Consulter un dentiste en Seine-Maritime peut s'avérer un chemin de croix, qu'il s'agisse d'une urgence, d'un soin classique ou d'un suivi en orthodontie. Un état de fait qui crée des situations sanitaires délétères ou absurdes, comme celle de Julie, 16 ans, dans l'impossibilité de se faire retirer un appareil dentaire.
À 16 ans, Julie aimerait bien se débarrasser enfin de ses bagues dentaires qui encombrent sa bouche, et gâtent son sourire. Un appareil qu'elle porte depuis plusieurs années, et dont il est temps désormais de se défaire.
Son orthodontiste est parti à la retraite
L'orthodontiste qui la suivait a pris sa retraite, et n'a pas été remplacé. La maman de la jeune fille a donc pris les choses en main, et tenté de trouver un nouveau praticien. En vain. Désespérée, elle a cherché de l'aide sur Facebook, et comprit qu'elle n'était pas seule dans sa situation.
"Personne ne veut reprendre le dossier de ma fille, les orthodontistes ne veulent pas d'un dossier en cours. Le centre maxillo-facial du CHU de Rouen nous a dit non aussi. Même chose pour le centre hospitalier Saint-Julien à Petit-Quevilly. J'ai même dû me battre pour récupérer auprès de l'ordre des dentistes la fiche de transfert des soins de ma fille, car son orthodontiste était parti sans laisser ses dossiers", nous explique la maman de Julie.
La jeune fille est parvenue à enlever le fil qui maintenait ses bagues, qui elles, sont toujours bien collées à ses dents.
Une région déficitaire, des dentistes dépassés
La situation de la jeune Julie n'est qu'un exemple parmi d'autres. La Normandie est la région de France métropolitaine avec la plus faible densité de professionnels, avec 43,2 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants contre 65,2 pour la France (source AGIT 2022).
Selon les chiffres présentés par le conseil de l'ordre de la profession en décembre 2023, on dénombre 647 chirurgiens-dentistes en Seine-Maritime, soit 51 pour 100 000 habitants. Les orthodontistes (27 en Seine-Maritime) ne représentent que 4,2% des praticiens.
Cependant la Manche et l'Orne ne sont pas mieux lotis avec respectivement 40 et 34 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants. L'Eure dispose de 39,7 dentistes pour 100 000 habitants, et le Calvados s'en tire bien avec 55,5 praticiens pour la même population.
"La situation n'est pas nouvelle, nous explique Nicolas Zuili, chirurgien-dentiste à Rouen et ancien président du Syndicat de l'Union Dentaire de Normandie, il y a partout en France un taux de remplaçants bien inférieur au taux de départs à la retraite, alors que les dentistes travaillent en général jusqu'à 67 ou 68 ans."
Dans mon cabinet, il faut souvent six mois de délai pour avoir un rendez-vous. Il faut tenir la cadence avec des journées à 30 patients ! Pour les urgences, nous avons une liste d'attente
Nicolas Zuili, chirurgien-dentiste
Nicolas Zuili ne cache pas qu'il a fait un burn-out il y a quelque temps, éreinté par ce rythme de travail. Tout comme un certain nombre de ses collègues, l'épuisement professionnel a des conséquences parfois graves sur la santé des chirurgiens-dentistes.
Des urgences mal gérées
À l’origine, le centre dentaire de l'hôpital Saint-Julien de Petit-Quevilly, dans l'agglomération rouennaise, avait été conçu pour épauler les cabinets en ville. "Or ils ne prennent pas les urgences !, déplore Nicolas Zuili. Ce qui peut créer des situations dramatiques comme cette jeune fille qui s'est retrouvée en semi-coma dans le service ORL du CHU."
Beaucoup de chirurgiens-dentistes ne souhaitent pas soigner en urgence et se spécialisent dans la parodontologie ou les implants, plus rémunérateurs.
Quant aux centres dentaires privés qui fleurissent un peu partout, ils sont administrés par des gestionnaires qui facturent parfois au prix fort des actes non nécessaires, plutôt que de traiter une urgence dentaire au prix d'une consultation classique.
Il reste la solution de la liste d'attente que certains praticiens mettent en place. Une solution pour ceux qui peuvent attendre, ce qui n'est pas le cas des urgences !
Quel avenir pour les dentistes en Normandie ?
Jusqu’à très récemment, la région Normandie n’avait pas d’offre de formation en odontologie, une spécialité concernant les organes dentaires et la chirurgie. L'ARS, Agence Régionale de Santé Normandie précise que les étudiants n’y étant pas formés dans la région, ils étaient moins nombreux à s’y installer à l’issue de leurs études.
Un partenariat est cependant engagé depuis plusieurs années entre l’Agence régionale de santé, la Région Normandie, les collectivités territoriales, les universités et les représentants de la profession pour améliorer l’offre de soins en chirurgie dentaire en Normandie. Deux nouveaux sites universitaires ont été créés à Rouen et Caen en odontologie. Ainsi, 50 étudiants seront progressivement formés chaque année dans les deux universités normandes.
L'Agence Régionale de Santé nous informe aussi que le Projet régional de santé 2023-2028, publié le 31 octobre, vise à doubler le nombre d’étudiants formés en odontologie d’ici 2028 pour atteindre 100 étudiants formés chaque année en sortie de cycle universitaire. D'autre part, l'ARS Normandie accompagne les établissements de santé équipés de fauteuils dentaires qui accueillent des étudiants. L'agence facilite ainsi le recrutement de praticiens destinés à encadrer les étudiants, et soutient le fonctionnement des services hospitaliers.
En attendant que la situation se débloque et que de nouveaux dentistes soient formés et décident de rester en Normandie, il faudra s'armer de patience quelques années.
D'ici là Julie aura trouvé un praticien pour lui enlever son appareil dentaire. La jeune fille a déjà trouvé un rendez-vous pour soigner, dans deux mois, une dent douloureuse.