INTERVIEW. Mort du professeur Thierry Frébourg : "l’attitude scandaleuse et indigne" du CHU de Rouen dénoncée dans un livre

Le professeur Thierry Frébourg est décédé en mars 2021 suite à l'ablation mal effectuée d’un cathéter au CHU de Rouen, là où le généticien exerçait. Dans un livre, Frère Unique, Olivier Frébourg raconte leur enfance commune, décrit les "fautes médicales" et dénonce la "lâcheté" de l’hôpital et de certains médecins.

Le 13 mars 2021, le Professeur Thierry Frébourg, généticien mondialement reconnu, chef du service de génétique au CHU de Rouen, meurt suite à "plusieurs fautes médicales", selon un rapport d’expertise, lors de soins réalisés à l’hôpital rouennais.

Le frère du défunt a écrit un livre

Depuis cette date, sa famille estime que le CHU de Rouen ne reconnaît pas ses fautes. Le frère du défunt, Olivier Frébourg, écrivain et éditeur, publie le livre Frère Unique (éditions Mercure de France), dans lequel il explique que "la recherche de vérité sera le combat de ma vie". Entretien.

France 3 Normandie : Dans votre livre, vous racontez tout le déroulé, dans le moindre détail, de ce qui est arrivé à votre frère ce 13 mars 2021. Quelles erreurs pointez-vous du doigt ?

Mon frère avait une névrite optique, maladie bénigne qui nécessite une prise en charge hospitalière. Il n'y avait pas de souci majeur et il était autorisé à rentrer le vendredi soir chez lui. Mais c’est une infirmière assez peu expérimentée qui lui a enlevé son cathéter central. Elle n’a pas assez compressé le point de ponction où était placé ce cathéter. Une bulle est entrée dans sa jugulaire, ce qui a provoqué une embolie gazeuse.

Il n’y avait pas de médecin au côté de l’infirmière. Elle n’était accompagnée que d’une élève infirmière en première année. Cette ablation aurait dû se faire en service de réanimation, et non en neurologie.

Plus de sept fautes médicales graves ayant entraîné la mort de mon frère ont été confirmées et avérées par des médecins experts, un professeur de réanimation et un autre de neurologie, qui avait été désignés par la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux.

C’est un rapport d’expertise qui est un véritable brûlot contre l’hôpital tant les erreurs sont manifestes et pas dignes d’un CHU comme celui de Rouen.

Comment le CHU de Rouen communique-t-il avec vous, la famille, les heures et jours suivant le drame ? Sachant que la femme de Thierry Frébourg est elle aussi médecin dans cet hôpital.

L’attitude de l’hôpital est étonnante, scandaleuse et indigne de ce qu’on peut attendre d’une telle institution. Mon frère a donné près de 40 ans de sa vie à cet hôpital. Il y a créé ce service de biologie moléculaire, de réputation mondiale. Il y a donné sa vie, son temps.

Et comment s’est comporté l’hôpital ? En essayant de travestir la vérité. En faisant d’abord un communiqué erroné auprès de la presse, en laissant croire que mon frère était mort d’un cancer ou d’une crise cardiaque.

Ensuite, le manque d’humanité a été flagrant : l'hôpital de Rouen ne nous a pas appelés. Pas un message de la directrice, soi-disant pour respecter notre douleur. Tout le monde a voulu mettre la vérité sous le tapis. Ne pas dire toute la vérité sur les conditions de la mort de mon frère, c’est le tuer deux fois. 

Beaucoup de confrères ont été magnifiques de générosité à notre égard, mais pour d’autres, ayant des responsabilités administratives, ça a été "courage, fuyons". Et plus, on montait dans les étages, plus la lâcheté était manifeste. Nous attendons du politique une réaction forte, courageuse, pour que ce type d’accident ne puisse se répéter.

Dans votre livre, vous écrivez "ne pas pouvoir être en paix tant que l’hôpital n’aura pas reconnu sa faute." Deux ans et demi après les faits, le CHU de Rouen s’est-il excusé ?

En fin de compte, l’hôpital s’est enferré dans cette honte du silence, et il n’y a toujours pas de regret. Même si les experts médicaux de la commission ont eu un rapport si sévère, il n’y a même pas de regret, même pas de culpabilité, ce qui est extraordinaire.

durée de la vidéo : 00h04mn20s
Entretien avec Olivier Frébourg, réalisé par Arthur Deshayes, Patrice Cornily et Steven Bleusse ©France 3 Normandie

Deux médecins viennent d’être sanctionnés par la chambre disciplinaire de l’ordre des Médecins, pour manquements déontologiques ou encore manque de soutien envers l’entourage. Le chef du service neurologie obtient un blâme. Le neurologue qui suivait votre frère obtient quatre mois de suspension dont deux avec sursis. Est-ce suffisant selon vous ?

Ces sanctions ne font pas revenir mon frère, mais elles sont importantes car c’est extrêmement rare que les médecins du service public soient condamnés. Dans ce jugement de la chambre disciplinaire, ce sont des médecins qui ont trouvé que l’attitude de leurs propres confrères n’était pas digne du serment d’Hippocrate. Quand ce sont vos propres pairs qui jugent qu’il y a eu fautes médicales et manquement à l’éthique, la messe est dite.

Pour nous, c’est un début de réconfort mais ça ne répare pas tout. Nous, on ne veut pas faire de chasse à l’homme. Si l’hôpital avait reconnu les faits et dit la vérité, nous n’aurions pas engagé toutes ces procédures. Tant qu’il n’y aura pas eu cette main tendue de l’hôpital, nous continuerons notre combat.

Vous écrivez : "La mort de mon frère, c’est la parabole de l’effondrement de l’hôpital public"… 

Si j’ai écrit ce livre, c’est pas pour parler d’un drame personnel uniquement, mais aussi parce que mon frère est mort du dysfonctionnement général de l’hôpital. Il y a de moins en moins de médecins, les soignants sont débordés. L’administration est désormais plus puissante que le corps médical.

Chaque jour, les hôpitaux sauvent des vies humaines, et les médecins sont absolument exceptionnels. Je veux absolument qu’on distingue, dans ce que je dis, à la fois l’admiration qu’on a pour l'hôpital, et notre immense déception face à son attitude.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité