Cinq ans après l’incendie de Lubrizol, voici les résultats très attendus de l’étude sur les conséquences sanitaires

Après quatre ans de travail, l’université de Rouen publie les résultats de son étude menée sur les conséquences de l’incendie de Lubrizol. 30 molécules marqueurs de l’incendie ont été identifiées dans l’eau, les sols ou l’air. Le projet COP HERL invite l’Etat à les surveiller.

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Lancé en novembre 2020, un peu plus d’un an après l’incendie de Lubrizol, le projet COP HERL (COnséquences Potentielles pour l’Homme et l’Environnement, perception et RésiLience) a mobilisé 17 laboratoires et plus 100 experts scientifiques.

Une étude de grande envergure sur un accident industriel qui a profondément marqué les Normands. Pendant quatre ans, la communauté scientifique de Rouen a analysé les conséquences de cette catastrophe sur l’environnement et la population. Rencontre avec Matthieu Fournier, le coordinateur du projet COP HERL.

L’un des enjeux de cette étude était de caractériser les substances issues de l’incendie de Lubrizol et de les différencier du bruit de fond de la pollution dans la Métropole de Rouen. Y êtes-vous parvenu ?

Nous avons identifié 30 molécules marqueurs de l’incendie, c’est-à-dire 30 molécules qui n’étaient pas présentes avant le 26 septembre 2019 et pas présentes après. Cela nous permet d’être certains qu’elles sont associées à cet événement.

Ces substances ont été retrouvées dans l'air au moment de l'incendie, dans les eaux, dans les sols et les sédiments.

Parmi ces 30 molécules, 22 sont des substances irritantes, deux cancérogènes et mutagènes, trois sont des perturbateurs endocriniens et/ou reprotoxiques (toxiques pour les organes de reproduction) et trois sont toxiques pour les organismes aquatiques.

Matthieu Fournier, coordinateur du projet COP HERL

Ces 30 molécules présentaient-elles des concentrations dangereuses pour la santé ?

L’étude n’avait pas pour objectif de quantifier ces molécules mais de les qualifier. Maintenant que le projet COP HERL a permis de montrer qu’elles existent, nous recommandons à l’Etat et aux organismes d’Etat d’intégrer ces substances à la surveillance des milieux aquatiques et de les quantifier tant qu’on les retrouvera dans l’environnement.

Désormais, le savoir est diffusé. C’est aux autorités publiques du territoire de se l’approprier.

En dehors de ces molécules, avez-vous retrouvé d’autres sources de pollution dans les différentes salves de prélèvements que vous avez effectuées ?

Concernant le suivi des molécules réglementées, aucune pollution aux métaux, dioxines, furanes, HAP et PCB n’a été mise en évidence dans les sols et les eaux, même si des augmentations de niveaux de contamination ont pu être attribuées à l’incendie par rapport au bruit de fond urbain.

Dans les sédiments de la darse aux bois, le bassin situé à proximité de Lubrizol qui a récupéré toutes les eaux d’extinction du feu sans dilution, nous avons découvert des concentrations importantes de cadmium, cuivre, plomb, zinc, HAP et PCB.  

Nous avons également découvert des PFAS – NDLR : les polluants éternels – à des niveaux de concentration jamais enregistrés ailleurs.

Le projet Cop-HERL a également étudié la perception que la population a eue de cette catastrophe. Vous évoquez un traumatisme et invitez l’Etat et les décideurs locaux à revoir leur communication de crise. Qu’est-ce qui doit changer selon vous ?

Lors de l’incendie de Lubrizol, la communication de crise a consisté à dire : les molécules retrouvées ne dépassent pas les normes de pollution. Il n’y a donc pas de recommandation à se confiner sauf pour les populations fragiles. Si on caricature, les services de l’Etat ont invité les habitants à continuer leur vie normalement.

De son côté, la population nous a expliqué avoir eu les yeux qui pleurent, des nausées des vomissements, des vertiges. C’est du sensoriel. Les gens ont senti ces éléments-là.  

La communication de crise répond à un cahier des charges très strict, très normé. Elle est basée sur des faits : « Nous avons retrouvé telle molécule, telle concentration. Cela génère tel risque ». C’était légitime et juste.

Le problème c’est que quelqu’un qui a les yeux qui pleurent, des nausées, des vomissements, ne peut pas considérer qu’il n’y a rien.

Et on sait pourquoi aujourd’hui la population a ressenti de tels symptômes. Des molécules soufrées étaient présentes en grande quantité dans l’air. C’était une concentration inférieure à celle requise pour décider d’un confinement mais suffisante pour expliquer ce que les gens ont ressenti. On aurait pu l’expliquer et dire que la diminution des concentrations dans l’air allait estomper les symptômes.

Nous recommandons d’intégrer le registre du sensoriel à la communication de crise. Aborder ces éléments sensoriels aurait pu éviter un sentiment de défiance de la part de la population. Car on n’a jamais répondu à la question : pourquoi ai-je ressenti ces symptômes ? Mais pourquoi ce n’est pas grave ?

Matthieu Fournier, coordinateur du projet COP HERL

L’incendie de Lubrizol a eu lieu il y a cinq ans. Si une telle catastrophe industrielle devait se reproduire, pensez-vous que nous serions davantage prêts ?

Nous avons mis en évidence une impréparation de la population et une méconnaissance de la conduite à tenir. Si un tel épisode avait eu lieu en plein jour, la plupart des personnes ne se seraient pas confinées là où elles étaient, mais auraient pris la voiture pour aller tantôt récupérer les enfants, tantôt rentrer chez soi.

Sans compter qu’il n’y a pas assez d’espace en centre-ville de Rouen pour répondre efficacement au confinement et aux mesures collectives de sécurité.

Certaines personnes ont déjà changé des choses dans leur vie quotidienne : investi dans du triple vitrage ou aménagé une pièce si un confinement était nécessaire. Mais ce n’est pas suffisant : il ne faut pas jouer la politique de l’autruche.

Car qui aujourd’hui a une trousse de premiers secours chez lui ? Qui est capable de réagir à une coupe d’eau au-delà de 24 heures ? Qui sait et a le matériel pour calfeutrer son habitation ? Il faut former les habitants.

La population est demandeuse d’un accompagnement. Il faut capitaliser dessus pour augmenter la culture du risque.

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