À Petit-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime), le départ à la retraite d'un généraliste laisse un grand vide : il n'y a désormais plus aucun médecin dans cette commune de 8 000 habitants. Un symbole de cette désertification médicale qui frappe désormais à la porte des grandes villes. Reportage.
En plein centre de Petit-Couronne, la maison de santé de la rue de la Pierre d'État a toujours été un lieu important pour les habitants, en regroupant Kinésithérapie, Podologie et Médecine Générale.
Mais sur la devanture du bâtiment, l'une des plaques a récemment été décrochée, suite au départ à la retraite de la médecin généraliste du cabinet.
Problème, cette généraliste était la dernière de la commune, alors que Petit-Couronne en comptait 9 il y a une quinzaine d'années.
Il faudra désormais se rendre dans les villes voisines pour consulter. Une situation qui est extrêmement rare et inquiétante pour une collectivité comptant plus de 8 000 habitants.
Des patients inquiets pour l'avenir
Dans le même cabinet, deux kinésithérapeutes exercent toujours, mais depuis leur installation en 2006, ils ont vu la situation médicale se détériorer d'année en année alors que les départs de soignants se multipliaient.
La préoccupation c’est pour les patients. Notamment les plus âgés qui ne sont pas forcément mobiles pour aller chercher un médecin à l’extérieur de la commune. Sachant que même à l'extérieur de la commune, les cabinets sont complètement saturés.
Boris Marche, kinésithérapeute à Petit-Couronne
Pour le maire de la commune, Joël Bigot, ce dossier est donc remonté tout en haut de la pile. Notamment au vu des nombreuses interpellations qu'il reçoit de la part de ses administrés au sujet de cette pénurie de médecin.
"Tout le monde est au courant que nous n'avons plus de médecin"
Au téléphone, il jongle désormais avec les services de l'ARS de Normandie, l'Ordre des Médecins et même les facultés de médecine de la région. Objectif : tout faire pour encourager l'installation d'un jeune médecin sur son territoire.
Pour ce faire, il s'est entouré de quelques soignants de Petit-Couronne qui le soutiennent dans ses recherches. "Maintenant, tout le monde à l'ARS est au courant que nous n'avons plus de médecin à Petit-Couronne", glisse Valérie De Sousa, infirmière libérale à Petit-Couronne.
"Un désert médical, mais pas un désert de santé"
Travaillant ici depuis plus de 20 ans, elle sait à quel point les généralistes peuvent être la pierre angulaire d'un écosystème médical fonctionnel dans une commune.
Des médecins, on en forme tous les ans, alors je ne suis pas inquiète. Il faut juste qu'il y en ait un qui accepte de s'installer chez nous. Moi j'invite tout le monde dans ma voiture pour faire une tournée avec moi et voir comment ça se passe.
Valérie De Sousa, infirmière libérale à Petit-Couronne
Le message qu'elle veut envoyer à tous les médecins potentiellement intéressés tient en une phrase : "Petit-Couronne est un désert médical, mais pas un désert de santé". Traduction : il existe à Petit-Couronne une communauté de soignants déjà présente et bien installée.
Des infirmières libérales, donc, des aides-soignantes, des kinésithérapeutes, des pharmaciens etc.. Bref, un.e jeune médecin souhaitant s'installer ne se retrouvera pas seul.e avec cette nouvelle patientèle, déjà largement prise en charge par le corps paramédical.
Des solutions provisoires mises en place
En attendant, en collaboration avec la mairie, l'infirmière a eu quelques idées pour pallier l'absence de médecin. Une navette a déjà été mise en place pour conduire certains patients chez les praticiens des communes voisines.
Valérie de Sousa a aussi mis en place un système de téléconsultation adaptée pour les seniors de la ville, le public le plus pénalisé par l'absence de généraliste dans Petit-Couronne.
Après un bilan médical réalisé avec le patient, elle assiste à la téléconsultation pour expliciter au médecin les problèmes de santé rencontrés par la personne. Dans certains cas, cela dispense ainsi le patient de déplacement.
Mais évidemment, la soignante espère que toutes ces mesures palliatives ne seront que provisoires.
Le maire, quant à lui, s'est transformé en véritable VRP de la commune. Vantant les mérites d'une ville avec des commerces, "à 10 minutes de Rouen" et "au pied de l'autoroute A13 permettant d'accéder rapidement à Paris ou à Caen".
Des efforts redoublés auprès des jeunes médecins, car l'édile sait que sa situation n'est pas unique en France, et qu'elle pourrait bien durer.
Si y'avait que Petit-Couronne, on pourrait se poser des questions, mais effectivement c'est le lot de plein de villes en France maintenant. Alors avec le numerus clausus, y'a plein de choses qui font qu'à mon avis on ne forme pas assez de médecins. Et on mettra des années à rattraper notre retard.
Joël Bigot, maire (PS) de Petit-Couronne
En effet, la réforme du numerus clausus (nombre de places en études médicales) votée en 2020 ne devrait pas montrer ses effets avant plusieurs années.
Certes, le nombre d'étudiants admis au terme de la première année de médecine est depuis 2021 bien plus important, avec 2500 places en plus chaque année à l'échelle du territoire français. Mais la chronologie des études de médecine (d'une durée d'environ 9/10 ans) implique que l'arrivée de nouveaux praticiens diplômés ne se fera pas avant au moins 2030.
La désertification médicale désormais aussi près des grandes villes ?
En attendant, les zones sous-denses, c'est-à-dire où le nombre de généralistes pour 10 000 habitants est situé sous un certain seuil, se multiplient un peu partout en France. Et désormais aussi dans les zones périurbaines, à quelques minutes seulement de grandes villes. C'est ce que montre la situation de Petit-Couronne.
La ville n'est d'ailleurs pas une exception au sein de l'agglomération rouennaise qui compte désormais 26 communes en pénurie totale de médecin généraliste sur leur territoire.