Ce mercredi 23 octobre, c'était au tour des Normands Nicolas Bay et Timothée Houssin d'être entendus lors du procès des assistants parlementaires de l'ex-Front National. Au total, 25 prévenus comparaissent dans l'affaire, jugée depuis le 30 septembre et jusqu'au 27 novembre 2024 au tribunal correctionnel de Paris.
Tout a commencé lors d'une réunion, donnée le 4 juin 2014 et durant laquelle Marine Le Pen aurait engagé les eurodéputés Front National (aujourd'hui Rassemblement national) à, chacun, n'embaucher qu'un seul attaché parlementaire, afin de laisser l'usage du reste de l'enveloppe de 23 000 euros mensuels alloués par le Parlement européen au parti, dont les comptes sont alors dans le rouge...
Plongeant les eurodéputés dans le système de détournement des fonds européens qui leur vaut aujourd'hui une convocation au tribunal.
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— Mélisande Queïnnec (@QueinnecMeli) October 23, 2024
Bonjour à tous.
Suivez en direct l'audition de #NicolasBay et #TimotheeHoussin, entendus cet après-midi dans le cadre du #ProcesRN. Les deux Normands sont mis en examen dans le cadre de l'affaire des assistants parlementaires européens de l'ex #FN @f3normandie ⬇️ pic.twitter.com/gKNf0NG9Sn
Pourquoi les Normands sont-ils poursuivis ?
Dans cette affaire, l'eurodéputé normand Nicolas Bay (aujourd'hui encarté au parti Identité-Libertés de Marion Maréchal) et le député de l'Eure Timothée Houssin (RN) sont poursuivis pour recel et détournement de fonds publics. En 2014, Nicolas Bay est en effet élu sous la bannière FN. Il embauche alors trois assistants : Romain Barrel, Maxime Argentin et, jusqu'en 2015, Timothée Houssin, pour un salaire de 2 300 euros mensuels. Le travail de ce dernier étant fait à distance, directement depuis le siège du FN à Nanterre (Hauts-de-Seine) où, selon l'accusation, il aurait travaillé au bénéfice du parti... Suscitant un préjudice financier, pour le Parlement européen, chiffré à 39 000 euros.
Retrouvez notre journaliste Maxime Fourrier, sur place :
Des faits que les deux Normands réfutent avec fermeté. Reste qu'un élément en particulier met en péril leur défense. Le 19 septembre dernier, l’émission Complément d’Enquête a dévoilé le résultat d'un long travail mené à quatre mains avec franceinfo sur l’affaire des assistants FN au Parlement européen. Dans les documents consultés par les journalistes figurent des revues de presse dans lesquelles Nicolas Bay tente de prouver les activités de son assistant Timothée Houssin.
Durant ces 9 mois, mon contrat, visé par le Parlement, me liait à Nicolas Bay et stipulait que mon lieu de travail était au siège du RN. J'ai travaillé au bénéfice direct de l'activité politique de Nicolas Bay et sous sa direction.
Timothée HoussinLe 19 septembre, à France 3 Normandie
Mais dans les faits, Complément d'Enquête révèle que ces 112 pages de coupures de presse ont été éditées et préparées, au moins en partie, en 2018. Ce que Nicolas Bay n'avait pas signalé aux enquêteurs. Et ce à quoi Timothée Houssin avait réagi en affirmant : "Ce n'est pas moi qui ai remis les pièces présentes au dossier au juge et je n'en ai jamais eu connaissance. Ces revues de presse ne correspondent pas, sur la forme, à mon travail. Je n'ai pas produit ces documents en l'état, ni durant mon contrat avec Nicolas Bay, ni après."
"Reconstituer des éléments, quatre ans après, est extrêmement difficile"
Ce mercredi, Nicolas Bay s'est dit "déterminé, combatif, serein", prêt à apporter des preuves tangibles du travail de son collaborateur entre le 1er juillet 2014 et le 31 mars 2015. Il a jugé la procédure, initiée après un signalement de l'ex-président socialiste du Parlement européen, Martin Schulz, "injuste". "Je suis un député européen qui travaille. Tous mes collaborateurs aussi, contrairement à ce qui a été affirmé. En 2015, Martin Schulz s'émeut de l'organigramme du FN. Nous, ce que nous voyons, c'est une opération politique."
La présidente, Bénédicte de Perthuis, l'interroge longuement sur les preuves qu'il est en mesure d'apporter du travail de M. Houssin à son bénéfice. "Les investigations concernant le travail de M. Houssin n'ont pas permis de montrer la réalité (de son) travail, estime-t-elle. Vous n'avez fourni aucun justificatif (de son) travail, si ce n'est des justificatifs administratifs (CV, bulletins de salaire, solde de tout compte...)." "Une note, on n'a pas retrouvé une note !", appuie plus tard Me Patrick Maisonneuve, avocat du Parlement européen, partie civile.
"En juillet 2014, je n'ai pas une vision précise de la manière dont se déroulera mon activité parlementaire. C'est important d'avoir un suivi de ma circonscription d'élection", explique Nicolas Bay en revenant sur les revues de presse préparées par Timothée Houssin.#ProcesRN
— Mélisande Queïnnec (@QueinnecMeli) October 23, 2024
Parmi les missions de Timothée Houssin figurent la gestion ponctuelle des réseaux sociaux de Nicolas Bay ainsi qu'une veille quotidienne de l'actualité liée à la circonscription d'élection de Nicolas Bay ainsi que celle de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE), dont M. Bay est membre suppléant. Pourtant, lorsqu'on l'interroge en 2014, il déclare au Parlement européen que M. Houssin s'occupe de la commission des affaires étrangères. Il se justifie difficilement.
"Y a-t-il moyen de vérifier les publications dont il est à l'origine" sur les réseaux sociaux ?" S'interroge la présidente. "C'est assez difficile" selon M. Bay. Il parle de "contributions", admet qu'elles n'ont pas forcément été conservées à l'époque. "Beaucoup de ces contributions du quotidien, je n'en dispose absolument plus. Quatre ans après, reconstituer des éléments (de preuves de travail) est extrêmement difficile". La faute, semble-t-il, à une purge des serveurs.
La présidente insiste : comment vérifier les posts de Timothée Houssin ? "Ce n'est pas évident, il se connecte avec mes codes d'accès", relève Nicolas Bay. Si M. Houssin était administrateur de sa page Facebook, rien ne permet d'identifier l'origine des posts.
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Revues de presse, bénévolat... Le travail de Timothée Houssin scruté à la loupe, Nicolas Bay dans le viseur de la cour
La présidente pointe les incohérences de Nicolas Bay et revient sur les revues de presse de la discorde. Nicolas Bay assure qu'il n'a jamais prétendu qu'elle avait été préparée en 2014 ; la mise en page a été retouchée. "J'ai pris la liberté de faire une page de garde en 2018." "Vous l'avez donc fabriquée en 2018 et pas retrouvée dans votre bureau ?", réplique la présidente. "L'immense majorité des articles date de 2014. Deux ou trois étaient illisibles. On les a réimprimés", concède-t-il.
On n'a pas cherché à cacher ça. Si j'avais voulu faire croire que ces revues de presse étaient dans le formol depuis 2014, je n'aurais pas écrit "Fait par Timothée Houssin" sur chaque page.
Nicolas BayLe 23 octobre 2024 au tribunal de Paris
"Vous avez fabriqué la réalité que vous décrivez !" La présidente, interloquée, ne mâche pas ses mots. L'ambiance devient tendue dans la salle d'audience. Timothée Houssin, lui, soupire d'agacement. Elle passe ensuite à un autre sujet de tensions, celui de l'engagement bénévole de Timothée Houssin au sein du parti, où il apparaît dans l'organigramme, dès février 2015, comme assistant au secrétariat général. Un poste auquel ce dernier consacrerait quelque 20 heures hebdomadaires à travailler bénévolement pour le FN. Un risque de conflit d'intérêts ?
Nicolas Bay : "On n'est pas du tout dans une situation où Timothée Houssin travaillait toute la journée pour le Front national. Il a travaillé pour moi [en tant qu'assistant parlementaire] et a mené son activité militante pour le FN en plus, cela fait des semaines de 60-70h."
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Pas pour Nicolas Bay. Il admet ne pas avoir déclaré les activités bénévoles de Timothée Houssin. "On ne déclare pas au Parlement des activités militantes !" À l’issue de l'interrogatoire, Nicolas Bay déclare : "Je considère que M. Schulz a agi sur des motivations politiques. Ce n'est pas pour ça que je me suis soustrait à la justice. Je veux montrer ma bonne foi, montrer que je n'ai pas enfreint la loi." Il dit avoir "péché par naïveté", et n'avoir pas pensé nécessaire de conserver des preuves du travail de son assistant.
Les attachés parlementaires sont en réalité aussi des militants politiques, ce ne sont pas des sous-citoyens. Ils ont le droit d'avoir ces engagements. Nous, eurodéputés, ne sommes pas des fonctionnaires de l'UE, nous pouvons en être critiques. Nos assistants ont le droit de mener ce combat dans le cadre partisan, c'est ce qui fait vivre la démocratie.
Nicolas Bayà France 3 Normandie
Au micro de France 3 Normandie, il conclut : "J'ai le sentiment d'avoir pu m'expliquer, d'avoir démontré de manière claire, didactique et illustrée la réalité du travail parlementaire effectué par Timothée Houssin. J'espère que l'institution judiciaire saura prendre en compte ce qui a été argumenté, et que ce ne sera pas instrumentalisé à des fins politiques."
Timothée Houssin : "J'ai toujours fait ce qu'il me demandait de faire"
L'audition de Nicolas Bay, émaillée de tensions, dure plus de quatre heures. Timothée Houssin, plus calme, s'avance à la barre vers 18h30. Il décrit son parcours, un engagement précoce au FN à Lille à l'âge de 18 ans. En septembre 2009, il intègre une école de commerce à Rouen et rejoint la Fédération du Front National de Seine-Maritime. C'est là où il rencontre Nicolas Bay.
Timothée Houssin travaille ensuite dans une entreprise d'ingénierie industrielle. Son engagement et ses convictions politiques posent problème. Il démissionne et les choses se concrétisent lorsqu'il est embauché comme collaborateur parlementaire de Nicolas Bay. Veille d'actualité, préparation d'interventions médiatiques, gestion des contacts et des réseaux sociaux, mails... Il décrit des missions cohérentes avec celles que ce dernier a listées. "J'ai toujours fait ce qu'il me demandait de faire."
À l'époque, les sujets et discussions clivants ne sont pas forcément abordés par e-mail, pour des questions de confidentialité.
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"Quand il y a des sujets qui peuvent nous mettre en porte-à-faux avec d'autres membres du parti, on préfère le téléphone."
Pourtant, sur le téléphone et l'ordinateur de Timothée Houssin, ne figurent que quelques rares échanges avec Nicolas Bay. L'actuel député de l'Eure rappelle qu'il s'agissait de ses équipements personnels, et que son ordinateur professionnel, au siège du FN n'a, lui, pas été fouillé, même à l'issue de la perquisition menée en 2017 par les forces de l'ordre. Il souligne également avoir en général communiqué avec l'eurodéputé par téléphone, Whatsapp ou Telegram, et avoir régulièrement supprimé les échanges par souci de confidentialité.
Le fragile équilibre du travail et du bénévolat pour le parti
Lui aussi questionné abondamment sur ses engagements bénévoles, il évoque "trois périodes distinctes". Entre juillet et septembre 2014, il vit à Rouen, accumule les allers-retours en train vers Paris et se consacre "exclusivement" à ses missions pour Nicolas Bay. Fin 2014, l'engagement au sein du FN se fait plus prononcé. Jusqu'à devenir très important entre janvier et mars 2015. La faute à un travail d'attaché parlementaire quelque peu insatisfaisant : "Une partie du travail que je réalise ne correspond pas à mes attentes."
La présidente du tribunal lui rappelle qu'il a déclaré consacrer "bien plus de 20h par semaine" à son engagement bénévole, sans distinguer de période particulière.
— Mélisande Queïnnec (@QueinnecMeli) October 23, 2024
"Avec le recul, avez-vous compris que combiner vos activités bénévoles et votre rémunération par le Parlement européen pouvait poser un problème ?", demande la présidente après une longue analyse des missions bénévoles du député de l'Eure.
"Non, j'ai toujours travaillé sous les ordres de Nicolas. Par ailleurs, il m'a toujours donné une partie de travail parlementaire à faire. Il ne m'a jamais rien demandé qui n'était pas directement en rapport avec cela", répond Timothée Houssin. Avant d'admettre : "Je pense que sur la fin de mon contrat, Nicolas Bay aurait peut-être pu me passer en temps partiel. Il est vrai qu'à la fin, mon travail bénévole a pu empiéter sur mon travail" pour M. Bay.
Jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende
Les 25 prévenus du procès, jugés notamment pour détournement de fonds publics ou complicité de ce délit, encourent un maximum de dix ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende et surtout une peine d'inéligibilité de dix ans susceptible d'entraver les ambitions présidentielles de Marine Le Pen pour 2027.
Comme Nicolas Bay et Timothée Houssin, la plupart des prévenus contestent en bloc, évoquant une "mutualisation" du travail des assistants parlementaires. Le RN dénonce depuis des années un "acharnement", voire une procédure "politique". Le procès est prévu trois demi-journées par semaine jusqu'au 27 novembre.