La pollution engendrée par les technologies numériques et la progression des usages digitaux représente aujourd'hui 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. C'est plus que le secteur de l'aviation si médiatisé. Comment limiter l'impact d'un outil devenu indispensable au quotidien.
Casquette vissée sur la tête, David profite d’une courte pause dans sa journée de travail pour consulter son smartphone. Frénétiquement, ce vendeur dans un magasin de prêt-à-porter scrolle sur Tik Tok. "Je fais ça au moins une dizaine de fois par jour, reconnaît-il, sourire aux lèvres. Je regarde toutes les actus concernant la mode et les clubs de basket. Je regarde aussi beaucoup de vidéos."
Mais David sait-il que ces comportements devenus habituels polluent ? "Pas du tout."
L'impact environnemental du numérique trop peu connu
Et il n’est pas le seul. Sur une quinzaine de personnes de tout âge interrogées dans les rues du Havre, seules trois ont connaissance de l’impact environnemental du numérique. Mathieu et Julie le reconnaissent volontiers : "nous essayons de limiter notre utilisation du web mais ce n’est pas facile car on en a besoin tout le temps dans notre vie quotidienne".
Seule Mélanie, étudiante d’une vingtaine d’années, est d’une sobriété presque déroutante : "J’utilise mon téléphone portable pour passer des coups de fil et je ne l’ai pas changé depuis 10 ans." Et si on lui demande pour quelle raison ? Étonnée par notre question, elle répond "tout simplement parce qu’il marche encore".
Un numérique pas si virtuel
Envoyer un mail, publier une story sur les réseaux ou regarder une vidéo pour passer le temps… Ces habitudes quasi quotidiennes n’ont rien d’anodin. Car le cloud n’est pas un nuage magique et le numérique n’est pas virtuel. Derrière, il y a des ordinateurs, des câbles, des serveurs qui génèrent une pollution invisible mais pas sans conséquence : la pollution numérique.
Il en existe deux types : la pollution liée aux équipements et celle générée par leur utilisation. En France, les smartphones, télés, ordinateurs, tablettes et autres objets connectés engendrent 80% de la pollution numérique. C’est la phase de fabrication qui est la plus néfaste. Elle nécessite notamment d’extraire des métaux lourds et de les traiter chimiquement.
Ces étapes se font le plus souvent en Afrique, en Asie de l’Est et en Amérique du Sud. Le coût environnemental et humain reste impalpable chez nous mais il est réel.
Dans son Guide pratique des impacts du smartphone, "plus de 40 000 enfants travailleraient dans les mines du sud de la République Démocratique du Congo, dont beaucoup dans des mines de cobalt et de coltan, minerais stratégiques que l’on retrouve dans les batteries et les condensateurs des smartphones".
Côté ressources, la fabrication d’un téléphone portable nécessite un peu plus de 900 litres d’eau. Cela représente cinq baignoires remplies.
11 équipements par utilisateur en France
Et la France n’est pas en reste en termes de consommation : chaque utilisateur possède en moyenne 11 équipements contre huit, dans le reste du monde. Cela vous paraît énorme en lisant ces lignes mais amusez-vous à faire le compte chez vous : combien de télé ? D’ordinateur ? De tablette ? De smartphone ? Mais aussi combien d’enceintes et de montres connectées ?
En ce qui concerne la pollution liée à l’utilisation des outils numériques, les vidéos en streaming concentrent à elles seules 60% du transfert de donnés sur le web. Passer son trajet du matin à regarder des reels sur Insta n’est donc pas sans conséquence.
Car chaque fois que vous utilisez internet, vous sollicitez notamment des centres qui stockent les données et consomment à eux seuls 10% de l’électricité en France.
Quelques astuces pour plus de sobriété numérique
Voici quelques éco-gestes faciles à adopter pour limiter son empreinte carbone au quotidien :
- 1. Utiliser la wi-fi plutôt que le réseau 4G.
- 2. Ne pas succomber à la dernière génération de téléphone portable si le vôtre fonctionne encore et privilégier le matériel reconditionné ou d’occasion.
- 3. Fermer ou supprimer les applications non utilisées sur votre smartphone
- 4. Enregistrer vos sites préférés dans l’onglet favoris.
- 5. Brancher vos équipements (télé, box, ordinateur…) sur une seule multiprise avec interrupteur et l’éteindre lorsque vous êtes absent.
- 6. Privilégier le SMS ou une application de messagerie plutôt qu’envoyer un mail. Et si le destinataire est votre voisin de bureau, se lever reste encore la meilleure solution.
- 7. Rédiger des mails courts, limiter le nombre de destinataires et éviter les pièces jointes.
- 8. Trier ses mails régulièrement. 7 mails sur 10 ne sont jamais ouverts en France. Imaginez le nombre de mails stockés pour rien dans les Data center.
- 9. Télécharger une vidéo plutôt que la regarder en streaming quand c’est possible
- 10. Faire des réunions en appel téléphonique plutôt qu’en visio
Vers un numérique plus durable ?
Depuis une dizaine d’années, portés notamment par l’Institut du numérique responsable, de nombreux acteurs du numérique mais pas seulement se sont lancés dans une approche plus durable du numérique.
Olivier Langlet fait partie de ceux-là. Il a fondé Terra Num, une agence de conseil qui accompagne les collectivités territoriales et les entreprises vers une transition numérique durable. Ce suivi passe notamment par un bilan carbone de la structure pour voir où s’améliorer puis par la formation des collaborateurs.
"Le numérique nous accompagne au quotidien depuis environ quarante ans avec l’arrivée de la micro-informatique, contextualise Olivier Langlet. Durant les premières années, comme lors de chaque révolution technologique, nous nous sommes concentrés sur les usages et sur la capacité à développer cet outil pour les citoyens. Mais, depuis 10 ans, on prend en compte les enjeux environnementaux, sociétaux et économiques de cette transition numérique."
L’objectif est que cet outil indispensable dans notre vie quotidienne soit supportable sur un plan environnemental car elle consomme beaucoup de ressources et d’énergie et sur un plan d’accessibilité pour que tous les citoyens puissent avoir un accès au numérique et ne soient pas exclus par exemple de leurs services publics ou du suivi des devoirs à l’école.
Olivier Langlet, fondateur de Terra Num
La France pionnière en termes de réglementations
La France est l’une des premiers à avoir légiféré sur le numérique responsable en Europe. Depuis 2021, la loi AGEC relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a permis notamment la mise en place d’un indice de réparabilité sur les produits électriques et électroniques de consommation courante.
Une manière d’inciter le consommateur à aller vers les équipements dont la durée de vie pourra être prolongée plus facilement.
De même, la loi REEN prévoit de sensibiliser professionnels et particuliers à l’impact environnemental du numérique. À l’école, dès le plus jeune âge, puis à l’université, les élèves recevront ainsi une formation à la sobriété numérique.
La loi incite également au développement de centre de données moins énergivores et renforce la lutte contre l’obsolescence programmée.
Donner une seconde vie aux équipements numériques
Mais Olivier Langlet le sait, l’un des combats les plus importants reste aujourd’hui de prolonger la durée de vie des équipements numériques. D’après un rapport de l’Arcep et de l’Ademe, la durée de vie moyenne d’un smartphone est de deux ans et demi, celle d’une tablette de trois ans.
Via le dispositif Reboot Eco Système, Terra Num propose de reconditionner les ordinateurs dont les entreprises ne se servent plus. L’ensemble des composants est testé et changé si nécessaire pour donner une seconde vie à ces équipements vendus ensuite à un tarif solidaire pour lutter contre la fracture numérique.
"Chaque semaine, nous reconditionnons en moyenne 40 ordinateurs. 83% des PC qu’on récupère repartent sur deux ans d’usage, avec garantie pièces et main-d’œuvre. 10% repartent en pièces détachées pour changer les composants défectueux et 7% sont envoyées sur une filière de retraitement des déchets électroniques basée en Seine-Maritime", détaille le fondateur de Terra Num.
L’éco-conception des outils numériques, une piste d’avenir
Mathieu Cottard, lui, s’est lancé dans un autre défi : celui de l’éco-conception de sites internet.
L'éco-conception de sites web consiste à développer des outils numériques pour répondre aux besoins marketing et fonctionnel des entreprises en consommant le moins de ressources et d’énergie possible
Mathieu Cottard, fondateur de Greenoco
Après avoir calculé l’empreinte carbone d’un site, Greenoco cherche toutes les solutions qui vont permettre d’en réduire l’impact environnemental.
"Le choix des typographies plus ou moins lourdes et l’optimisation des images font partie des leviers d’action. Souvent, une belle photo prise avec un appareil photo de qualité sera finalement surdimensionnée pour un affichage sur l’écran d’un PC. En la compressant, on obtiendra le même résultat visuel et le temps de chargement sera moins long. Résultat, il n’y aura pas de temps d’attente pour l’utilisateur, qui aura une meilleure expérience avec le site et celui-ci sera mieux référencé car l’affichage sera plus rapide", assure Mathieu Cottard.
"En éco-concevant ces outils numériques, on lutte aussi contre l’obsolescence programmée." Car éco-concevoir un site c’est aussi faire en sorte qu’ils soient utilisables même par des terminaux anciens, sans qu’il y ait besoin de mises à jour permanentes ou d’un ordinateur dernière génération. Quand on sait que l’utilisation des sites internet et des tablettes et autres smartphones représentent 20% de la pollution numérique, l’éco-conception n’a donc rien de marginal.
Pour aller plus loin, l'Institut du numérique responsable propose un module de formation en ligne au numérique responsable ici (durée : 30 minutes)