L'épuisement des Ukrainiens de Normandie après six mois d'exil : "Je veux rentrer à Kiev dès que possible"

Quelques familles ont trouvé refuge à Bagnoles-de-l'Orne, une station thermale tranquille située dans l'Orne, à des années-lumière de la guerre. Les thermes emploient une dizaine de femmes. Leurs enfants préparent la rentrée scolaire. L'exil s'installe dans la durée. Le mal du pays les ronge. Personne n'avait imaginé que l'éloignement serait si long, si déchirant.

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Au premier étage des thermes, Yulia malaxe la boue qu'elle s'apprête à appliquer sur la peau des curistes. "J'ai besoin de ce travail pour vivre ici. Je suis très reconnaissante à l'égard de la France, de mes employeurs et de mes collègues", explique-t-elle en anglais. Son regard se perd. Après quelques secondes de silence, elle ajoute : 

Je veux rentrer en Ukraine dès que possible. Je ne sais pas quand. En septembre, en octobre, en novembre. Je veux retourner chez moi, à Kiev. 

Yulia, réfugiée ukrainienne

France 3 Normandie

Yulia s'engouffre dans une cabine de soins où l'attend une curiste qui loue la gentillesse de cette jeune femme de 31 ans. "Elle est très gentille". Odessa Jouan qui a supervisé la formation de ses collègues ukrainiennes salue une attitude irréprochable.

Elles sont toujours souriante, mais parfois, on sent qu'elles ne sont pas vraiment là. Elles sourient, mais il y a de la tristesse.

Odessa Jouan, référente au B'O Resort

France 3 Normandie

Yulia a quitté Kiev en catastrophe dans les premiers jours du mois de mars quand l'armée russe tentait de s'en emparer. Elle était journaliste. "J'avais des amis, des loisirs. J'avais une belle vie". Son mari est resté en Ukraine. Son regard trahit le manque et l'inquiétude.

Au mois de mai, l'établissement thermal, qui peine toujours à recruter, a tenté un pari : onze Ukrainiennes et un Ukrainien se sont vu proposer une formation au métier d'agent thermal. "On avait un petit doute à cause de la barrière de la langue", admet Bruno Tola, le directeur du complexe B'O Resort. Au terme de ce stage, dix personnes ont été recrutées pour la saison, jusqu'en novembre. "Elles donnent entière satisfaction. Elles sont comme tous les autres salariés, elles font partie de l'équipe On a régulièrement des courriers de félicitation de curistes". Le contrat saisonnier prévoit aussi la mise à disposition d'un logement à l'hôtel de thermes situé juste en face de l'établissement.

"J'avais une belle vie en Ukraine"

Sur la terrasse de l'imposante bâtisse, une conversation s'engage en ukrainien. Olena Mistal est venue rendre visite à quelques compatriotes. Cette Ukrainienne qui habite à Bagnoles-de-l'Orne est installée en France depuis 2005 et et avec son association franco-ukrainienne de Normandie, elle s'est beaucoup impliquée dans l'accueil des familles de réfugiés. "J'essaye d'aider les gens à trouver du travail, à s'inscrire à l'école. Il faut les aider à vivre ici. C'est la meilleure façon de ne pas se poser trop de questions douloureuses".

En apparence, l'intégration est exemplaire. Irina travaille aux thermes. Sa fille Zlata va rentrer au collège en classe de 4ème : elle comprend déjà l'essentiel des conversations en français. A l'autre bout de la table, Angela veille sur Maksym, déjà parfaitement bilingue. A 15 ans, il doit effectuer sa rentrée en classe de première avec un an d'avance. Yulia qui a les mains dans l'argile est son autre fille. 

Sur le plan matériel, les familles sont à l'abri. "Le dispositif sera prolongé autant que nécessaire, explique Bruno Tola. Elles sont avec nous jusqu'à cet automne. Si malheureusement la situation en Ukraine n'a pas changé d'ici là, elles resteront dans la résidence cet hiver et si elles le souhaitent, elles seront réemployées en février."

Le mal du pays s'installe

"Ici, nous sommes peut-être en sécurité, mais il faut batailler tous les jours", résume Nikita pour décrire ce sentiment étrange que partagent tous les réfugiés. Le jeune homme travaille également aux thermes en attendant de pouvoir faire homologuer son diplôme de chirurgien-dentiste obtenu en Ukraine. "Il faut bien comprendre que pour un Ukrainien qui ne parle pas la langue, qui découvre un autre pays, une autre culture, une autre mentalité, tout est difficile", ajoute-t-il dans un français déjà fluide.

Les gens essayent de faire face, mais comment trouver la force ? Des gens craquent. Tout le monde est déchiré. Une partie des familles est encore là-bas. Et c'est culpabilisant d'être ici, à l'abri des bombardements.

Olena Mistal, association franco-ukrainienne de Normandie

France 3 Normandie

"Je pense à l'Ukraine tout le temps. Mon père est là-bas, mes grands-mères aussi", dit Maksym. Sa voix assurée se fait soudainement tremblante. "Ça me fait mal au ventre parfois. C'est difficile". En quittant le pays pour fuir les bombes, personne n'avait imaginé que le voyage serait si long. Le temps passe et le mal du pays s'installe. Olena tente de trouver les mots qui apaisent : "La situation est douloureuse. Il faut se lever le matin et faire le travail. Il faut donner le bon exemple. Notre stabilité ici donne le courage aux hommes qui sont là-bas. C'est ce qui leur donne la force de résister". 

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