Cinq rues du Havre portent le nom d'armateurs impliqués dans le commerce triangulaire, très profitable à la ville jusqu'au XIXe siècle. Le débat sur les symboles esclavagistes aux États-Unis pose la question, en France, de renommer ou non ces rues.
Rue Massieu-de-Clerval, rue Jules-Masurier, rue Jean-Baptiste-Eyries, rue Lestorey-de-Boulongne, rue Begouen. Cinq rues du Havre, cinq noms importants pour l'histoire de la ville, qui fête cette année ses 500 ans.
Notables de la ville, commerçants, ils ont tous été impliqués dans la traite des noirs par le commerce triangulaire, entre l'Afrique, les caraïbes et le Havre, devenu l'un des principaux ports négriers français. Jules Masurier a même été, entre 1873 et 1878, premier magistrat de la cité portuaire.
Entre l'héritage lourd des crimes esclavagistes commis et le devoir de mémoire de cette période historique, un débat s'instaure sur la nécessité de ne plus rendre hommage à ces figures de la traite négrière en leur donnant un nom de rue.
"Les noms de rue ne servent pas à garder la mémoire des criminels, ils servent en général à garder la mémoire des héros et à les célébrer. C’est pour cela qu’il n’y a pas de rue Pétain en France", notait en ce sens Louis-Georges Tin, président du conseil représentatif des associations noires (Cran) dans une tribune publiée dans Libération le 28 août.
"Le Havre fête ses 500 ans, actuellement, et il n'y a aucune programmation qui met en référence les 4 siècles pendant lesquelles les captifs africains ont nourri la ville du Havre. Il y a également au Havre le musée des armateurs mais ce musée parle plus du mode de vie des armateurs que de ce que les captifs africains ont subi dans les amériques du fait de la cupidité des Havrais", souligne Karfa Diallo, directeur de l'association Mémoire et Partage.
La résurgence des figures esclavagistes aux États-Unis cet été, à l'occasion de manifestation de "l'alt-right" dans le pays, a de nouveau mis cette question au premier plan : en Caroline du Nord, des militants antiracistes ont par exemple fait tomber la statue d'un soldat confédéré pour se débarrasser de ce type de symbole.
En France, la question se pose aussi à Bordeaux, ou à Nantes. Pour la municipalité du Havre, l'effacement simple de ces noms de rues n'est pas une solution : "il y a beaucoup d'autres moyens d'expliquer ou de dire les choses, et on le fait en organisant des expositions (...), en se réunissant tous les ans ici au Havre autour du 10 mai. Et alors il n'y a aucun tabou sur ces personnes, elles font l'objet aussi d'études historiques qui doivent se poursuivre. Il y a d'autres moyens d'expliquer la complexité d'une personne qu'en mettant en bas d'un nom de rue qui est étroit, des choses qui pourraient être très réductrice", explique Jean-Baptiste Gastinne, 1er adjoint au maire du Havre.
Reportage de Danilo Commodi, Jean-Luc Drouin, Aurélie Schiller et Alexis Delahaye. Avec comme interlocuteurs :
- Karfa Diallo, directeur de Memoires & Partages
- Jean-Baptiste Gastinne, 1er adjoint au maire du Havre