Jean-Paul Lefèvre est médecin généraliste dans le quartier de la ZUP de Flers (Orne) depuis 45 ans. Un homme passionné par son métier, heureux de partir à la retraite. Une page qui se tourne même sil ne s'en va pas l'esprit tout à fait tranquille. Ses 4 000 patients vont se retrouver sans médecin traitant.

45 ans que sa plaque de médecine générale est apposée sur un bâtiment de la ZUP de Flers dans l’Orne. Au moment de la décrocher, Jean-Paul Lefèvre en a les larmes aux yeux : « Cette plaque je l’avais placardé le 3 juillet 1978 avec mon père. Une page se tourne vraiment, ouais... c’est un grand moment ! ».

Ce jeudi 30 mars marque la dernière journée de travail de ce médecin généraliste âgé de 74 ans. Enthousiaste, il arrive dans son cabinet de bon matin et salue sa secrétaire médicale « Salut, ça va Sophie ? ». Il passe devant la salle d’attente où plusieurs patients sont déjà là. « Bonjour, ça va ? Et ta fille elle va bien ? J’arrive tout de suite » lance-t-il à l’un d’entre eux.

Soigner ses patients, une passion

L’homme s’installe à son bureau. Quand on lui demande ce qu’il ressent, a lors qu'il s'apprête à quitter cet endroit, il répond : « J’ai une certaine émotion après toutes ces années de service, c’est une grande page qui se tourne mais je suis heureux. J’ai rempli ma mission, j’ai travaillé, je m’en vais ! C’est l’ordre des choses ».

45 ans qu’il travaille dans ce même cabinet à l'odeur de cigarette. Ici la décoration n’a jamais changé. Le papier peint date du début des années 80 et par certains endroits il se déchire. Une chaise est légèrement trouée en plein milieu. Un mur est rempli de dessins d’enfants qui sont maintenant devenus des adultes et qui n'ont jamais cessé de consulter le Dr Lefèvre. Dans un coin des centaines de dossiers papiers s’entassent. « Oh vous savez la déco je m’en fiche, mes patients ont l’habitude ! Je n’ai pas le temps pour ça, ce qui compte pour moi, c’est de les soigner » nous confie-t-il avec le sourire.

Des consultations jusqu'à la dernière minute

D'ailleurs, très vite, il reçoit sa première patiente. Il décortique ses analyses : « Vous avez beaucoup d’arthrose, ça serait bien que je vous fasse un courrier pour que vous rencontriez un chirurgien orthopédiste ». Rosa Correia a 87 ans. Elle est portugaise et a toujours vécu dans le quartier. « Merci beaucoup docteur et bonne retraite à vous, il est temps que vous vous reposiez » lui répond-t-elle.

L’émotion est là mais le médecin ne veut pas que la rupture soit trop violente après cette dernière consultation. « Alors oui je pars à la retraite, mais vous avez mon numéro de portable, vous m’appelez et vous me tenez au courant ». Une manière, peut-être aussi, d’apaiser son inquiétude : « Ça fait 40 ans que je consulte le docteur Lefèvre. Je n’ai plus de médecin traitant maintenant, je vais devoir en chercher un, ça va être compliqué. J’irai à l’hôpital en cas d’urgence ».

Jean-Paul Lefèvre la raccompagne à la porte en lui claquant la bise. Il est joyeux de tourner cette page mais a quand même le cœur lourd : « C’est normal, j’ai l’âge de partir, je ne veux pas faire le match de trop ». Il ajoute :

 « Ce qui m’attriste c’est que je tends le relai mais que personne n’est là pour le prendre. Si seulement il y avait une continuité, un successeur, j’aurais été plus apaisé »

Jean-Paul Lefèvre

Médecin généraliste retraité

4 000 patients sans médecin traitant

En France, la moyenne nationale est de 1 200 patients pour un médecin généraliste. Jean-Paul Lefèvre en a 4 000 à lui tout seul et tous vont se retrouver sans médecin traitant.

  « J’ai un fond de tristesse d’abandonner toute cette population, je ne pars pas l’esprit libre »

Jean-Paul Lefèvre

Médecin généraliste retraité 

Depuis 2022, l'Orne ne compte que 158 médecins pour les 279 755 habitants. Avec le départ à la retraite de Jean-Paul Lefèvre, il ne restera plus que 3 médecins dans la ville de Flers. Un quatrième va les rejoindre d’ici quelques semaines et tous vont s’installer au sein du pôle de santé flambant neuf.

Mais avec une population de 15 000 personnes, l’offre de généralistes ne suffit pas dans cette commune qui reste touchée de plein fouet par la raréfaction de l'offre médicale. « Il n’y a pas eu de volonté politique d’assurer un maillage harmonieux du territoire national par rapport à l’offre de soin. Maintenant on se trouve dans une situation très compliqué pour les patients qui recherchent un médecin traitant », regrette le nouveau retraité.

Un médecin et des patients inquiets

En attendant de trouver un nouveau médecin, les patients continuent à défiler dans le cabinet de Jean-Paul Lefèvre. Certains sont là pour lui dire "au revoir" et lui offrir un cadeau en lui souhaitant une bonne retraite : "On m'a offert des bières, du chocolat, des loukoums, des mugs et plein d'autres choses ! Ma femme me dit que je pourrais ouvrir une épicerie au lieu de me mettre à la retraite", il ne peut s'empêcher de rire en nous racontant cette anecdote.

Et entre les rhumes, les médicaments à renouveler ou simplement les bobos du quotidien, beaucoup sont surtout présents pour une dernière consultation et se posent de nombreuses questions. Dans la salle d’attente, certains nous partagent leur inquiétude :

«J’ai cherché mais je n’ai pas trouvé de médecin, je ne sais pas comment je vais faire, on est inquiet, ça va être dur sans ce docteur qui me suit depuis 35 ans »

Un patient

Une habitante du quartier nous lance : « 30 ans que je le consulte, il est très bien mais c’est la vie, on va voir comment on va faire. J’ai 3 enfants, Monsieur Lefèvre était aussi leur docteur ».

D’autres sont beaucoup plus dans l’émotion et sont même peinés de ne plus pouvoir consulter cet homme qui était bien plus qu’un simple médecin généraliste : « Vous savez, il fait presque partie de la famille, nos enfants ont le même âge, on parle beaucoup. Il est très à l’écoute. Il va vraiment me manquer car il faisait partie des murs de ce quartier ».

Cette femme, qui vit également dans le quartier de la ZUP, termine sa consultation en embrassant Jean-Paul Lefèvre mais aussi Sophie Jeanne, la secrétaire médicale, qui travaille ici depuis 23 ans. « Des liens se sont créés avec Jean-Paul et beaucoup de patients. J’ai un petit pincement au cœur, mais je le prends avec philosophie » nous confie cette dernière le sourire aux lèvres.


"Ce n'est qu'un au revoir"

Un sourire que l’on peut aussi voir sur le visage du docteur. La nostalgie commence à s’installer en saluant ses patients un à un. L'homme est fier de son parcours. Il a toujours travaillé sans compter ses heures.

« J'ai souvent terminé mes journées à minuit, je ne lâchais aucun patient...  ça ne va pas être la même chose avec les nouveaux médecins qui arrivent mais que voulez-vous ?»

Jean-Paul Lefèvre

Médecin généraliste retraité

Soigner restera la grande passion de ce monsieur, mais ce normand a aussi d’autres amours comme la photographie, les voyages, le golf ou simplement passer du temps avec ses amis. Une nouvelle vie que Jean-Paul Lefèvre a hâte de savourer. Même si, finalement, il ne sera jamais très loin de ses patients puisqu’il continuera de vivre à Flers.

À revoir :

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A 74 ans, Jean-Paul Lefèvre, médecin généraliste, part à la retraite. Ses 4000 patients vont devoir trouver un nouveau médecin traitant. ©France 3 Normandie

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