TEMOIGNAGE. Agriculture. "J'ai mis tout mon argent dans mon exploitation, je n'ai pas un rond de côté. Je suis mort moi, à 53 ans, je ne vais pas changer de métier"

La FNSEA appelle les agriculteurs à manifester le 15 novembre 2024. Agriculteur depuis plus de 25 ans dans le Sud-Manche, Raphaël nous confie son quotidien, souvent difficile, dans son exploitation et ses nombreuses inquiétudes.

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Tous les matins, Raphaël se lève à cinq heures. Il se prépare, prend un petit-déjeuner et enfile sa blouse de travail pour aller voir les 110 vaches laitières qui occupent son exploitation dans le Sud-Manche. Une routine que l'agriculteur répète depuis plus de 25 ans, mais ces dernières années une même question le taraude presque tous les jours : "Franchement, je me demande quelle est la finalité de mon métier aujourd'hui ?"

"Depuis plusieurs années, je vois les choses changer, je vois les agriculteurs galérer "

Raphaël a 53 ans et baigne dans le monde agricole depuis sa tendre enfance : "Mes parents avaient, eux aussi, une exploitation de vaches laitières. On aime l'élevage, on est né dedans, très jeune, on est habitué à bosser à la ferme. On sait tellement tout faire que ça devient une évidence de se tourner vers ce métier."

Alors après quelques années de salariat, Raphaël décide d'avoir sa propre affaire à l'âge de 26 ans : "J'étais passionné et j'ai voulu me lancer. Organiser mes journées comme je veux, être mon propre patron était une vraie fierté pour moi, mais c'est bien des emmerdes aussi !", nous confie ce dernier. "Depuis plusieurs années, je vois les choses changer, je vois les agriculteurs galérer."

Aujourd'hui Raphaël arrive à se dégager un salaire allant de 1200 à 1600 euros net par mois.

Je fais 60 heures minimum par semaine pour dégager un salaire acceptable, soit entre 1200 et 1600 euros par mois.

Raphaël

Agriculteur dans le Sud-Manche

L'agriculteur avoue que : "Malgré la hausse du prix du lait aujourd'hui, on a toujours un déficit de rentabilité." Et pour s'en sortir, il lui faudrait un deuxième salarié. Mais à l'heure actuelle, c'est impossible : "Quand tu es chef d'exploitation, ton salarié fait 39h mais touche autant que toi. Pour que je puisse me dégager un salaire, je ne peux pas employer quelqu'un d'autre et pourtant avec les 900.000 litres que je produis par an, j'ai besoin d'un autre salarié".

L'inquiétude de son avenir au quotidien

On sent le ras-le-bol dans sa voix : "Les artisans, eux, s'installent, ils galèrent un ou deux ans et après, ils peuvent finir par avoir de l'ambition et multiplier les salariés. Nous, plus on multiplie le nombre de salariés, moins on s'en sort. Comment faire pour payer des gens quand on arrive à peine à se payer ? On est sur une activité économique où on ne se retrouve pas."

Raphaël a investi plus de 500.000 euros dans son exploitation et en valeur "bilan" sa ferme vaut près d'un million d'euros. Le travail d'une vie qu'il a capitalisée dans ses bâtiments et outils agricoles :

J'ai mis tout mon argent dans mon exploitation, je n'ai pas un rond de côté. Je suis mort moi, à 53 ans, je ne vais pas changer de métier et à ce jour, je n'ai aucun repreneur potentiel. 

Raphaël

Agriculteur dans le Sud-Manche

Il ne lui reste que quinze ans à travailler et la vente de sa ferme l'inquiète profondément : "Je n'ai pas d'argent de côté pour ma retraite. Tout le capital est dans mon exploitation et je me demande, au moment où je vais vendre, mais qui voudra la reprendre ? Quels jeunes voudraient se lancer là-dedans, travailler autant pour gagner aussi peu ?" Il ajoute : "Je produis 900.000 litres à l'année alors que mes parents en produisaient 200.000. Ils vont devoir produire combien ces jeunes pour s'en sortir ?"

"T'es en train de te bousiller la santé"

Il a par le passé investi de l'argent pour moderniser sa ferme, mais depuis un moment ce n'est plus le cas : "On a trop de charges, la main-d’œuvre, l'essence, etc. Si je ne trouve pas de repreneur, à quoi bon investir ? Quand un potentiel acheteur se manifestera, je me pencherai sur la modernisation. Mais pour le moment, ce n'est juste pas possible."

Depuis quelques années, les questions fusent dans sa tête : "Surtout en ce moment, je vous avoue. Je fais un peu le bilan de ma carrière et je me dis que je n'ai pas un sou en poche". Il poursuit, la voix pleine de colère : 

Autant d'engagements, de sacrifices comme voir peu ma famille, mes enfants. Parfois, je me dis "merde, j'ai loupé quelque chose ou quoi ?" ou "t'es en train de te bousiller la santé" mais là, je ne peux plus reculer.

Raphaël

Agriculteur dans le Sud-Manche

Des doutes, des questions qui sont au centre de son quotidien : "J'en parle souvent avec ma femme. Heureusement qu'elle est là, heureusement que je peux lui parler".

L'exploitant à trois enfants et aucun, à ce jour, ne compte suivre la voie de leur père : "J'avoue que je serais heureux de me dire que ce capital leur revient et qu'ils continuent ce que j'ai écrit après l'avoir moi-même fais avec mes parents. Mais d'un autre côté, je suis aussi content qu'ils suivent leur propre chemin et qu'ils s'évitent tous ces soucis".

La peur de ne pas trouver de repreneur

Moins d’un an après la fronde des agriculteurs, qui a tenu le pays en haleine pendant plusieurs semaines, les syndicats majoritaires ont appelé mardi à une nouvelle mobilisation nationale à partir de mi-novembre. LA FNSEA pointe notamment du doigt les discussions sur un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) approcher d’une conclusion. Raphaël ne sait pas encore s'il pourra descendre dans les rues : "Ça va dépendre de l'activité chez moi. Je ne peux pas tout laisser et aller revendiquer des choses, c'est compliqué."

Même s'il soutient entièrement le mouvement : "Ils ont totalement raison de lancer cet appel. Faut que ça bouge. Avec la dissolution à l'Assemblée nationale, on a perdu quatre ou cinq mois sur les sujets agricoles. Et puis la crédibilité du monde politique, j'ai du mal. C'est inquiétant !"

Il y a moins d'un an, Raphaël s'était mobilisé pour défendre son métier : "On a pu maintenir des avantages fiscaux grâce aux mouvements, mais ça ne règle pas tout. On vend notre lait 500 euros les 1000 litres. Ce n'est pas assez !"

Et quand on lui demande le prix de référence avec lequel il pourrait s'en sortir, Raphaël répond : "Que vaut un homme ou une femme qui travaille plus de 60 heures par semaine et qui a investi plus de 500.000 euros dans son exploitation ? Combien ça vaut ça ? Je pose la question à la société."

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