Ces dernières années, le bulot, qui fait la fierté du littoral ouest de la Manche (et plus particulièrement de Granville) se fait de plus en plus rare. Le coquillage, une espèce qui s'épanouit dans les eaux froides, ne se trouverait plus à son aise en Normandie.
C'est le coquillage phare de Granville. Longtemps, il fut déconsidéré, tout juste bon à servir d'appât pour la pêche au cabillaud. Il a pourtant réussi à se faire une place dans nos assiettes et décrocher ses lettres de nobelles avec un label MSC, certifiant une pêche durable, en 2017, et surtout, deux ans plus tard, une Indication géographique protégée (IGP). Mais paradoxalement, alors qu'il se trouve au sommet, le bulot se fait de plus en plus rare dans les eaux normandes.
Sur le port de Pirou, c'est l'heure de la débarque. Eric Le Diacre est plutôt satisfait. Le pêcheur ne fait que du bulot, il a commencé à l'âge de 20 ans, et ce jour là il ramène sur la terre ferme près de 600 kilos de marchandise. Eric est content car en ce mois d'octobre, c'est la première fois qu'il parvient à pêcher une telle quantité. Mais il a encore de la marge avant d'atteindre le quota imposé de 810 kilos. "Cet été, on avait du mal à faire 200 kilos", souligne-t-il. "Quand j'ai commencé, on avait le droit à 900 kilos et tous les jours on faisait le quota. Il y avait juste une petite coupure l'été. Maintenant, pendant près de six mois, on a du mal à faire le quota. aujourd'hui, j'ai fait 600 kilos. Est-ce que je vais les faire encore quelques jours ? Je ne sais pas. Ce n'est pas régulier du tout."
Des mesures...insuffisantes ?
Cette inquiétude est partagée par toute une filière. "On organise ce jeudi une réunion avec les pêcheurs pour voir comment mettre en place des zones de prospection. Une fois qu'on aura des résultats sur la ressource, on pourra mettre en place des mesures adaptées sur la pêche pour la pérenniser", indique Lucile Aumont, chargée de mission au Comité régional des Pêches. Des mesures, la filière en a déjà prises ces dernières années : des quotas - "En 20 ans on est passé d'une tonne deux par bateau à 810 kilos cette année" - une taille limite des bulots et des périodes de fermeture (weekends, jours fériés et le mois de janvier) pour "permettre à la ressource de se reposer". Sans compter une baisse de l'effort de pêche : "On est passé de 80 licences en 2008 à 66 aujourd'hui". Sur ce dernier point, Lucile Aumont précise : "il y a l'effet socio-économique à prendre en compte : les entreprises de pêche doivent rester rentables."Malgré l'effort de préservation de la ressource, la situation ne cesse de s'aggraver. Au-delà du constat, les professionnels tentent de trouver une explication. "Ça fait trois ans qu'on n'a pas d'hiver, de gros hiver, l'eau ne se refrodit pas beaucoup et quand l'eau est chaude, le bulot se terre, c'est le contraire de l'hivernage", explique Eric Le Diacre.
Trop chaud pour se reproduire ?
La piste du réchauffement climatique a été explorée en 2016 dans le cadre d'une étude. "C'est difficile de le prouver directement, il y a beaucoup de variables et le milieu n'est pas figé", indique Laurence Hégron-Macé, responsable du pôle pêche à Synergie Mer et Littoral, "mais on a pu constater que le réchauffement des masses d'eau pouvait avoir une incidence sur la reproduction des bulots, sur la production de pontes : plus la température est élevée, moins le bulot est en capacité de pondre. Ça aurait aussi des effets de retardement sur le cycle de reproduction, notamment sur la production de spermatozoïdes des mâles."Et de s'interroger : "Est-ce que le bulot aura la capacité au fil du temps de s'adapter ? Ou alors, est-ce qu'il se déplacera ?". Pour tenter de répondre à cette dernière question, une étude vient de démarrer dans les Hauts-de-France, un secteur où l'eau est plus froide. Une terre d'asile pour les bulots normands ?