Manche Nature réclame depuis de nombreuses années la démolition d'une bergerie construite illégalement à Genêts dans une zone protégée. La justice lui a donné gain de cause en 2017. Le bâtiment est toujours debout. L'éleveur a obtenu ce mardi 13 septembre un sursis d'un an.
C'est un bras de fer judiciaire qui dure depuis 13 ans. Si les agneaux de prés-salés ont toute leur place dans la Baie du Mont-Saint-Michel, les bergeries abritant les animaux doivent respecter des règles dans ce territoire particulièrement protégé par la loi littoral. François Cerbonney, malgré plusieurs refus de permis de construire, y a tout de même érigé une bergerie de 980 m2, sur la commune de Genêts près de Granville, déclenchant les foudres de l'association Manche Nature. Une longue bataille judiciaire débutée en 2009 aurait pu connaître son épilogue ce mardi 13 septembre 2022. Mais la justice a, en quelque sorte, accordé à l'éleveur une année de sursis.
Dans son arrêt, la cour d'appel de Caen ordonne la destruction du bâtiment d'ici 12 mois. Passé ce délai, François Cerbonney sera soumis à une astreinte financière de 50 euros par jour. Et c'est un homme visiblement très abattu à l'annonce de cette décision qu'a rencontré ce mardi après-midi notre équipe. "Douze ans de combat pour en arriver là alors que tout le monde est derrière moi, tout le monde trouve ça illogique", se lamente le berger, "Je n'ai plus envie de faire quoi que ce soit dans ce pays."
14 ans pour démolir
Dans le camp adverse, l'analyse de la décision rendue ce mardi diffère quelque peu. "Le juge est cool. C'est quand même une construction qui date de 2009. Il a encore un an, ça nous remet en octobre 2023", estime Maître Benoist Busson, l'avocat de l'association, "14 ans pour démolir, j'ai connu, dans des domaines comme l'expulsion de locataires ou de gens du voyage, une justice, un Etat, beaucoup plus virulent, beaucoup plus rapide."
La démolition de la bergerie aurait dû s'achever avant le 19 avril 2021. Quatre ans plus tôt, Manche Nature obtenait gain de cause auprès de la justice. Le tribunal de grande instance de Coutances ordonnait la destruction du bâtiment, en infraction au plan d'occupation des sols et à la loi Littoral. Quatre ans plus tard, la bergerie incriminée était toujours debout. Manche Nature se tournait alors vers le juge de l'exécution de Coutances. François Cerbonney devait démonter avant le 19 avril 2022 sa bergerie sous peine d'une astreinte financière de 150 euros par jour.
De nombreux soutiens
Les mois ont passé et l'ardoise de l'éleveur a atteint les 18 000 euros (une ardoise annulée par l'arrêt rendu ce mardi). Car François Cerbonney ne s'est pas avoué vaincu et a décidé de faire appel le 12 mai 2022 devant la chambre civile de la cour d'appel de Caen. "Je préfère aller jusqu’au bout et garder mon outil de travail quoi qu’il en coûte", déclarait alors le berger. Qui a bénéficié jusqu'alors de nombreux soutiens. A commencer par celui des élus locaux.
Avant de construire sa bergerie en bois, l'éleveur avait dû, sur décision de justice, démonter les huit tunnels bâchés qu'il avait installés pour abriter ses 350 bêtes. En 2011, le maire de Genêts de l'époque lui avait accordé un permis de construire pour régulariser le bâtiment de 980 m2 érigé deux ans plus tôt sans autorisation (le permis a été annulé l'année suivante par le tribunal administratif de Caen). François Cerbonney a également été soutenu dans son combat par le sénateur de la Manche Jean Bizet (dont les relations avec le président de Manche Nature, Yves Grall, n'ont rien d'idyllique).
S'inspirant de la ZAD de Notre Dame-des-Landes, le berger a réussi à constituer autour de lui un comité de soutien baptisé "Bergerie à défendre" ( BAD) et composé de clients, d’amis, d’habitants et de l’actuelle maire de Genêts. "Je considère qu’avec la qualité de son travail, son savoir-faire et le rôle indispensable des troupeaux pour l’équilibre naturel de la baie, François Cerbonney et sa bergerie font partie d’un patrimoine qu’il faut préserver. Les lois sont parfois incohérentes, c’est mon rôle d’élue de le dénoncer", déclarait l'an dernier Catherine Brunaud-Rhyn, la première magistrate de la commune. Des parlementaires de la Manche, comme Bertrand Sorre ou Philippe Bas, mais aussi le président de Région Hervé Morin, ont également pris la défense de l'éleveur.
Manche Nature laisse une porte ouverte
L'association de protection de l'environnement Manche Nature ne veut pas endosser le rôle du méchant dans cette histoire. Elle indique avoir proposé au berger des solutions d'aménagement respectueuses de la loi Littoral. Les deux parties se sont retrouvées à deux reprises (le 5 novembre 2021 et le 25 février 2022) autour d'une table pour négocier une sortie de crise en présence du sous-préfet, d'élus et du conservatoire du littoral.
"Les gens de Manche Nature pourraient rentrer tous dans les ordres tellement ils ont été patients (...) Manche Nature a toujours joué le jeu de la négociation. Une fois qu'il y a eu le jugement de démolition, on n'a pas saisi le juge d'exécution tout de suite, ni en 2017, ni en 2018. On a attendu 2020", rappelle Maître Benoist Busson, l'avocat de l'association, "Lors de la réunion de février dernier, une voie de solution a été trouvée. Mais il appartient à Monsieur Cerbonney de faire des démarches, de redéposer une demande de permis de construire à Vains sur d'autres terrains appartenant au conservatoire du littoral. Et personne n'a de nouvelles de Monsieur Cerbonney depuis le mois de février. Personnellement, je crains qu'un an de plus ou dix ans de plus ça ne changera pas grand chose."
Car François Cerbonney ne semble pas pouvoir envisager un autre site que celui sur lequel il s'est installé voilà près de 20 ans. "Ils (le juge) ont été un peu plus cléments mais ça ne sert à rien. Dans un an, il faut que j'arrête mon métier parce que ma bergerie me coûterait 50 euros." Au téléphone, son avocat, qui vient de lui annoncer la nouvelle, lui explique qu'il n'a plus aucun recours mais qu'il peut mettre à profit ce délai de 12 mois, comme l'enjoint le tribunal, pour trouver une solution. "Ça fait 11 ans qu'il n'y a pas de solution", lui rétorque le berger, "Je sais faire du mouton mais je n'ai pas envie de faire du mouton ailleurs". Et de balayer les propositions qui lui ont été faites il y a quelques mois, "des terrains qui ne sont pas exploitables pour faire de l'agneau de pré-salé."
Que dit la loi Littoral dans la baie du Mont Saint-Michel ?
La loi littoral est né en 1986. Elle avait pour objet de préserver les côtes de la pression immobilière et portuaire de plus en plus importante à l’époque.
Son article le plus connu : L'article L. 121-16 du code de l'urbanisme dispose qu'en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares.
Une loi qui au Mont Saint-Michel est renforcée par le classement de toute la baie en « espace remarquable ». La loi Littoral consacre certains espaces comme devant être particulièrement protégés. Il s’agit des espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Ces zones bénéficient d’une protection interdisant toute construction ou installation. Seuls quelques aménagements légers peuvent y être autorisés. (L. 121-23 du Code de l’urbanisme)