Réunis ce jeudi 20 mai 2021, les 36 premiers présidents des cours d'appel de France ont publié un plaidoyer pour dénoncer les accusations contre l'autorité judiciaire. L'affaire Sarah Halimi, les procès pour féminicides, entre autres, ont suscité une défiance injustifiée selon eux.
C'est assez rare pour le souligner, pour une fois, les 36 présidents des cours d'appel de France, réunis en conférence, ont décidé de communiquer sur leur désarroi. Depuis quelques mois, ils se sentent particulièrement visés par les critiques de toutes parts, voire instrumentalisés à des fins politiques. " La justice est présentée comme "trop sévère" quand les prisons débordent, trop laxiste si la peine n'est pas proportionnelle à l'émotion des victimes, trop lente quand le manque de personnel ne permet pas de juger dans les délais."
Les juges saturent d'être pris pour boucs émissaires
Dans ce communiqué, les magistrats expriment leur colère d'être au coeur d'accusations, de polémiques qui n'ont pas lieu d'être selon eux. Ils rappellent qu'ils s'astreignent à respecter la présomption d'innocence et des lois "toujours plus nombreuses, en réponse à tout nouveau faits divers, plutôt que préparées avec expertise."
L'affaire sarah Halimi
En avril 2021, la Cour de Cassation a tranché, le meurtrier d'une femme juive, Sarah Halimi, ne sera pas jugé pour ce crime antisémite, étant considéré comme irresponsable pénalement par les experts. Cette décision suscitera un grand nombre de manifestations et le désarroi de la communauté juive. Signataire de ce communiqué, la première présidente de la cour d'appel de Rouen revient sur ce dossier. "Ce qui compte c’est l’avis des experts : tous allaient dans le même sens, en évoquant « une bouffée délirante au moment des faits ».
Je comprends l’émotion, mais on ne juge pas sur l'émotion, la justice a été rendue en fonction de la loi, peut-être que celle-ci va évoluer ....
"Pendant la crise sanitaire, il fallait vider les prisons"
Les juges rappellent également qu'il fallait "vider les prisons" pendant le confinement, quelques mois plus tard, de nouvelles lois visent à durcir "le calcul des crédits de réduction de peines ... avec pour effets inévitables l'augmentation de la population carcérale." Des injonctions contradictoires aux yeux des magistrats, qui refusent de prendre sur eux certains dysfonctionnements.
La justice est infiniment complexe
Marie-Christine Leprince rappelle à quel point la justice est complexe à rendre, ceux qui le comprennent sont les jurés, ces citoyens qui viennent vivre le temps d'un procès la justice de l'intérieur. Cette magistrate, comme les autres signataires, regrettent le discrédit, le mauvais procès qui leur est fait."C' est profondément injuste, je pense aux générations de juges qui arrivent, il ne faudrait pas qu’ils soient désabusés."
"Nous ne vivons pas dans une tour d'ivoire"
Critiqués aussi pour vivre dans une tour d'ivoire, les juges rappellent qu'ils sont confrontés chaque jour aux souffrances des victimes et connaissent les conséquences graves de la criminalité. Ils mesurent aussi "l'engagement et la difficulté des missions exercées par les forces de l'ordre".
Face au critique d'entre-soi, les professionnels expliquent que le recrutement des juges s'ouvre depuis plusieurs années. Beaucoup de magistrats le deviennent en interne, après une première carrière. A Douai, à Lyon, à Bordeaux, des classes préparatoires sont ouvertes pour accompagner les élèves méritants de milieux défavorisés.
Pour des assises de la justice pénale
Ces présidents de cour d'appel soulignent le manque de moyens, malgré les mesures prises pour augmenter le nombre de magistrats. Il faut plus de juges, plus de greffiers "... surtout que l'accès aux droits est de plus en plus développé, et c'est une bonne nouvelle " rappelle madame Leprince. Pour modifier le regard de la société sur leurs missions, ils veulent organiser des Assises : ouvertes aux élus, aux policiers, aux journalistes, aux avocats, aux asociations "désireux d'un dialogue sincère, serein et constructif".