Naufrage d'Agon-Coutainville : la formation au permis bateau en question dans le rapport du BEA mer

Le 12 août 2019, une vedette de plaisance s'était retournée à quelques centaines de mètres de la côte d'Agon-Coutainville, entraînant la mort de trois enfants. Dans son rapport, le Bureau Enquête Accident (BEA) Mer pointe l'inexpérience du skipper et la vétusté du bateau.

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Les trois enfants sont morts noyés. Ils avaient 7, 9 et 13 ans. Le bateau qui les transportait, une vedette à moteur, s'est retourné à 800 mètres de la plage de Passous à Agon-Countainville, le 12 août 2019. A "la barre" du navire, un homme qui effectuait sa deuxième sortie en mer depuis l'obtention de son permis bateau, deux mois plus tôt. Le navire, baptisé "Mille sabords" et bientôt quinquagénaire, avait été acheté d'occasion et révisé dans un chantier. Insuffisamment ? Dans son rapport, le Bureau Enquête Accident (BEA) Mer pointe, près d'un an après le drame, la vétusté du bateau. Le skipper, inexpérimenté, n'aurait pas su faire face aux problèmes techniques. Le BEA recommande donc de compléter la formation du permis bateau.

Osmose et panne moteur à l'origine du naufrage d'Agon-Coutainville

"Le naufrage du Mille Sabords est dû à la vulnérabilité de la coque (...) en polyester." Selon le BEA, un phénomène d'osmose a entraîné l'infiltration d'eau dans le polyester de la coque. "Ce processus est courant sur les bateaux âgés de plusieurs dizaines d'années" et a pour effet d'alourdir le bateau. Le bureau d'enquête estime à 190 kg le poids supplémentaire de la coque, qui pesait 700 kg. Cette surcharge "crée une diminution du franc-bord" (la distance verticale entre la ligne de flottaison et le pont principal) "particulièrement préjudiciable, même par mer peu agitée, compte tenu des dimensions modestes du navire" de 4,90m, relève le rapport. 

Lors de la tragique sortie en mer du 12 août 2019, le skipper a décidé de faire demi-tour au bout d'un quart d'heure, les enfants étant pris de nausée. Mais le moteur du bateau est tombé en panne . Et l'eau a commencé à pénétrer dans l'embarcation. La "sortie de relativement courte durée ne constituait (...) pas une imprudence", estime le BEA, au regard des conditions météorologiques, mais "le manque d'expérience du skipper a eu pour conséquence un excès de confiance en son navire" et ne lui a pas permis "de faire face à ces deux événements perturbateurs". 

Des chantiers enjoints à être "systématiquement fermes"

Dans ses conclusions, le Bureau Enquête Accident recommande aux néophytes "de prendre l'avis d'un expert" lors de l'achat d'un bateau et enjoint les chantiers navals à "systématiquement rester fermes vis-à-vis de leurs clients, lorsque leurs demandes ne vont pas dans le sens de la sécurité sans qu'ils en aient conscience." Enfin, il préconise "d’ajouter au référentiel du permis plaisance un module sur les risques d’avarie pouvant survenir à bord des navires anciens."

A la lecture des observations du BEA sur l'état du bateau, Serge Schmit, gérant de Sécurimer à Honfleur, s'étonne : "C'était une gaufrette !? Pour que l'osmose fasse ça, il faut carrément que le bateau soit pourri". Selon ce formateur au permis bateau, le phénomène d'osmose, bien connu du monde de la plaisance, génère rarement une telle vulnérabilité. "Des bateaux en mauvais état, il y en a très très peu", estime son confrère, Bruno Sans-Refus, de Normandie Navigation à Grandcamp-Maisy, "Si vous achetez un bateau à moins de 10 000 euros, c'est qu'il y a du travail à faire dessus. C'est comme une voiture à 1000 euros : elle ne passe pas le contrôle technique."  

La loi de Murphy

Chez Sécurimer, on reconnait qu'un minimum de connaissances techniques et mécaniques ne pourraient pas faire de mal. "Les problèmes de coupe-batterie ou d'étouffoirs de pompe à injection, c'est tout con mais ça peut avoir des conséquences catastrophiques. En bateau, normalement, il n'arrive rien parce que les gens sont responsables. C'est beaucoup moins dangereux qu'en moto", affirme Serge Schmit, "Le problème, c'est qu'en mer, les problèmes ont tendance à s'enchainer. C'est la loi de Murphy. Quand il y a un gros pépin, c'est qu'il y a eu deux-trois négligences, qui ne sont pas graves en elles-mêmes mais qui s'enchainent.

Pour autant, les deux gérants de centre de formation que nous avons contactés estiment que la priorité n'est pas là. "Dans le permis côtier, il n'y a pas grand chose sur la sécurité", déplore Serge Schmit. "Dans le permis bateau, on apprend juste à manoeuvrer, ce n'est pas aussi encadré, aussi strict que le permis voiture", indique Bruno Sans-Refus.

La plaisance, c'est prendre du plaisir, pas prendre des risques

Bruno Sans-Refus

Et pourtant, "le permis bateau, ça doit d'abord être de la sécurité, surtout au niveau de la météo". Et le patron de Normandie navigation de s'emporter contre les manuels de code et certaines questions d'examen. "On laisse entendre qu'on peut sortir dans les conditions de mer qui correspondent à la classification du bateau (A,B,C, D qui déterminent les performances du bateau face à l'état de la mer et la force du vent). C'est une erreur et c'est un vrai problème ! En tant que débutant, avec un permis tout neuf, il est hors de question de prendre la mer dans certaines conditions. Moi je dis à mes élèves : au-delà de 3, on n'y va pas. La plaisance, c'est prendre du plaisir, pas prendre des risques.

La mer pour les vieux loups ?

La mer, la vraie, serait-elle uniquement réservée aux vieux loups ? "La mer, c'est du vécu. On apprend par soi-même, de ses expériences", pour Bruno Sans-Refus, "il faut deux-trois ans d'expérience." A Honfleur, son confrère Serge Schmit suggère quelques pistes pour améliorer la formation. "Il faut savoir mouiller quand on a un problème moteur, c'est la meilleure compagnie d'assurance qu'on puisse avoir. Le problème , c'est qu'il y a plein de ports où ce n'est pas autorisé", indique le gérant de Sécurimer, "Idéalement, il faudrait aussi apprendre aux débutants comment on percute (déploie) un radeau de survie. Quand on ne l'a jamais fait, c'est extrêmement compliqué, c'est très lourd à manipuler et il y a une technique à connaître pour le remettre à l'endroit."

Reste à convaincre les navigateurs en herbe. "On a proposé des modules de perfectionnement mais il n'y avait pas grand monde car ce n'était pas obligatoire", raconte le patron de Sécurimer. Et la question du prix pourrait en rebuter plus d'un. "Une meilleure formation, c'est une formation plus longue donc plus chère. Le risque, c'est que des gens aillent naviguer sans rien." Ou se rabattent sur les prestataires qui cassent les prix. "Il faut plus de sécurité mais pour cela il faut aussi encadrer les prix. Il faut empêcher les permis côtier à 200 euros. Les bateaux école ont une rentabilité très faible", indique Serge Schmit.          

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