C'est une escroquerie qui a déjà fait l'objet de plusieurs audiences : neuf personnes comparaissent ce 5 septembre 2024 devant le tribunal correctionnel du Havre pour avoir escroqué une soixantaine de prêtres à travers la France. Une arnaque bien rodée, qui implique plusieurs membres d'une même famille.
Mise à jour, vendredi 6 septembre 2024. Tard dans la soirée, le parquet du Havre a requis dix ans de prison ferme à l'encontre de Kévin G., "le cerveau de l'affaire" pour avoir escroqué une soixantaine de prêtres venus de toute la France entre 2020 et 2024. Des peines de 18 mois de prison avec sursis à deux ans de prison ferme ont été requis pour ses complices, selon France bleu Normandie. La décision du tribunal a été mise en délibéré.
Six hommes et trois femmes, pour la plupart nés dans les années 90, comparaissent ce jeudi 5 septembre 2024 pour escroquerie en bande organisée au tribunal du Havre (Seine-Maritime).
Ils sont accusés d'avoir extorqué des prêtres âgés, pour un préjudice total de 440 000 euros. Une vaste arnaque qui aurait eu lieu entre 2020 et 2024.
Le modus operandi
Cette arnaque, qui a déjà fait l'objet de plusieurs procès, repose sur la crédulité et l'âge des victimes. 60 prêtres se sont portés partie civile, ils sont âgés de 71 à 99 ans.
Contacté par un des escrocs se faisant passer pour un gendarme, un magistrat ou un paroissien dans la détresse, le prêtre acceptait de donner ses coordonnées bancaires ou de donner de l'argent.
Une démarche nécessaire soi-disant pour aider un ancien paroissien, ou échapper à un risque d'escroquerie.
Témoignage d'un prêtre abusé
Pour cette audience, un prêtre sera présent, le père Pascal Burnel, de la Manche (paroisse de Canisy), il a accepté de témoigner sur cette escroquerie.
Il nous explique avoir été contacté en février 2024 par des personnes "qui se présentaient comme des gendarmes à la recherche d'un arnaqueur, ils m'ont demandé si je pouvais les aider dans cette recherche."
Le prêtre doit alors suivre leurs consignes, il reçoit un appel de la soi-disant Banque Postale, "ils m'ont donné pour consignes d'acheter des coupons PCS (Prepaid Cash Service Card en anglais, une carte prépayée), d'une valeur de 1000 euros puis 450 euros. C'est après le deuxième achat que je me suis aperçu de l'escroquerie quand j'ai appelé la gendarmerie. Je n'ai pas reconnu la personne qui m'avait contacté".
Le prêtre a aussitôt déposé plainte.
Ils étaient convaincants, c'est la première fois que je me fais avoir, ils ont mis les mots, ils avaient le bon langage, la politesse, ils ont tout fait pour m'endormir et m'encourager à faire ce qu'ils me demandaient !
Père Pascal Brunel, de la paroisse de Canisy
Une affaire de famille
Cette arnaque est déjà connue de la justice, plusieurs membres d'une même famille l'ont utilisée. Le père Michel G. l'avait mise au point dans les années 90, lors d'un de ses nombreux procès, il disait avoir été abusé enfant par un prêtre et réclamait justice.
Un de ses enfants, Kevin G. a été condamné à trois reprises pour avoir également arnaqué des hommes d'Église. Lors du dernier procès, en janvier 2021 au Havre, il a été condamné à une peine de 5 ans de prison.
Un réseau orchestré depuis sa cellule
Malgré sa condamnation en 2021, Kevin G., âgé de 31 ans, comparait de nouveau pour escroquerie, il aurait continué à gérer ce réseau à partir de sa cellule.
En détention au Havre puis à la maison d'arrêt de Val-de-Reuil, "la tête de réseau organisait tout depuis la maison d'arrêt. Il avait toujours le même mode opératoire. Il appelait des prêtres, se faisait passer pour un faux policier, faux gendarme ou même parfois faux magistrat", nous précisait Julien Herbaud, commissaire du Havre, en mars dernier.
L'appât du gain s'expliquerait par son addiction aux jeux, c'est un des arguments avancés lors de précédents procès.
"Je ne pensais même pas qu'on pouvait escroquer par téléphone depuis la prison !"
Une des prévenues, âgée de 32 ans, et entendue par le tribunal ce jeudi après-midi, a fait part du piège qui s'est refermé sur elle. Elle raconte qu'elle pensait être la seule à l'aider. "C'est quand je me suis retrouvée en garde à vue avec 15 personnes que je me suis demandée à quoi j'avais été mêlée ! Je ne pensais même pas que l'on pouvait escroquer par téléphone depuis la prison". Mère de deux enfants, elle rappelle que son casier judiciaire est vierge.
Deux autres prévenus interrogés par les magistrats, dont un ancien codétenu du chef présumé, reconnaissent avoir reçu des grosses sommes d'argent de Kevin G. et avoir fait transiter de l'argent sur leurs comptes pour l'aider. Ils affirment ne pas savoir qu'il s'agissait d'escroqueries, une attitude adoptée par les autres prévenus qui estiment avoir été manipulés par leur proche Kevin.
L'enjeu de ce nouveau procès
Tout l'enjeu de ce procès va reposer sur la complicité ou non des huit autres prévenus avec le cerveau présumé de l'affaire. Placés sous contrôle judiciaire, ils sont accusés d'avoir prêté main-forte en faisant transiter l'argent sur leurs comptes.
James G., le frère jumeau de Kevin, nous a déjà fait savoir par son avocate qu'il plaiderait la relaxe. Il affirme être victime de son frère au même titre que les prêtres et n'entretient aucun lien affectif avec son frère du fait de leur enfance en foyer d'accueil. "Avec mon frère, ça fait longtemps que je n'ai plus de contacts, depuis 2020. Je ne comprends pas ce que je fais ici. J'ai une vie de famille, j'ai trois enfants, mon frère m'implique dans une histoire dans laquelle je n'ai rien à voir, je suis dégoûté". Ce sont ses mots, juste avant l'audience de cet après-midi.