Management brutal, insubordination : Punies pour "comportement inadapté", des infirmières de psychiatrie dénoncent l'autoritarisme de leur direction

Un profond malaise touche le service de psychiatrie de l'hôpital de Flers (Orne) depuis plusieurs mois. La direction a suspendu ou réaffecté plusieurs soignantes, qui, elles, dénoncent le despotisme de leur hiérarchie. Le tout, sur fond de désaccord sur la réforme nationale de la prise en charge psychiatrique.

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Au moment où la santé mentale est érigée comme priorité gouvernementale par le nouveau Premier Ministre Michel Barnier, l'affaire est révélatrice du profond malaise qui touche les services de psychiatrie. Entre pénurie de médecins, réforme des pratiques, fermeté de la hiérarchie et défiance de la base, le conflit au sein de l'hôpital Monod de Flers (Orne) est symptomatique d'un système à bout de souffle, de nerfs et de moyens.

Six soignantes sanctionnées au printemps

Fin avril, deux infirmières expérimentées du service psychiatrie - plus de 20 ans dans le service - ont été suspendues par la direction. Leurs torts selon la hiérarchie : l'utilisation inappropriée de couteaux pointus en salle de pause, une insubordination répétée et des critiques et désaccords sur la prise en charge des patients. 

C'est d'ailleurs ce dernier élément qui serait à l'origine des sanctions selon plusieurs sources internes. "Il y a eu une boulette des médecins sur la prise en charge d'un patient en particulier, et ils veulent faire porter le chapeau aux infirmières", dénonce-t-on du côté syndical. "Elles ont pris des décisions qui dépassaient le cadre de leur mission", rétorque-t-on à la direction. Sans entrer dans les détails, secret professionnel oblige, l'incident serait assez important pour avoir déclenché une enquête interne. 

Il n'empêche, selon le directeur d'établissement hospitalier David Trouchaud, les sanctions sont "justifiées". Dans cette affaire, ce sont au total six soignantes qui ont été sanctionnées et/ou exclues du service de psychiatrie.

Il y a eu un manquement grave aux obligations professionnelles. Je suis assez heurté dans mon éthique professionnelle par le fait que l'on puisse remettre en cause un pouvoir disciplinaire par de l'intimidation et du harcèlement.

David Trouchaud, directeur du groupement hospitalier des Collines normandes

Les soignantes suspendues s'en seraient aussi prises plusieurs fois à leur cadre de service, jusqu'à la mener à l'arrêt de travail. Près de cinq ans après le suicide d'un cadre de psychiatrie dans l'établissement, l'affaire a donc été prise très au sérieux par le directeur, qui n'a visiblement pas mâché ses mots, ni caché son ire aux personnes incriminées. 

La CGT dénonce les "méthodes totalitaires de la direction"

"Il a débarqué en furie dans le service et a hurlé sur les infirmières, qui avaient de quoi être choquées", nous rapporte-t-on. David Trouchaud nous confirme leur avoir reproché vivement "leur comportement inadapté". En revanche, il nie avoir dit en ces termes "Vous n’êtes pas là pour réfléchir mais pour obéir", des propos mis en exergue par la CGT, qui a organisé une manifestation pour dénoncer une "maltraitance institutionnelle, un management brutal" et soutenir les mises en cause, mercredi 25 septembre.

Si l'évènement a rassemblé une quarantaine de contestataires, il n'a pas fait l'unanimité au sein de l'ensemble des services de psychiatrie, ni au sein de l'univers syndical de l'hôpital flérien. La CFTC et FO, majoritaires, ne se sont pas joints au mouvement, et auraient préféré un mode d'action moins radical. En effet, la date de la mobilisation n'a pas été choisie au hasard, ce 25 septembre devait avoir lieu l'inauguration du nouveau centre des consultations et d’hospitalisation de jour en psychiatrie, finalement reportée après l'annonce de la manifestation.

Un désaccord profond sur la réforme de la psychiatrie

Outre les "sanctions disproportionnées" à l'encontre des soignantes, la CGT dénonce la suppression de 5 lits sur les 25 que comportait le service d'entrée. "La direction s'est servie de cette affaire pour supprimer les lits. Au départ, la direction avait justifié la fermeture temporaire par la suspension des soignantes, mais avait assuré que les lits seraient rouverts une fois la procédure terminée, ce qui ne s'est pas produit".

David Trouchaud s'inscrit en faux. "La temporalité a pu coïncider mais les choses sont différentes. On a un effectif médical insuffisant - 4 médecins psychiatres au lieu de 7 -, et un projet de pôle qui va vers l'ambulatoire. Dans le service, on avait un taux d'occupation de 80%, donc on a simplement ajusté par rapport à la demande. Depuis que l'on a 20 lits, on n'a pas refusé une seule hospitalisation".

Il y a un an, l'hôpital flérien a mis en place les préconisations nationales de réformes de la psychiatrie. En somme, moins d'hospitalisations et d'isolements, plus d'ambulatoire et de prises en charge au domicile des patients. "On est sorti d'une logique du tout enfermement en santé mentale, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle", se félicite David Trouchaud qui assure que "l'autonomisation des patients est une bonne chose". 

En conséquence, des services ont été réorganisés après plusieurs réunions de travail. De celles-ci ont émergé des tensions entre les réformistes, menés par la cheffe de pôle le Dr Elena Landais, et des soignants plus conservateurs. 

J'ai présidé cinq groupes de travail qui ont eu six séances chacun. On a largement concerté et écouté. Il y a un moment pour la concertation et un pour la décision. Le projet de pôle a été présenté et validé par la direction et les médecins. Si les gens sont choqués dans leur éthique et dans leur pratique, ils peuvent aller voir ailleurs.

David Trouchaud, directeur du groupement hospitalier des Collines normandes

Attaqués frontalement, certains soignants se plaignent d'avoir de moins en moins voix au chapitre dans la prise de décisions médicales. "La psychiatrie n'est pas une spécialité où tout est lisse, figé. Il y a des échanges, des débats sur la prise en charge des patients. Du moins, il y en avait jusqu'à l'arrivée du Dr Landais", dénoncent certains soignants.

Climat apaisé ou omerta instaurée ?

Née en Russie, autorisée à exercer en France en 2016, la cheffe de pôle est arrivée à Flers en 2021, après un passage notamment par Rennes. "À son arrivée, Mme Landais a souhaité faire évoluer la psychiatrie vers le 21e siècle. On ne peut que lui en être reconnaissant", déclare le directeur de l'hôpital.

Chaque camp se renvoie la balle. La direction dit "observer un apaisement des tensions dans le service d'entrée depuis la réaffectation des soignantes" préalablement suspendues. La CGT assure de son côté qu'un "climat délétère de terreur et d'omerta s'est instauré". "Soi-disant, le service est plus calme depuis que l'on n'est plus là... La vérité, c'est que personne ne veut faire de vague", déclare une des infirmières sanctionnées.

Ces dernières n'ont pas repris le travail. Profondément touchées par la remise en cause de leur intégrité professionnelle après plus de deux décennies sans troubles, elles n'acceptent pas leur réaffectation en dehors de la psychiatrie. Le malaise n'est pas estompé, l'affaire est loin d'être terminée. 

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