
Ces pesticides sont bel et bien référencés comme nocifs pour l'environnement... Mais pas que. Car ces derniers se retrouvent ensuite dans nos assiettes, à travers les aliments importés, et notamment les fruits et légumes - tout l'objet de la deuxième partie du documentaire.
L'équipe de Vert de Rage s'est donc également penchée sur les traces de ces produits sur les fruits et légumes que nous consommons quotidiennement.
Aujourd'hui, il y a une faille dans la législation française qui fait que l'on continue la production de pesticides pourtant interdits, afin de les exporter à l'étranger. Là, ils sont utilisés pour produire des fruits et légumes qui sont ensuite commercialisés dans notre pays. C'est un cercle vicieux.
Mathilde Cusinà France 3 Normandie
Le résultat est édifiant. Ainsi, 32% des échantillons collectés par Vert de Rage contenaient des résidus de pesticides interdits. Cancérigènes et reprotoxiques (nocifs pour la reproduction), ces produits auraient donc un impact certain sur la santé humaine.
En Inde, où une partie du documentaire a été tournée, Mathilde Cusin a pu constater la présence de clusters de maladies neurodégénératives, qui pourraient être liés directement à l'utilisation de ces produits phytopharmaceutiques.
À noter que 71% des fruits et 28% des légumes sont d'origine étrangère. Outre ces produits, le café, le thé, les épices, les céréales (riz notamment) et les légumineuses figurent parmi les produits les plus contaminés par les pesticides.
Sur la totalité des 1 476 produits phytopharmaceutiques référencés par la base de données EU Pesticides Database de la Commission Européenne, 954 pesticides sont désormais interdits dans l'Union Européenne.
La prochaine - et dernière - émission de Vert de Rage "Pesticides interdits : de la contamination de nos sols à celle de nos assiettes", sera diffusée d'ici le mois de novembre sur France 5. La date n'a pas encore été déterminée.