Deux mois et demi après l'incendie de l'usine chimique Lubrizol, à Rouen, les 3000 agriculteurs impactés par le sinistre ont jusqu'à dimanche 15 décembre pour demander une indemnisation. Mais le dossier à remplir est lourd et décourageant. Enquête.
Produits consignés, vaches confinées, lait jeté... L'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre, a des conséquences en cascade pour les agriculteurs. Au total, ils sont 3000 à avoir été impactés par le sinistre, dans 216 communes (dont 112 en Seine-Maritime). Lubrizol s'est engagé à indemniser les agriculteurs et maraîchers, qui ont jusqu'à dimanche pour remplir un fastidieux dossier de demande d'aides.
En attendant, dans le secteur laitier, l'interprofession a avancé de l'argent aux producteurs en compensation du lait non vendu à la suite de l'incendie. Des sommes que devrait rembourser Lubrizol par la suite.
"Financièrement c'est correct. C'est juste qu'on a attendu un mois de plus pour avoir l'argent", explique un éleveur laitier, qui a reçu 2500 euros. "C'est le minimum minimum qu'ils puissent faire. Ça ne paye pas du tout toutes les problématiques qu'il y a derrière, les pollutions, le nettoyage du matériel..."
C'est un projet de vie qui part à la poubelle
Cette aide de leur interprofession, tous les agriculteurs n'ont pas la chance de l'avoir. Romain Hanser, maraîcher qui a lancé son activité en juillet, détruit encore ses légumes deux mois et demi après l'incendie de l'usine chimique.
"C'est un projet de vie. Si jamais ça se décoince pas très très rapidement, c'est un projet de vie qui part à la poubelle"
Comme beaucoup, il s'est rendu sur le site du fonds national agricole pour faire une demande d'indemnisation. Mais, il n'a pas encore envoyé sa demande, car un point le gène particulièrement. On lui demande en effet d'attester sur l'honneur n'avoir "ni demandé ni obtenu pour les mêmes coûts et pertes d'autres indemnités que celle objet du présent formulaire, ni d'indemnisation de (ma) compagnie d'assurance".
"Ça c'est extrêmement gênant, ça veut dire que je peux pas demander à mon assurance une contre-expertise, je peux pas demander au préfet de faire un évaluation de mes pertes", réagit-il. "On est bloqué, on peut rien faire."
Le dossier est par ailleurs extrêmement fastidieux à remplir, avec une quinzaine de documents justificatifs demandés... Et parfois plusieurs dossiers à compléter car le préjudice s'étend sur des temporalités différentes. Par exemple, un éleveur laitier devra faire un dossier pour le lait qui n’a pas été vendu pendant les restrictions, un autre sur les coûts engendrés au moment où il a dû jeter son lait, et un troisième pour les conséquences du confinement des vaches (achat de fourrage notamment).
Alors, face aux difficultés rencontrées pour remplir la demande d'aide, certains agriculteurs tentent de ne pas se décourager, et se font accompagner dans leur démarche par la chambre d'agriculture. Un soutien facturé 170 euros à l'agriculteur, mais qui sera remboursé par Lubrizol.
Les agriculteurs ont jusqu'à dimanche pour faire leur dossier, mais une inconnue subsiste toujours : le délai de paiement. Dans tous les cas, la demande d'indemnisation permet d'éviter l'attente d'une procédure judiciaire qui pourrait durer plusieurs années.
Une indemnisation sans coupable
C'est bien Lubrizol qui s'est engagé à indemniser les agriculteurs, alors que rien ne l'y oblige, comme l'explique le bâtonnier de l'ordre des avocats de Rouen : "tant qu'il n'y a pas de faute prouvée en matière d'incendie, on n'obtient pas automatiquement une indemnisation. Donc aujourd'hui, Lubrizol, en proposant une indemnisation, va au-delà de ce qui est prévue par la loi française. Il le fait parce qu'il se sent sans doute responsable de ce qu'il s'est passé. Il le fait aussi sans doute pour préserver son image et puis peut être après tout parce que l'entreprise veut avoir un comportement citoyen."Il précise aussi que si Lubrizol est innocenté et qu'un autre coupable est désigné, Lubrizol pourra attaquer ce coupable en justice, pour être remboursé des indemnités versées.
L'Etat, quant à lui, n'a pas prévu de verser de l'argent aux agriculteurs, mais il pourrait bien permettre une exonération de la taxe foncière à hauteur de 80 % pour le non-bâti... Du côté des collectivités territoriales, la région Normandie a une enveloppe globale de 200 000 euros pour avancer de l’argent aux agriculteurs en difficulté, avances qui devront être remboursées au plus tard le 30 novembre 2020. Pour l’heure, 24 dossiers ont été acceptés.