Interdiction des néonicotinoïdes : pourquoi les producteurs de betteraves sont-ils inquiets ?

Les betteraviers français ne bénéficieront plus de dérogations, pour pouvoir utiliser des néonicotinoïdes, insecticides interdits depuis 2018, par l'Union européenne. Rencontre avec un producteur très inquiet, à Raffetot, dans le Pays de Caux.

La Cour de justice européenne a rendu le 19 janvier dernier un arrêt visant à faire respecter le droit concernant l'interdiction d'utiliser en Europe des semences traitées aux néonicotinoïdes, ces insecticides neurotoxiques qui polluent les sols et déciment les abeilles.
Cette interdiction est en vigueur depuis 2018, mais quelques états membres la contournaient. La France avait ainsi établi une dérogation en 2020 qu'elle s'apprêtait à renouveler pour la troisième année consécutive, sous la pression de l'industrie sucrière et des betteraviers.
Les néonicotinoïdes permettent de lutter contre la jaunisse, maladie transmise par les pucerons, qui peut diminuer les rendements et a même détruit un tiers des récoltes en 2020, ce qui avait alors justifié la dérogation française à l'interdiction européenne.

Une décision qui intervient au pire moment

Reynald Fréger, producteur de betteraves

Interviewé par France 3

En Seine-Maritime, 50% des semis de betteraves sont réalisés avec des néonicotinoïdes, et 50% sans recours à ces substances chimiques. 

Pour les betteraviers non bio, seule l'utilisation de ces insecticides, intégrés aux semences ou vaporisés sur les plantes, permet de venir à bout de la jaunisse.  

A Raffetot dans le pays de Caux, Reynald Fréger en sait quelque chose, lui dont la production de betteraves a déjà souffert de cette maladie. L'agriculteur a consacré 25 à 30 hectares de son exploitation à la culture de cette racine, et en produit chaque année 2500 tonnes. Il se sent pris de cours, par l'arrêt de la dérogation, décision à laquelle il ne s'attendait pas. "C'est une décision qui intervient un peu au pire moment, pour nous, puisqu'on est à cinq ou six semaines des semis, ce qui va complexifier notre organisation".

Reynald Fréger rappelle aussi que se passer de néonicotinoïdes aura des conséquences sur les rendements, donc sur toute la filière sucrière. "Aujourd'hui, la France est exportatrice de sucre, mais si on en produit moins, on devra en importer".

Hors d'Europe, plusieurs pays utilisent encore les néonicotinoïdes, mais l'Union européenne a décidé de ne pas importer des produits traités de la sorte.

Quelles alternatives aux néonicotinoïdes ?

L'État français a mis en place un plan national de recherche et d’innovation (PNRI) à échéance de 2024, pour coordonner l'effort de recherche sur la jaunisse de la betterave sucrière, et apporter des solutions alternatives aux néonicotinoïdes.

L'Agence nationale pour la sécurité sanitaire - ANSES - a identifié une vingtaine de produits alternatifs, dont l'efficacité semble en partie établie.

Mais les vingt-six mille betteraviers français attendent aussi des réponses rapides du gouvernement, notamment sous la forme d'indemnisations en cas de difficultés. Selon les betteraviers, il n'a pas été démontré que les abeilles venaient butiner les feuilles des betteraves, à la différence du colza, ce qui justifiait, selon eux, le maintien de la dérogation.

Les inquiétudes des betteraviers sont injustifiées

Henri Clément, apiculteur

Interviewé par France 3

L'effet des néonicotinoïdes sur les insectes pollinisateurs a pourtant été scientifiquement établi. Le combat des associations environnementales, commencé en 1998, a abouti vingt ans plus tard. Jugés toxiques pour les abeilles, mais aussi pour les sols, l'eau et l'ensemble de la biodiversité, plusieurs néonicotinoïdes ont été interdits en Europe, pour la plus grande satisfaction des éleveurs d'abeilles, notamment.

"Le problème avec les néonicotinoïdes, explique Henri Clément apiculteur et secrétaire général de l'Union nationale de l'apiculture française, c'est que ce sont des traitements préventifs et systématiques. Alors que l'apparition de la jaunisse dépend en partie des conditions climatiques, plus ou moins défavorables. On ne sait pas, par exemple, s'il y aura de la jaunisse, en 2023 ". Pour l'apiculteur, les inquiétudes des betteraviers sont de toute façon injustifiées. Selon lui, l'interdiction des néonicotinoïdes dans les cultures de tournesol en 1999, puis dans les cultures de maïs en 2004, n'a pas affecté les rendements de ces productions.

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