Portrait d’une athlète dont le courage s’exprime au-delà de la performance sportive. La Franco-tchadienne Bibiro Ali Taher vise une participation au Marathon des JO de Paris mais elle mène en parallèle un combat contre le Comité Olympique Tchadien. Ce dernier ne lui aurait pas versé plusieurs dizaines milliers d’euros de primes et de défraiements. Un conflit moralement éprouvant et qui la pénalise dans une année sportive décisive.
Dans les forêts normandes ou sur les hauts plateaux du Kenya, elle fait défiler les paysages pour éprouver les limites de son corps. À 36 ans, Bibiro Ali Taher enchaîne les entraînements et cumule 180 kilomètres par semaine à haute intensité. Tel est le prix à payer pour espérer tenir la cadence des meilleures marathoniennes de monde.
Le marathon, sa distance de cœur
Arrivée en France à l’âge de 8 ans, Bibiro Ali Taher se spécialise d’abord dans les courses de demi-fond. Avec le Stade sottevillais 76, elle atteint le haut niveau en 5000 mètres et aura l’honneur d’être porte-drapeau de la délégation tchadienne en 2016 pour les JO de Rio. Aujourd'hui, c’est désormais sur la plus longue des distances olympiques qu’elle estime avoir la maturité pour briller.
"La meilleure marathonienne chez les femmes Edna Kiplagat a gagné le marathon de Boston à 42 ans (en 2021). Nous, les demi-fondeuses l’âge ça ne nous freine pas ! Ce qui compte c’est le travail, la patience et le mental. S’il y a tout ça la performance suivra, il faut se fixer des objectifs et travailler dur, ce n’est pas en dormant qu’on a des résultats !" affirme déterminée et souriante l’ancienne licenciée du Stade Sottevillais 76. Là-bas son ami Vincent Turin ne tarit pas d’éloges à son sujet.
"C’est ce qui la caractérise au plus profond d’elle-même, elle est déterminée ! Quoi qu’il arrive, elle ne lâche rien, elle a un courage extraordinaire. Je crois qu’elle n’a pas encore atteint son meilleur potentiel au marathon. Elle s’entraîne bien en ce moment, je lui souhaite de battre son record et de continuer son rêve olympique".
Fondeuse et frondeuse
En mai dernier au Marathon de Prague, elle bat son record et celui du Tchad avec un temps de 2 heures 50 minutes et 59 secondes. Sans atteindre les minima olympiques fixés à 2 heures 45 minutes, elle peut tout de même prétendre à une invitation de son pays pour les jeux de Paris mais depuis peu l’athlète est entrée publiquement en conflit avec le Comité Olympique du Tchad.
"J’ai toujours payé de ma poche mes déplacements pour les compétitions. Je n’ai jamais perçu mes primes notamment pour ma participation aux JO de Rio. Au Tchad ils pensent peut-être que je suis riche parce que je vis en France mais je dois travailler à côté du sport pour pouvoir financer ma carrière d’athlète."
En 10 ans de haut niveau, elle assure ne jamais avoir perçu ses primes sportives ni le remboursement de ses frais, soit un total qu'elle estime à 70 000 euros. Au-delà des enjeux financiers, elle affirme mener ce combat pour la reconnaissance du droit des femmes dans son pays.
Je veux que les sportives tchadiennes soient respectées dans leurs droits et qu’elles soient traitées comme tous les athlètes internationaux. Nous sommes humains avant tout et le sport c’est mental, si la tête va mal il n’y a pas de performance
Bibiro Ali Taher, marathonienne tchadienne
Elle espère obtenir justice pour retrouver de la sérénité. Début juillet l’athlète saura si le Tchad la convie pour Paris. En attendant, elle poursuit son chemin avec l’objectif de passer sous la barre de 2 heures 40 minutes et de participer d’ici 2 ans aux 5 plus grands marathons du monde.