Le retour au télétravail imposé n'est pas une bonne nouvelle pour notre santé mentale : même quand on pense bien le vivre, certains signes ne sont pas à négliger. Pas question ici d'allonger la liste des choses à s'imposer, mais bien de rappeler le principal: pensez à vous d'abord.
En cette période de vœux et de bonnes résolutions à prendre, l'année 2022 ne commence pas de la meilleure des manières pour une majorité de salariés français contraints à télétravailler trois ou quatre jours par semaine.
"On peut dire que la dynamique de nouvelle année est cassée. Ces annonces tombent au mauvais moment. Le télétravail demande avant tout beaucoup de motivation", constate Karine Bouin, psychologue du travail et des organisations sociales à Caen. "Ce retour du bureau à la maison peut réveiller chez certains des blessures du premiers confinements. Et c'est cette fois-ci qu'il vont vraiment craquer."
Dépressions et burn-out se multiplient depuis 2020, ce n'est pas un hasard. Dans toute situation, on a toujours deux façons de regarder les choses : du côté du verre à moitié vide ou du verre à moitié plein. Le télétravail veut dire avant tout isolement social et pour ne pas sombrer, il faut parfois sortir l'armure.
Résignation ou adaptation
Nous sommes donc partis pour une troisième saison de télétravail imposé. La première fois en mars 2020, la sidération était forte et l'adaptation remarquable, comme une forme de survie en milieu hostile.
En octobre 2021, ce fût plus dur pour certains d'y retourner, un plaisir pour d'autres. Et puis, il y a eu des retours sur site au printemps, tout aussi pénibles.
Ces allers et retours en deux formes de travail ne sont pas faciles. Il faut changer d'habitude en permanence. Tout le monde n'a pas la construction psychologique qui permet de s'adapter.
"J'ai souvent conseillé aux entreprises d'organiser un retour progressif. Il faut prévenir les gens en amont pour qu'ils s'accoutument à l'idée. La veille pour le lendemain c'est tout ce qu'il ne faut pas faire", explique le docteur Catherine Fusibet, médecin du travail en Normandie. Une précaution valable dans les deux sens.
Depuis quelques jours beaucoup de salariés sont donc à nouveau en état de choc : ils n'ont appris que fin décembre les mesures du gouvernement pour un retour imposé du travail à la maison à la rentrée de janvier. A une période où l'on prépare les fêtes, où les esprits sont ailleurs. Ce début janvier est donc encore plus amer, le vague à l'âme bien présent et c'est bien normal. Changer, toujours changer, cela épuise.
"Je me demande si le télétravail ne pourrait pas aussi être utilisé par certains comme une tactique pour isoler un ou une salarié(e) et favoriser son harcèlement moral", s'interroge une anonyme sur twitter.
Et les témoignages de déception et d'angoisses se multiplient sur les réseaux sociaux depuis le 31 décembre. Ce retour à une vie cloisonnée pour les salariés français n'est pas bien vécu par une partie de la population.
"Je dois le dire (et je l'ai déjà dit), mais la perspective de 3 semaines de télétravail me mine considérablement le moral. Je comprends ceux qui préfèrent travailler de chez eux. Mais ça ne marche pas pour moi", les témoignages ne manquent pas.
Cependant, "il faut bien se dire que beaucoup de gens se sont très bien adaptés. Beaucoup de conventions pour rester en télétravail une partie de la semaine ont été signées ces derniers mois", rappelle le docteur Fusibet qui suit de très grandes entreprises comme de plus petites sur la région caennaise. "En matière de télétravail le salarié comme le dirigeant doivent se dire que tout se fait au cas par cas. Il n 'y a pas de généralisation possible."
Savoir qu'on reste libre de ses choix
Dans le fond, c'est peut-être le plus important. Nous sommes libres de dire non au télétravail. Et inversement, en ce moment, on ne peut pas vous le refuser.
"Les juristes que nous avons consulté dès mars 2020 ont été très clairs sur le fait qu'on ne peut en aucun cas imposer à un salarié du télétravail complet ou l'empêcher de revenir sur site", assure Catherine Fusibet de PST. Même si celui-ci a une santé fragile. "En cas de profond malaise vis à vis de cette vie imposée à la maison, il ne faut pas à hésiter à contacter la médecine du travail. J'ai déjà aidé à des aménagements du temps de travail sur site en préconisant un bureau fermé, un changement de masque plusieurs fois par jour, etc. Même pour les personnes vulnérables, on trouve des solutions avec l'employeur."
Trouver sa routine
C'est la clé du bien-être dans le télétravail : se caler sur une routine qui nous convient. "Ou au contraire faire exploser les lignes. Quand c'est possible dans leur activité, les gens qui ont de grosses difficultés de sommeil devraient pouvoir, par exemple, télétravailler de 15 à 22 H ou de façon encore plus décalée. Et dormir plus longtemps le matin, si là est leur besoin. Il faut que tout le monde s'y retrouve pour que ça marche et que l'on reste productif", précise Karin Bouin, psychologue du travail et des organisations sociales.
S'imposer ses règles
Il y a une trame générale, dans laquelle on peut tous espérer puiser des ressources. Mais les seules vraies règles que l'on peut s'imposer à la maison sont celles qu'on est capables de suivre. Parfois, il faudra se faire un peu violence mais grâce à elles, le télétravail deviendra moins pesant. "Même si, attention, imposer n'est jamais bon. Vous aller dire à quelqu'un qui est incapable de s'automotiver, de le faire? Et bien, ça ne sert à rien" avertit Karin Bouin. Certes, mais dans ces cas là, le curseur est dans le rouge et il faut demander de l'aide. Les psychologues du travail ou les coachs personnels se sont multipliés ces derniers mois. Les sites comme Doctolib permettent une recherche ciblées pour trouver de l'aide.
Pour rester heureux en télétravaillant, nos cousins canadiens prônent quatre commandements :
Savoir décrocher (c'est mérité), rester actif en s'accordant au minimum 30 minutes d'activité physique dans la journée, parler aux autres, à l'extérieur autant que possible et s'accorder du temps pour soi après le travail.
Médecins du travail au Canada
Des conseils résumés en une infographie dans le tweet ci-dessous :
Profiter des petits plaisirs
Décrocher pendant ses pauses c'est aussi aller promener son chien ou jouer avec son chat. Et pourquoi ne pas parler à son poisson rouge? Ou aller prendre un café chez sa voisine ? Il ne faut pas être trop dur avec soi-même.
"Les gens sont dans la recherche performance et sont souvent durs avec eux mêmes. Ils veulent prouver qu'ils travaillent bien de chez eux. Mais non, il faut être plus mesuré et s'accorder de vraies plages de repos. Aux managers de leur faire confiance et de reconnaitre le travail fait pour que le salarié reste motivé", ajoute Karin Bouin. Ecouter une musique ou sortir dix minutes. Peu importe la recette. La votre sera la bonne.
Et puis en rire, ou apprendre à ne pas dramatiser. Oui ça n'est pas facile, mais les réseaux sociaux sont là aussi pour ça. De bonnes petites vidéos circulent. C'est aussi le moment de les échanger avec ses collègues pour créer de l'interaction.
"L'isolement en psychologie, c'est ce qu'il y a de pire" résume Karin Bouin. Quand on est averti, il faut donc tout faire pour l'éviter. Et nous ne sommes pas en confinement, comparé aux périodes de télétravail de 2020 et 2021. On peut donc faire plein de choses en dehors de notre bureau-maison pour éviter de rester assis immobile, pendant des heures derrière un écran, sans relâche. "Ce non-confinement c'est la preuve qu'il y 'a du mieux. Voilà ce que j'ai dit à mes amis pour les vœux, vous voyez que ça s'améliore."