Des locataires d'une résidence construite il y a tout juste 10 ans à Rouen (Seine-Maritime) subissent depuis plusieurs mois des moisissures dans leur logement. En cause : la VMC, en panne, n'a pas été complètement remplacée par le bailleur social.
Début janvier, Abdelghani Abed a repeint toutes les surfaces touchées par les moisissures dans son logement pour tenter de les masquer. Mais en vain.
En seulement quelques semaines, celles-ci sont revenues, faute d'aération suffisante. "On a enlevé toutes les étagères de peur que ça tombe, confie le locataire, dépité. On a des enfants, on ne peut pas vivre dans un logement insalubre."
Les gamins sont malades sans arrêt, c'est des bronchites, des angines... Et on ouvre. La chambre de la petite est ouverte !
Abdelghani Abed, locataire d'un logement socialà France 3 Normandie
L'humidité et le chauffage pointés du doigt
Dans cet immeuble construit en 2014, les locataires payent en moyenne 300 euros de charges mensuelles. Or, voilà plus de 4 mois que la VMC du bâtiment ne fonctionne plus. L'humidité suinte sur tous les murs et nombre de résidents se plaignent de problèmes récurrents.
Abdul Alshawaf peine à atteindre les 18 degrés dans son logement... Alors même que les températures extérieures sont plutôt clémentes : "On a acheté des chauffages électriques en plus pour chauffer les chambres, parce que les enfants ont très froid."
Le bailleur social, 3F Normanvie, précise qu'un caisson de VMC a été réparé le 17 janvier 2024. Le second, en attente de pièce, devrait être changé la semaine prochaine. 3F ajoute également prendre en charge l'embellissement et le nettoyage des appartements, mais affirme qu'aucune plainte concernant le chauffage n'a été remontée.
Trois questions à Karim Belhaj, directeur général de l'ADIL 76
Quid de la hausse des signalements de logements insalubres ? Comment expliquer ce phénomène ? Directeur général de l'ADIL 76 (Association départementale d'information sur le logement, une structure qui accompagne et informe les locataires sur leurs droits), Karim Belhaj était l'invité d'ICI 19/20 ce jeudi 8 février.
France 3 Normandie : Les signalements dénonçant l'insalubrité des logements sociaux ont augmenté...
Karim Belhaj : On ne parle pas forcément d'insalubrité, mais plutôt de la notion de non-décence. On a une augmentation des signalements constatée dans le parc privé comme dans le parc social.
Si je compare l'année 2022 à l'année 2023, on a eu une hausse de 30 à 35% des signalements, et des consultations de plus en plus importantes.
On l'explique parce qu’à l'ADIL, on a pris cette thématique à bras-le-corps et essayé de déployer des permanences sur tout le territoire seinomarin. Il y a une forte démarche pour rencontrer les locataires, et on essaie de communiquer sur leurs droits et leurs devoirs, puisque souvent, les locataires ignorent ce qu'ils sont en droit de réclamer à leur propriétaire.
La tension locative qui touche le parc social peut-elle également expliquer cette hausse des signalements ?
C'est une partie de l'explication : depuis quelques années, la production de logements sociaux a beaucoup baissé. Aujourd'hui, on est sur un nombre de mises en production sur l'année 2023 qui est beaucoup moins important. Depuis 2016, on n'a jamais produit aussi peu de logements dans le parc social.
Il y a plusieurs raisons à cela : la hausse du taux du livret A qui participe à leur construction, les coûts de construction pour les bailleurs sociaux qui ont augmenté, et l'objectif "zéro artificialisation nette des sols" de la loi climat et résilience du 22 août 2021, qui impose aux bailleurs sociaux de construire moins.
Et les demandes de logements sociaux sont beaucoup plus importantes en raison de la paupérisation de la population. Tout cela fait que le territoire devient de plus en plus tendu en Seine-Maritime, là où ce n'était pas le cas il y a quelques années.
Construction de logements sociaux, transition écologique... Les secteurs financés par l'argent du livret Ahttps://t.co/jYNrM5347b
— franceinfo (@franceinfo) December 29, 2023
Les bailleurs sociaux souffrent-ils de difficultés financières ?
Oui, ça ne justifie pas les retards de travaux, mais ça les explique. Sans rentrer dans le détail, la loi Élan [Évolution du logement de l'aménagement et du numérique, ndlr] a contraint les bailleurs sociaux qui avaient moins de 12 000 logements à fusionner, ce qui a créé des groupements, donc un modèle économique assez nouveau.
Les coûts de construction et de matériaux, y compris pour la rénovation, ont connu une forte hausse. On a beaucoup parlé de la lutte contre les passoires thermiques : les bailleurs ont engagé des frais sur ces travaux-là.
Tout cela fait qu'aujourd'hui, on a bien un programme de rénovation chez le bailleur social, mais avec des délais qui sont plus ou moins longs et qui ne sont pas les délais qu'attendent les locataires : on ne peut pas dire à un locataire "il faudra attendre très longtemps avant que des travaux ne soient réalisés" !