Ce lundi 28 février 2022, l’audition des familles des terroristes de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray se poursuit devant la cour d’assises spéciale de Paris.
Dans le box de la cour d’assises spéciale de Paris, trois hommes : Jean-Philippe Jean Louis, Farid Khelil et Yassine Sebaihia. Tous sont renvoyés pour "association de malfaiteurs terroriste". Ils sont soupçonnés d'avoir été au courant des projets d’Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean, d'avoir partagé leur idéologie ou d'avoir tenté de rejoindre la Syrie.
Le quatrième accusé, Rachid Kassim, présumé mort dans un bombardement en Irak en février 2017, est le grand absent du procès. Ce propagandiste français du groupe État islamique est le seul à être mis en examen pour complicité de l'assassinat du prêtre, pour avoir "sciemment encouragé et facilité le passage à l'acte" des deux assassins du père Hamel.
Tenter de comprendre la radicalisation
Depuis la fin de la semaine dernière, la cour auditionne les proches des accusés. La justice espère ainsi comprendre leurs rôles dans la radicalisation de Petitjean et Kermiche. Ces journées d’audience devraient permettre de mieux appréhender leur degré d'information dans la préparation de l’assassinat du prêtre.
Ce lundi 28 février 2022, c’était au tour de la mère de Yassine Sebaihia. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas noté de changement de comportement de la part de son fils et qu’il n’était pas "à fond sur la religion". Selon elle, il n’avait pas tenu de propos extrémistes. Elle a ajouté : "pour moi, il n’était pas au courant du projet de Petit Jean et Kermiche". Selon l'accusation, le jeune homme, abonné à la chaîne Telegram d'Adel Kermiche, était a minima "au courant de la propagande qui justifiait des actions terroristes" diffusée par ce canal.
Cet après-midi, la mère d’Adel Kermiche était entendue.
A ce stade du procès, un constat amer est fait : tous les proches n’ont rien vu venir.
Les dépositions de la semaine dernière
En fin de semaine dernière, les sœurs de Jean-Philippe Jean Louis ont été entendues. Elles ont raconté que leur frère avait l’intention de se rendre en Syrie. Que leur frère côtoyait Abdel-Malik Petitjean et qu’il passait beaucoup de temps sur son ordinateur. Toutes ont dit ignorer ses activités de propagande djihadiste. Trois femmes de la famille d’Abdel-Malik Petit Jean sont venues témoigner. Parmi elles, sa cousine et sa mère qui ont parlé de l’influence néfaste de Farid Khelil. Selon elle, c’est lui qui aurait poussé Petitjean à commettre l’irréparable
Une soeur d'Abdel-Malik Petitjean s'"excuse" de n'avoir pas cru aux "signes"
La soeur aînée d'Abdel-Malik Petitjean a regretté vendredi au procès de n'avoir "jamais voulu croire" les signes de dérive extrémiste de son frère, s'excusant de ne pas avoir joué son "rôle de grande soeur". "Je suis traumatisée par ce qui s'est passé, j'ai jamais vraiment réalisé", a-t-elle déclaré en préambule à son témoignage devant la cour d'assises spéciale de Paris. "Je reconnais pas mon petit frère" dans l'auteur de l'assassinat d'un prêtre de 85 ans dans son église, le 26 juillet 2016, a-t-elle ajouté.
Au cours de sa déposition, de près de 1h30, elle s'excuse plusieurs fois, en larmes, dit avoir été dans une forme de "déni" sur la dérive de son frère tué dans l'assaut des forces de l'ordre. "C'est après que je me suis dit : oui, il y avait quand même des signes. On se dit que ça peut pas vous arriver quelque chose comme ça".
Elle vivait à près de 400 km de sa mère, d'Abdel-Malik (qu'ils appellent tous "Malik") et de leur plus jeune sœur depuis leur déménagement à Aix-les-Bains (Savoie), a expliqué la jeune femme : "Je les voyais rarement. Je savais pas, moi, ce qu'il se passait". Mi-juin 2016, le compagnon de sa mère lui envoie un message s'inquiétant de la trajectoire prise par son frère qui a trois ans moins qu'elle: "il n'écoute plus de musique, ne regarde plus le foot, il est radicalisé. (...) Il approuve ce que font les terroristes (...) Ça craint vraiment".
Le 25 juillet, veille de l'attentat, sa mère lui écrit par sms "Ok ben Malik part en Syrie" et lui adresse des reproches. Elle a alors une conversation de près de 4 minutes avec son frère dont elle ne se rappelle plus la teneur. "Je pense que je lui ai dit: rassure maman". Le projet de départ? "Je pense même pas que je lui en ait parlé, parce que pour moi c'était n'importe quoi".
"Qu'on parle de toi à la télé"
Elle confirme que son frère a séjourné chez elle à deux reprises, du 12 au 15 juillet puis du 17 au 20 juillet, mais dit n'avoir rien remarqué d'inhabituel et n'avoir pas évoqué l'attentat de Nice, perpétré le 14 juillet.
Elle savait certes "qu'il s'était mis à fond dans la religion", depuis un an environ, mais assure qu'il n'en parlait pas avec elle et n'avait jamais évoqué un projet de départ en Syrie ou d'action violente.
Le 26 juillet, elle apprend sur son lieu de travail l'attaque à Saint-Etienne-du-Rouvray.
- "J'ai dit à mes collègues : qu'est-ce qu'ils ont fait encore ces fous?
- Est-ce que vous avez pensé à votre frère?, tente le président.
- Jamais".
De retour chez elle, en ouvrant l'ordinateur familial "pour faire des achats en ligne", elle découvre "plein de notifications" en provenance de l'application Telegram utilisée par son frère quelques jours auparavant. Elle découvre alors les échanges d'Abdel-Malik avec Adel Kermiche, l'autre assaillant de Saint-Etienne-du-Rouvray, avec le propagandiste du groupe Etat islamique Rachid Kassim et avec leur cousin Farid Khelil qui avait hébergé Abdel-Malik Petitjean du 1er au 12 juillet.
Un message la marque particulièrement, où Rachid Kassim lui dit qu'il veut "le voir sur BFM TV, qu'on parle de (lui) à la télé". Elle appelle alors "immédiatement la police", prenant conscience du "sérieux" de la menace, mais ne fait pas le lien avec l'attentat commis le matin même. Lorsque le président lui demande si elle n'a pas justement allumé son ordinateur pour se renseigner sur cet événement, elle répond, la voix chargée de sanglots: "Je vous assure que c'est un hasard. Mon seul regret, c'est de ne pas avoir allumé l'ordinateur la veille".
Ce sont les policiers qui lui apprendront la mort de son frère lors de sa garde à vue, deux jours plus tard. A la sortie de la salle d'audience, l'un des fils de Guy Coponet lui adresse quelques mots de soutien et la prend dans ses bras.
"Vous racontez n'importe quoi"
Jeudi 24 février 2022 ; le président de la cour d’assises spéciale de Paris s’est emporté. A la barre, trois sœurs de Jean-Philippe Jean Louis et le compagnon de l'une d'elles ont expliqué qu'ils connaissaient la volonté de l'accusé de se rendre en Syrie. Mais ils ont souvent plaidé une mémoire défaillante, près de six ans après les faits, et sont revenus sur certaines des déclarations faites lors de l'enquête. Le président Franck Zientara s'est agacé en particulier des multiples versions livrées sur le voyage vers la Turquie entrepris en juin 2016 par Jean-Philippe (que toute sa famille appelle de son deuxième prénom, "Steven"), avec Abdel-Malik Petitjean.
"Il nous a dit qu'il partait en vacances", disent ses soeurs, affirmant ignorer pourquoi il s'est fait refouler à l'aéroport d'Istanbul puis retenir par les autorités suisses à Zurich.
Selon l'accusation, ils projetaient de rejoindre les groupes jihadistes en Syrie. La famille de Jean-Philippe Jean Louis aurait alors hébergé une nuit Abdel-Malik Petitjean et lui aurait payé son retour à Aix-les-Bains (Savoie).
La soeur aînée, Cintia (prénom modifié), concède avoir acheté un vol vers Paris mais dit ne pas se rappeler la réservation pour un vol Paris-Lyon, également faite à partir de son adresse email. Sa cadette Alice (prénom modifié), convertie à l'islam un peu avant Jean-Philippe Jean Louis, en 2014, explique avoir bien hébergé "un frère", mais ne se "rappelle plus" sous quel nom il s'est présenté.
Interrogés en juillet 2016, les membres de la famille avaient affirmé qu'ils avaient tous le projet d'aller en Suisse, pour acheter une robe de mariage. "Il y a une erreur, là, c'était en Turquie", a corrigé Alice à la barre. "On revient de très loin. Vous aviez même dit à la police que (Jean-Philippe Jean Louis) était chez votre mère pour l'anniversaire de votre fils" le jour de son départ.
"Vous racontez n'importe quoi", s'est énervé le président. La jeune femme nie une quelconque "amnésie" et plaide la fatigue lors de son interrogatoire par la police. "C'est du mensonge alors", réplique Franck Zientara.
Le lendemain, dans un échange de SMS avec sa troisième soeur, Christelle (prénom modifié), l'accusé dit considérer comme "obligatoire" de faire sa "hijra" (émigrer en "terre d'islam") car il ne peut pas "pratiquer sa religion comme il en a envie" en France.
S'ils avaient remarqué qu'il passait "beaucoup de temps sur son ordinateur", ils disent tous ignorer son activité de propagande jihadiste, via Facebook puis l'application cryptée Telegram.
"Mon frère n'est pas quelqu'un de violent", martèle Alice, tout en reconnaissant qu'ils ne se voient que "de temps en temps" et que chaque membre de la famille reste "concentré" sur sa vie. La cour souligne le paradoxe entre un jeune homme présenté comme "le petit protégé" à la santé fragile et l'absence de communication dans la famille.
Placé en foyer entre 2012 et 2015, "on n'a pas vraiment vécu ensemble", a reconnu Christelle mercredi : "on n'a pas demandé pourquoi le dimanche il ne voulait pas retourner au foyer", où il dit avoir subi de nombreuses violences. "Si on était allé plus vers lui, qu'on lui avait parlé, on aurait vu qu'il était en souffrance. Maintenant c'est trop tard", a-t-elle regretté, en larmes.