763 morts dans un naufrage et rien pour se souvenir : "Le drame a longtemps été tenu secret"

À Cherbourg, une association veut ériger un monument pour rappeler le naufrage du Léopoldville, un navire de transport de troupes coulé le 24 décembre 1944. De nombreux jeunes soldats sont restés prisonniers du navire qui sombrait. L'épave du bateau est un immense cimetière marin qui repose à 55 mètres de fond..

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Il a plongé partout, en Bretagne, en Mediterrannée, en Manche et en mer d'Irlande. Armé d'un appareil photo, Patrice Strazzera et ses copains plongeurs explorent le sommeil des épaves, des petites embarcations, des navires plus imposants. 

"Ma particularité, c'est que je ne fais que du noir et blanc", dit-il avec son accent chantant. Le plongeur habite près de Narbonne. "Avec mes gars, quand on vient sur un site du Débarquement, c'est toute une expédition, mais les épaves ont une âme. Quand je fais une photo, c'est comme si je voyais les gars dessus."

Une épave titanesque

Il y a quelques années, il s'est rendu à Cherbourg pour aller à la rencontre du Léopoldville. Le souvenir est gravé à jamais. "Il est absolument titanesque. On n'en voit pas le bout".

L'épave repose à 55 mètres de fond, à seulement huit kilomètres de la côte. Le bateau long de 146 mètres est couché sur un flanc. La proue a été emportée par une torpille mais le reste du bateau est encore d'un seul bloc. 

Le 24 décembre 1944, en fin d'après-midi, le Léopoldville, parti le matin de Southampton, s'approche de Cherbourg. Cet ancien paquebot belge transporte plus de 2 000 soldats de la 66e Division d'infanterie américaine.

On a du mal à s'imaginer ces jeunes gars qui étaient à bord, qui devaient peut-être préparer leur barda. Ils étaient loin de leur pays. C'était l'hiver. Il faisait froid. Ils pensaient être arrivés puisqu'on aperçoit déjà les lumières de Cherbourg.

Patrice Strazzera, plongeur

Le sommeil des épaves

Un sous-marin allemand, le U-boot 486, voit le navire dans son périscope. Il tire. Une torpille emporte la poupe du Léopoldville, tuant entre 250 et 300 soldats qui étaient en train de dormir. "Il y a eu alors une série de quiproquos qui a conduit au drame", raconte Nathalie Varnière, membre de l'association Mémoires et Database qui œuvre pour entretenir la mémoire des soldats américains.

Les officiers belges ne parlent que le flamand et les hommes d'équipage sont congolais. La communication avec les Américains et les Anglais est confuse et les officiers de liaison n'utilisent pas les bonnes fréquences radios et l'information n'est pas transmise aux autorités maritimes françaises.

Quand l'alerte est enfin donnée, il est déjà trop tard. Le HMS Brilliant, battant pavillon britannique se porte à son secours mais l'opération est périlleuse. La houle fait s'entrechoquer les bateaux. C'est la panique. Des hommes se jettent à l'eau. 500 marins ont pu être récupérés quand le Léopoldville finit par sombrer.

Un financement participatif pour entretenir la mémoire

Dans le Cotentin, le souvenir de ce naufrage ne s'est jamais totalement perdu. Des bateaux de pêche cherbourgeois et des remorqueurs du port ont en effet récupéré des survivants.

Dans les semaines qui ont suivi, la mer a rendu des dizaines de corps : les cadavres s'échouaient sur les plages et sur les rochers. Ce drame a laissé une empreinte dans les mémoires locales.

Aux États-Unis, en revanche, rien n'a filtré. Dès la fin du mois de décembre 1944, l'armée impose le secret-défense. Les hommes sont officiellement morts en opération, mais aucun détail n'est livré aux familles et les survivants avaient reçu l'ordre de ne pas parler.

Un secret dévoilé 50 ans plus tard

"Le secret n'a été levé qu'au bout de 50 ans, explique Nathalie Varnière. J'ai rencontré la nièce d'une victime. La maman est morte sans savoir comment son fils était mort. C'est un drame absolument bouleversant. Des gens laissés dans l'incertitude sont morts de chagrin."  Le naufrage du Léopoldville a fait 763 morts. 493 corps n'ont jamais été retrouvés.

L'association Mémoire et Database voudrait aujourd'hui qu'un monument puisse honorer les victimes de ce drame de la mer et de la guerre. Une campagne de financement participatif a été lancée en France et aux États-Unis. Il faudrait réunir au moins 20 000 euros.

"Je suis en contact avec la présidente de la Panther Veteran Organization, précise Nathalie Varnière. Un groupe viendra en France en mai 2025 pour les commémorations du 80e anniversaire de la libération de la poche de Saint-Nazaire", où les hommes de la 66e Division d'infanterie ont été envoyés après le naufrage.

Nathalie Varnière estime que "ce serait l'occasion idéale d'inaugurer ce monument à Cherbourg le 6 mai 2025 en présence des familles".

"L'âme des soldats plane"

En 2005, une équipe de plongeurs des sapeurs-pompiers de Cherbourg a fixé une plaque sous-marine sur la coque du navire, "mais à terre, il n'y a rien. 763 morts, et aucune trace", soupire Nathalie Varnière.

Les noms des victimes dont les corps n'ont jamais été retrouvés sont toutefois mentionnés dans le jardin des disparus du cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer (Calvados).

En mer, l'épave se détériore lentement. "La mer finira par digérer le bateau, c'est normal, cela fait 80 ans, souligne Patrice Strazzera. Le plongeur se souvient d'une coque qui par endroits commence à s'effondrer.

Il est encore marqué par une étrange atmosphère. "L'âme des soldats plane et quand on refait surface, on est marqué", assure-t-il. Nul ne sait combien de dépouilles sont encore emprisonnées dans la carcasse du bateau.

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