La Russie et l'Ukraine, un gros marché fermé au calvados : "on n'a rien vu venir, mais personne n'est dans la tête de M. Poutine"

L'Ukraine est sous les bombes, la Russie est sous embargo : la guerre menée par Vladimir Poutine a des conséquences jusqu'en Normandie. Les Russes sont depuis toujours des consommateurs avertis de calvados et il y a quelques jours encore, les importateurs continuaient de passer des commandes. Eux-mêmes n'imaginaient pas basculer du jour au lendemain dans une économie de guerre.

"Les dernières palettes sont parties la semaine dernière", explique Jean-Luc Pignol, le directeur de la distillerie Busnel à Cormeilles (Eure). "D'ailleurs, j'espère qu'on l'a bien fait payer..." L'anecdote illustre la soudaineté des événements. Avant le déclenchement des hostilités en Ukraine le 24 février, les Russes étaient de bons clients, fidèles et solvables. "Personne ne s'attendait à ça, en Russie comme ici", assure Jean-Luc Pignol qui préside aussi l'IDAC, l'interprofession des appellations cidricoles. Un brin fataliste, il ajoute : "Personne n'est dans la tête de M. Poutine"

Dans l'entrepôt de Spirit France Diffusion à Reux (Calvados), une cargaison devait encore partir en début de semaine. "Ce sont des calvados et des armagnacs millésimés de grande valeur", explique Serge Der Sahagian, le directeur général. "Les routes logistiques étant coupées, on a informé nos clients qu'on ne pouvait pas expédier". Les adresses sur les bordereaux renseignent sur la destination de la marchandise : Moscou et Kiev... "Aujourd'hui, on ne peut pas encaisser de l'argent en provenance de Russie ni acheter là-bas", résume Jean-Luc Pignol. Les échanges commerciaux sont gelés.

En Ukraine, les clients ont des préoccupations d'une autre nature, dictées par la guerre. Sur Facebook, le directeur général des Calvados Drouin a publié l'émouvant message de son importateur ukrainien. 

Chers partenaires et amis, peu importe où chacun de nous se trouve, tout le monde fait tout son possible pour soutenir notre peuple et protéger notre terre. Chacun de nous a son propre combat. Certains de nos hommes sont dans l'armée maintenant, d'autres ont rejoint les forces de résistance. Certains d'entre nous sont volontaires pour aider les personnes âgées, les animaux et les civils, la communication.

L'importateur ukrainien des Calvados Drouin

La Russie est un marché de connaisseurs

En 2020, un peu plus de 100 000 bouteilles ont été vendues en Russie. Les chiffres pour l'année 2021 ne sont pas encore totalement arrêtés, mais le marché se portait bien. La Russie n'est certes que le dixième marché à l'exportation pour le calvados. "Mais les Russes sont des connaisseurs. Ils recherchent des calvados vieillis, des goûts fins et complexes, explique Jean-Luc Pignol. Ils achètent le haut-de-gamme, c'est un peu la même clientèle que celle du cognac".

Spirit France Diffusion commercialise des marques réputées comme Père Magloire, Boulard et Lecompte ainsi que des armagnacs. La Russie représente 15 % de ses ventes, "mais 25 % de notre rentabilité", précise son directeur. "Il y a peu de pays au monde comme ça. C'est vraiment un marché de connaisseurs. Notre entrée de gamme en Russie tourne autour de 50 euros la bouteille".

Le calvados va devoir trouver de nouveaux débouchés. Fort heureusement, certains marchés sont porteurs. En 2021, les ventes ont progressé de 30 % en France et les exportation ont augmenté de 1,4 %  "avec des progressions importantes sur certains marchés (Belgique + 30%, Suède + 30%, USA + 70%)", écrit l'IDAC. L'année dernière, les ventes de calvados ont quasiment retrouvé leur niveau d'avant la pandémie.

L'horizon demeure toutefois très incertain. Nul ne sait comment va se porter la consommation de spiritueux dans les mois qui viennent. Pour les producteurs de calvados, la guerre en Ukraine entraîne des conséquences en cascade : "Beaucoup de fournisseurs de bouteilles, de capsules et de bouchons sont situés en Ukraine et en Russie. Cela va faire monter les prix, explique Jean-Luc Pignol. Les coûts de l'énergie et du transport explosent. Tout cela mis bout à bout va peser sur la rentabilité".

À Reux, Serge  Der Sahagian est en contact quotidien avec ses deux clients russes. Eux aussi ont été pris de court par les événements. "Ils ont décidé de suspendre leurs ventes en Russie. Ils ne font plus de livraisons. Ils sont aussi dans l'expectative." Qui pouvait imaginer pareille situation il y a quelques jours encore ? 

 

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