3 ans après la catastrophe de Lubrizol à Rouen (Seine-Maritime) et les mesures prises par la suite par le gouvernement, l'expert Paul Poulain revient sur les failles de sécurité des établissements industriels à risque.
Le 26 septembre 2019, un incendie hors norme ravage une partie de l'usine Lubrizol classée Seveso. Plusieurs milliers de tonnes de produits chimiques brûlent et un panache de fumée noire de 70km de long se forme, à la grande inquiétude des rouennais.
3 ans après cet accident spectaculaire, Paul Poulain, spécialiste des risques industriels et auteur de "Tout peut exploser" aux éditions Fayard, a répondu à nos questions. Il critique le manque de moyens mis en place en France afin de prévenir les catastrophes industrielles.
Est-ce que le site de Lubrizol est plus sûr aujourd'hui qu'avant l’incendie ?
Paul Poulain : J’imagine. Après, il faut noter qu'avant la catastrophe, la société avait investi des dizaines de millions d'euros en matière de sécurité incendie. Pour comparer, en moyenne, les bons élèves investissent 2 à 3 millions par site et autour de 500 000 pour les autres industriels.
Quand un site aussi bien sécurisé que celui de Lubrizol connait une faille engendrant un sinistre d’une telle ampleur, il y a de quoi se poser des questions sur la sécurité des 500 000 autres installations à risque dites «classées pour la protection de l’environnement» (ICPE), dont environ 1 300 sites
Seveso. Le problème, ce n'est pas forcément le degré de sécurité mais le degré d’incertitude lié à ce type d’installations dangereuses.
Reste que Lubrizol comme Normandie Logistique n’étaient pas sans reproches non plus. L'assureur de l'usine Lubrizol avait ainsi repéré une faille de sécurité à laquelle l’industriel n’avait pas répondu.
1 an après la catastrophe, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, et Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique annonçaient des mesures afin de prévenir ces accidents industriels, notamment sur les sites classés Seveso. Sont-elles efficaces ?
Paul Poulain : Parmi ces mesures, le gouvernement avait promis d'augmenter de 50% les contrôles sur les sites industriels d'ici 2022. Mais les moyens n'ont pas suivi. 50 inspecteurs seulement ont été recrutés sur un effectif de 1600 personnes, soit une hausse de 2%, ce qui est relativement léger.
Les contrôles effectués par les services de l'Etat sont de moins en moins poussés. Les inspecteurs essayent de passer sur un maximum de sites mais ces sites sont complexes et nécessitent du temps d’analyse. Là, on est dans une politique du chiffre !
Paul Poulain, spécialiste des risques industriels
A titre de comparaison, les équipes d’inspection passent en moyenne 4 jours sur des sites Seveso en France. En Italie, la durée est de 9 jours et en Allemagne elle atteint 20 jours. On peut donc encore mieux faire !
Est-ce qu’on saura un jour ce qu’il s’est passé à Lubrizol ?
Paul Poulain : On ne saura jamais parfaitement. Il est toujours très difficile de savoir ce qu’il s’est passé lors d’un incendie car une grande majorité des indices prennent feu.
Alors quand deux sites industriels brûlent côte à côte, comme Lubrizol et Normandie Logistique et que chacun essaye de remettre la faute sur l’un voire sur les services de l’état, il est encore plus compliqué de connaître les causes d'un accident.
On peut estimer que d'ici une dizaine d'années, voire d'ici 20 ans, la justice se sera mise d’accord sur une hypothèse.