C'est une décision européenne. À partir de janvier 2030, les navires de transport de marchandises et de passagers faisant escale plus de deux heures dans les ports de l’Union Européenne devront se connecter à l’alimentation électrique à quai et utiliser cette électricité pour tous leurs besoins énergétiques. Pour en finir avec le ronflement des moteurs des navires et leur lot de fumées noires s’échappant dans l’atmosphère.
Les Cherbourgeois s'en réjouissent : les escales de paquebots se multiplient dans le port de la Manche. Plus d'une soixantaine sont déjà venus s'amarrer depuis le début de l'année au quai de France. L'image est belle mais les fumées noires que leurs cheminées dégagent ne passent pas inaperçues. Si on les additionne à celles des car-ferries, l'image est quelque peu noircie.
C'est pour cette raison que la ville a accueilli mi-septembre le colloque de l'EOPSA (European onshore power supply association), une association que la ville a rejoint au printemps 2021 et qui fait la promotion de l’électrification des quais. Tous les acteurs de la chaîne étaient autour de la table : autorités portuaires, politiques, énergéticiens ENEDIS, EDF, des producteurs d’énergie étrangers et des technologistes tels que Schneider Electric pour trouver ensemble des solutions.
"L’électrification est essentielle (...) pour Cherbourg-en-Cotentin, d’abord parce que c’est un grand port qui a retrouvé de l’attractivité ces dernières années. Si on veut poursuivre le développement du port, il faut imaginer demain !" explique son maire, Benoit Arrivé.
D'après le président d'EOPSA, tous les voyants sont au vert et le temps presse : "nous avons la compréhension, la technologie et maintenant le subventionnement est désormais une possibilité offerte par l’Union Européenne pour rendre les projets viables. Les pays du Nord sont très en avance, certaines villes du sud de la France on déjà procédé à l’électrification à quai, il faut désormais aller vite. »
Des investissements colossaux
Si la volonté est là, la mise en œuvre n'est pas simple. Pour Philippe Deiss, Directeur général des Ports de Normandie, il faut réfléchir avec les armements et les autorités européennes sur les accompagnements des investissements. "Sur Cherbourg par exemple, le seul poste de croisière va coûter 9 millions d’euros pour la gestion d'une soixantaine escales par an." Et d'ajouter que "sur l'ensemble de nos ports, c’est-à-dire Caen/Ouistreham, Cherbourg, Dieppe, le budget s’élève à 25 / 30 millions pour l’alimentation des paquebots et des ferries. C’est un projet économiquement monstrueux qu’on ne pourra sans doute pas répercuter totalement sur les usagers."
"Mais avant de distribuer l’énergie, il faut qu’elle arrive sur le port techniquement et les pénuries potentielles sont une problématique nouvelle" précise Philippe Deiss. "En outre, il y a des fréquences différentes de courant, celles dont nous disposons et celles des navires. Il va falloir transformer le courant, brancher physiquement ces navires en tout sécurité, il faut avancer en commun avec les armements pour aboutir au même moment."
Comment acheminer plus d'électricité dans les ports ?
"Électrifier le port est une chose" analyse le maire de Cherbourg, " mais il faut se demander comment on produit l’électricité qui va alimenter les navires. Pour électrifier un port, vous devez amener plus de puissance électrique … Vous pouvez faire appel à un énergéticien qui amène le courant à un transformateur qui permet ensuite de brancher le bateau. Pour Cherbourg, il faudra multiplier la puissance électrique car le réseau n’a pas une puissance suffisante." Et ce qui a été fait aux Pays-bas dans le plus grand port d'Europe est une piste à suivre.
Il faut jouer comme à Rotterdam sur le réseau et sur la production d’électricité locale non délocalisable. À Cherbourg, on doit se poser des questions autour de la pile à combustible, autour de l’hydrogène, autour du photovoltaïque mais aussi de l’éolien offshore, et puis bien sûr sur la question de l’hydrolien. Si on arrive à mettre des hydroliennes dans le Raz Blanchard, on sera sur une nouvelle production électrique décarbonée, c’est exactement ce qui a été fait à Rotterdam.
Benoît Arrivé, Maire de Cherbourg-en-Cotentin
Une flotte à transformer
Transformer l'équipement des ports, acheminer plus d'électricité et... transformer la flotte. Vincent Coquenne, responsable du développement durable à la Brittany Ferries explique : "Nous sommes déjà au gaz liquéfié qui réduit à néant nos émissions mais il reste le problème de la décarbonation. On étudie avec intérêt les possibilités d’électrification à bord depuis de nombreuses années. On ne cherche pas à priori à faire des investissements sur des infrastructures en fin de vie, comme le « Barfleur » par exemple qui a 30 ans."
Pour l’armateur, de telles installations demandent des moyens financiers, le nerf de la guerre selon lui : "Côté finances, on parle beaucoup des ports mais côté navires, on a des investissements assez conséquents pour mettre en place les installations, de l’ordre d’un à deux millions en ce qui nous concerne. Il faut équiper les navires à bâbord mais aussi à tribord et à l’arrière des bateaux. Ces outils de travail doivent pouvoir aller dans différents ports, nous devons donc multiplier les prises. Il est clair que les subventions qui pourront être débloquées pour équiper les navires seront déterminantes."
Il faut équiper les navires à bâbord mais aussi à tribord et à l’arrière des bateaux. Ces outils de travail doivent pouvoir aller dans différents ports.
Vincent Coquenne, responsable du développement durable à la Brittany Ferries
De nouvelles mesures de pollution de l'air
Sur l’arc méditerranéen qui concentre 16% du marché mondial de la croisière maritime, les ports ont une longueur d’avance. A Marseille, où la colère contre les paquebots de croisière a encore grondé cet été, les ferries pionniers de la Méridionale se connectent depuis 2017. Une opération qui a bénéficié du fonds européen FEDER via le programme « escale zéro fumée » de la région Sud et du soutien de l’Ademe.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie qui vient de lancer également le projet SHIPAIR afin d’évaluer l’impact des émissions des navires sur les zones urbaines proches des ports.
Des campagnes de mesures dans différents ports français. Au Havre par exemple, l'Atmo Normandie (association pour la surveillance de la qualité de l'air) va procéder à un mois de mesures. Idem à Dunkerque. A Marseille, une campagne à long terme (entre juin 2022 et juillet 2023) sera conduite, et une intensive au printemps 2023.