Quatre semaines après l'incendie à Rouen de l'usine du groupe chimique américain Lubrizol, classée Seveso seuil haut, l'origine du feu reste à découvrir, et de nombreuses questions demeurent. Retour sur cet accident "hors norme".
Que s'est-il passé?
Le 26 septembre, vers 2H30, une partie de l'usine Lubrizol et trois bâtiments de Normandie Logistique (NL) ont été ravagés par un gigantesque incendie, qui a provoqué un énorme panache de fumée noire de 22 km. Le sinistre n'a pas fait de victime.
La cause du sinistre reste inconnue. Le parquet de Rouen s'est dessaisi de l'enquête au profit du pôle de santé publique du parquet de Paris.Les investigations n'ont pas permis "de déterminer, à ce jour, la localisation précise du départ" du feu, a indiqué jeudi le procureur de la République de Paris.
Des perquisitions ont eu lieu le 10 octobre dans les locaux administratifs de l'usine Lubrizol à Rouen et de NL et des investigations sur le site sont menées par des enquêteurs spécialisés et de la police judiciaire.
Les sociétés Lubrizol et Normandie Logistique se rejettent la responsabilité de l'origine de l'incendie.
Qu'est-ce qui a brûlé le 26 septembre à Rouen ?
La quantité totale de produits brûlés s'élève à 9.505 tonnes, dont 5.253 tonnes de produits chimiques sur le site de Lubrizol et 4.252 tonnes de produits sur le site de Normandie Logistique (parmi lesquels 1.691 tonnes de produits Lubrizol).Que reste-t-il sur le site?
Environ 1.300 fûts endommagés dont près de 160 à risque pesant 200 kg chacun. Ils ont commencé à être évacués mercredi grâce à un robot vers un centre spécialisé de traitement des déchets dangereux à Sandouville, près du Havre.Les fûts à risque contiennent une substance qui, si elle est chauffée, peut donner lieu à des émanations de sulfure d'hydrogène (H2S), un gaz "extrêmement dangereux", et de Mercaptan, un gaz "très incommodant". Pour cette opération, un équipement provisoire de confinement a été construit au-dessus de ces fûts.
Quelles conséquences économiques ?
L'incendie a causé aux agriculteurs un préjudice global estimé "entre 40 et 50 millions" d'euros et 3.000 agriculteurs ont été concernés par les conséquences de l'incendie, selon le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume. En Normandie et dans les Hauts-de-France.Le groupe chimique américain s'est dit prêt à financer des indemnisations pour les agriculteurs, sans avancer de chiffres. Il a aussi fait part de la possibilité d'abonder un fonds pour soutenir le tourisme.
La direction du travail a comptabilisé "85 demandes d'entreprises de recourir à de l'activité partielle pour protéger la situation de l'emploi de 2.000 salariés normands". Une dizaine d'entreprises "sont significativement affectées" par les conséquences du sinistre, selon Gaëtan Rudant, directeur régional du travail, qui juge l'impact "réel mais modéré".
Quelles conséquences sanitaires et alimentaires ?
La commercialisation des produits agricoles produits sous le panache de fumée dans de nombreuses communes où des suies ont été observées (Seine-Maritime, Oise, Nord, Somme et Aisne) a été interdite dans la foulée de la catastrophe. La mesure a été levée le 14 octobre pour les produits laitiers, le 18 pour les autresproductions.
L'eau est "parfaitement potable", répète le préfet de Normandie Pierre-André Durand.
Sur le plan sanitaire, les symptômes observés chez les Rouennais dans les jours qui ont suivi la catastrophe (maux de tête, nausées, vomissements, diarrhées) ont progressivement disparu en même temps que les odeurs d'hydrocarbures. A plus long terme, "la surveillance de la population dépendra de l'avis de l'Anses (agence
nationale de sécurité sanitaire, ndlr) et de Santé publique France que j'ai saisies", a dit la ministre de la Santé Agnès Buzyn le 11 octobre.
Que font les parlementaires ?
Créée à l'unanimité du Sénat, une commission d'enquête parlementaire dispose de six mois pour se pencher sur l'application des règles auxquelles sont soumises les installations classées Seveso "afin de tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques". Elle s'est rendue jeudi sur les lieux.L'Assemblée nationale a, elle, mis en place une mission d'information.
Des infractions commises par la société Normandie Logistique ?
"De nombreux examens techniques, auditions, constatations et transports sur les lieux ont déjà été réalisés", a rappelé le procureur. Le pôle santé publique du parquet de Paris s'est saisi le 1er octobre de l'enquête menée jusqu'alors par le parquet de Rouen.
Le procureur a par ailleurs indiqué que le parquet s'était saisi d'un rapport d'inspection de la direction régionale de l'environnement "faisant état de la commission de plusieurs infractions par la société Normandie Logistique", voisine de la société Lubrizol à Rouen.
Mercredi, le directeur régional de l'environnement, Patrick Berg, avait évoqué ce rapport d'inspection devant la mission d'information de l'Assemblée nationale sur cette catastrophe mercredi, sans toutefois préciser la nature des infractions pénales commises.
"Ce procès-verbal vise huit contraventions de cinquième classe, dont six susceptibles d'avoir été commises antérieurement à l'incendie et deux pouvant avoir été commises postérieurement", a détaillé pour sa part le procureur de Paris.
"Il vise également le délit d'exploitation non conforme par une personne morale d'installation classée ayant porté une atteinte grave à la santé, la sécurité ou dégradé substantiellement la faune, la flore, la qualité de l'air, du sol ou de
l'eau".
Mercredi, M. Berg avait reproché à Normandie Logistique "une défaillance administrative".
"Ils sont juridiquement une installation classée ICPE soumise à enregistrement sauf que à défaut de s'être manifesté après une modification des textes en 2010, ils sont restés connus chez nous comme ICPE soumise à déclaration", un niveau inférieur de classement, avait-il précisé.
Mardi, le PDG de Lubrizol, Eric Schnur, a réaffirmé que l'incendie s'était déclaré en dehors de l'usine.