Faudra-t-il déménager ? Avant le Brexit, les états d'âme des Britanniques de Normandie

A Saint-Pair-sur-mer dans la Manche, le camion de déménagement est arrivé chez Greg et Maureen. C'est décidé, ils rentrent en Angleterre. Mais la plupart des Britanniques installés en Normandie aimeraient rester, malgré ce Brexit qui empoisonne leur quotidien : "tout est si flou"...

Greg et Maureen plient bagage, "à contre-coeur"


Nous avions rencontré Greg et Maureen un jour ensoleillé du mois de mars 2019, lors d'une promenade sur la jetée, face à la mer, ce jour-là d'un bleu éclatant. L'horizon était bien dégagé : la Grande Bretagne devait enfin sortir de l'Union Européenne le 31 mars. "C'est une pagaille. On ne sait pas où on est, déplorait alors Greg, dans un français impeccable. On est troublé parce qu'on ne sait pas ce que sera notre avenir en France". Quelques jours plus tard, après un énième psycho-drame, le gouvernement britannique obtenait un délai. Mais promis juré, le Brexit serait effectif en octobre ! Et puis...
 

Leur décision a été mûrie courant avril : Greg et Maureen ont décidé de vendre leur maison en Normandie, d'en acheter une en Angleterre et de plier bagage. "Nous aurions préféré avoir le choix. On a l'impression que le choix a été fait pour nous" dit Greg aujourd'hui, un peu dépité. Le camion de déménagement est arrivé pour prendre livraison des meubles et des cartons. La maison est vendue. Ils sont "tristes".
 


Greg et Maureen avaient découvert leur petit paradis normand il y a une trentaine d'années. Ce couple d'enseignants y a acheté une maison, d'abord pour les vacances. Greg et Maureeen s'y sont installés une fois la retraite venue. Jamais ils n'avaient imaginé devoir faire un jour le chemin en sens inverse. "Mais il y a aujourd'hui trop d'incertitudes. On a peur, admet Greg. Nous ne savons pas si nous pourrons avor une sécurité sociale. On s'inquiète pour l'accès aux médicaments. Ce sera plus simple si on habite en Grande-Bretagne". Ils ont choisi d'aller habiter à Sherborne, dans le sud-ouest de l'Angleterre. La ville est jumelée avec Granville. "Cela nous permettra de garder un lien avec nos amis qui sont ici"...

 
 

Au Zebra Café, à Sourdeval, la lassitude de Martyn : "Le Brexit, je n'ai plus envie d'en parler. Le sujet m'ennuie..." 



Souvent, le déjeuner du client est rythmé par les Clash, les Rolling Stones ou David Bowie. Le son est british. Mais la cuisine du Zebra Café est plutôt frenchie. "Parmi les plats du jour aujourd'hui, nous avions un burger au tournedos de canard et un rôti de porc avec une sauce aux champignons", précise Martyn Harvey. La cuisine n'a pas l'accent anglais du patron des lieux. "Mais cela fait maintenant dix-sept ans que je suis en France".


La chorale de Noël au Zebra Café :
 

Il y a quelques années, il a repris le Zebra Café, dans le bourg de Sourdeval où d'autres commerces étaient déjà tenus par des sujets de Sa Gracieuse Majesté. De nombreux Britanniques habitent dans les alentours, aux confins de la Manche, de l'Orne et du Calvados. Lorsqu'ils sont attablés autour d'une bière, il est rare que le Brexit ne s'invite pas dans la conversation. "J'entends tout et n'importe quoi. Personne ne sait. Et personne ne sait s'il doit faire quelque chose".
 

Après le divorce avorté du mois de mars 2019, la rupture devait donc être consommée en octobre. Certains se voyaient déjà renvoyés de l'autre côté de la Manche. D'autres redoutaient les formalités liées à une carte de séjour. Chacun retenait son souffle avant la date fatidique. "Les gens spéculent. Mais personne ne sait ce qui va arriver. Tout est peut-être", s'agace Martyn qui concède que le sujet l'ennuie. Le Royaume-Uni a finalement obtenu de rester au sein de l'Europe pour quelques temps encore. "Rien n'a changé depuis le referendum, sauf les premiers ministres à Londres." Avec un flegme qui, lui, n'a rien de bien français, il ajoute : "Je ne vais pas m'inquiéter aujourd'hui puisqu'on ne sait rien. Et puis j'ai mon business ici, je paie mes impôts : je ne partirai pas du jour au lendemain. Ma vie est ici".

 

Alison vit entre la France et l'Angleterre, "un pays qui se referme"



Avant le grand saut dans l'inconnu, Alison a eu une pensée pour ses semblables. Entre janvier et mars, l'essentiel des fruits et légumes consommés outre-Manche provient d'Espagne, de France ou d'ailleurs. Alors, depuis Rânes dans l'Orne, elle a conçu des "kit de survie", comprenant douze sachets de graines à semer pour ne pas périr de scorbut. Il a tellement été dit que les produits frais étaient voués à pourrir à bord des camions coincés dans les ports. C'était un clin d'oeil très anglais. "Mais ce n'était pas pour rire", précise Alison, que le sujet affecte profondément.
 


Le Brexit n'a pas eu lieu, pas encore, mais il complique déjà les affaires. À Rânes, elle gère English Garden Plants. "Mon fournisseur de rosiers en Angleterre m'avait demandé d'anticiper les commandes au mois de mars, au cas où. Il a encore fallu anticiper en octobre. Pour rien. C'est un coût pour l'entreprise". Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni devrait enfin quitter l'Union Européenne. Les conditions de sortie doivent être négociées avant le 31 décembre. Pendant cette période de transition, rien ne change.
 

On nous dit qu'il faut se préparer. Mais à quoi ? Personne n'a de réponse.


Près de Cambridge, elle s'occupe aussi d'une entreprise de restauration de voitures de collection (une passion anglaise) qui emploie onze personnes. Et c'est là que l'affaire se complique. "Je suis résidente britannique. A priori, je n'aurai pas le droit de passer plus de quatre-vingt dix jours à l'étranger. Je ne sais pas comment je pourrai continuer à m'occuper de notre entreprise en France. J'y suis pourtant attachée. Je l'ai rachetée à des Anglais qui l'avaient créé il y a vingt-trois ans."
 

Pour l'heure, la vie suit son cours presque normal. "La préfecture et la mairie ont été formidables. J'ai un permis de travail". Mais au-delà ?
 

J'ai 47 ans, j'ai toujours vécu entre l'Angleterre et la France. C'est bizarre de créer de nouvelles frontières. En même temps, c'est normal, on ne fait pas partie du club


En attendant le Brexit, Alison Ala Struebel s'étonne de ce qu'elle voit, de ce qu'elle entend outre-Manche. "Les gens là-bas n'ont n'ont pas peur. Ils ont l'impression que ça va renforcer la Grande-Bretagne, qu'elle va justement redevenir grande. Je ne comprends pas l'espoir qui anime les gens. Avec le Brexit, on se renferme. C'est dangereux"







 
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