Presque tombée en désuétude à la fin du XXe siècle, la communauté des chrétiens traditionalistes semble en regain de vitalité depuis 2013, et le conflit de société suscité par la loi sur le mariage homosexuel. Marginale tout de même, elle s'organise pour assurer sa pérennité.
Samedi 9 et dimanche 10 mars 2024, l'association catholique intégriste Academia Christiana organise à Rouen un week-end de formation à la philosophie politique. Intitulée "Notre vision du monde", et composée de sept conférences, la session éducative a pour objectif de transmettre une "colonne vertébrale intellectuelle" à des disciples de moins de 30 ans.
Né en 2013 en marge des manifestations contre le mariage homosexuel, Academia Christiana se définit comme un institut de formation, il prône la défense d'une civilisation catholique traditionaliste contre ce que ses adeptes nomment "l'effondrement de la société".
En 2022, une enquête de France 2 révélait que la rhétorique guerrière du groupe, son appel à la "croisade pour une reconquête civilisationnelle" et les encouragements de certains de ses membres à prendre les armes l'avaient placée dans le collimateur des renseignements.
En décembre 2023, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé vouloir dissoudre Academia Christiana, pour ses liens avec l'extrême droite identitaire. Si la directrice des libertés publiques a été saisie, la procédure n'a pour l'instant pas abouti.
Des écoles indépendantes qui attirent
Son président, Victor Aubert, a pris ses quartiers dans l'Orne. Outre l'animation de l'association, il dispense des cours de philosophie à l'institut de la Croix des Vents, une école hors contrat gérée par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, qui accueille presque exclusivement des garçons. "Il y a aujourd'hui près de 200 élèves au collège-lycée, et plus de 90 au primaire, alors que dans les années 2000, l'école ne comptait qu'à peine une cinquantaine d'élèves", se réjouit l'enseignant.
Plus la société occidentale devient libérale et hostile à son passé et ses traditions, et plus sont nombreux les jeunes qui cherchent plus ou moins adroitement des repères dans la tradition au sens large, pas seulement au sens liturgique, mais en terme de valeurs.
Victor Aubert, président d'Academia Christiana
Ailleurs en Normandie, on recense d'autres établissements de ce type. Dans le Calvados, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X détient deux écoles à proximité de Caen. L'une accueille les garçons à Gavrus, et l'autre les filles à Saint-Manvieu-Norrey. En Seine-Maritime, c'est à Rouen qu'est établie l'école Saint-François de Salles.
Si les deux fraternités sacerdotales se décrivent comme "traditionalistes", seule Saint-Pierre est reconnue par Rome, "ses dirigeants ont d'ailleurs récemment été reçus par le Pape François", précise le Père Laurent Berthout, porte-parole du diocèse de Bayeux-Lisieux. Saint-Pie X est, pour sa part, "considérée comme schismatique" par le Vatican.
Nous vivons notre foi comme nos grands-parents l'ont vécu, comme depuis des générations, elle a été transmise jusque dans les années 60.
Un fidèle de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X
Pour autant, elle attire de plus en plus de fidèles, et alors que de nombreuses églises diocésaines tombent en décrépitude ou sont abandonnées, cette communauté parvient à en ériger de nouvelles.
D'ailleurs, les deux fraternités comptent une douzaine de lieux de cultes répartis aux quatre coins de la région. Il ne faut pas non plus oublier le Culte Chrétien Traditionnel, animé sous forme associative par Francis Michel au Planquay, dans l'Eure. Ancien prêtre de Thiberville, il a été excommunié par le Vatican et poursuivi par la justice pour détournement d'argent de la quête, mais finalement relaxé. Près de 160 fidèles suivraient ses messes non officielles.
Une minorité de plus en plus visible
Difficile d'évaluer avec précision le nombre de catholiques traditionalistes dans la région. Plusieurs centaines, c'est une certitude. Quelques milliers tout au plus. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont été marginalisés, qu'ils le sont toujours, mais à un degré moindre, toutefois.
Les traditionalistes représentent une proportion minoritaire mais de plus en plus visible. Dans le mouvement de décrue générale du nombre de pratiquants, eux se maintiennent. Ainsi, leur part au sein des catholiques tend à augmenter.
Jean-Benoît Poulle, historien, spécialiste du catholicisme
Le constat de l'universitaire est vu comme une aubaine par Victor Aubert. "Sur le plan démographique, on peut supposer que cette partie de la population croit mathématiquement d’années en années, et donc que dans 20 ou 30 ans, l’Eglise de France sera composée d’une majorité de catholiques conservateurs au sens large". Croit-il vraiment que ce changement de paradigme puisse advenir, ou s'agit-il d'un vœu pieux ? Seul l'avenir le dira. En attendant, le président d'Academia Christiana fait tout son possible pour que cela se produise, via des formations et des podcasts notamment.
Quant aux éventuelles dérives intégristes prêtées à ces communautés extrêmement pieuses, comme en a récemment témoigné Alice Davril, l'historien Jean-Benoît Poulle analyse : "On ne peut pas réduire les communautés traditionalistes à des phénomènes sectaires, mais il existe des risques de dérives".
L'historien voit la Normandie comme "un cas classique de l'implantation de l'église traditionnelle en France", notamment grâce à un "terreau catholique est assez fertile dans les milieux ruraux". Toutefois, il note que le taux de pénétration des "tradis" est nettement moins important dans la région qu'en Bretagne, terre historiquement plus conservatrice.