La cour criminelle de Seine-Maritime jugera du mercredi 14 au vendredi 16 septembre 2022 un homme poursuivi pour avoir causé la mort de Mamoudou Barry, enseignant chercheur de l'université de Rouen en juillet 2019. Il est reproché à l'accusé des violences volontaires à caractère raciste ayant entrainé la mort de la victime. Il encourt 20 ans de prison. Rappel des faits.
Le chercheur guinéen de 31 ans décédé à Rouen en juillet 2019 après avoir été roué de coups a-t-il été victime d'un acte raciste ? Le procès de son agresseur présumé, souffrant de lourds problèmes psychiatriques, s'ouvre ce mercredi devant la cour criminelle.
L'accusé, âgé de 32 ans, interné en hôpital psychiatrique dans une unité pour malades difficiles depuis son interpellation, comparaîtra durant deux jours pour avoir "volontairement commis des violences ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort" de Mamoudou Barry, qui succombera le lendemain. L'agresseur présumé est également poursuivi pour avoir commis ces faits en "raison de l'appartenance ou de la non appartenance" de la victime à une "prétendue race ou religion déterminée".
Rappel des faits
La vie de Mamoudou Barry a basculé le 19 juillet 2019. Il est un peu plus de 20 heures dans la commune de Canteleu, près de Rouen. L'enseignant chercheur est au volant de sa voiture, sa femme à ses côtés. Mamoudou voit de l'agitation à un arrêt de bus. Il ralentit, fenêtre ouverte.
Des témoins expliqueront plus tard qu’un passant lui a lancé des insultes obscènes et racistes. Mamoudou Barry sort de la voiture et tente d’entamer une discussion avec cet homme. "Il n'a pas réussi à terminer sa phrase, et tout de suite il a commencé à avoir des coups au niveau du cou, de la poitrine, du visage... C'est au quatrième coup qu'il est tombé sur la tête", nous raconte un témoin de l'époque.
Le jeune universitaire originaire de Guinée mourra de ses blessures le lendemain à l’hôpital de Rouen. Père d’un enfant de 2 ans, il avait réussi sa thèse de doctorat de droit quelques jours auparavant.
L'agresseur, qui s'était enfui à bord d'un bus, est arrêté trois jours après les faits à Sotteville-lès-Rouen, mais sa garde-à-vue est levée très vite. Il est hospitalisé en soins psychiatriques.
En janvier 2020, le suspect est mis en examen pour "violences volontaires ayant entraîné la mort, sans intention de la donner, des faits à caractère raciste". Après plusieurs expertises psychiatriques, la justice statue que le suspect peut être jugé, car son discernement, autrement dit sa lucidité, était altérée au moment des faits mais pas abolie.
"Mon mari s’est fait tuer parce qu’il était noir"
Selon Fatoumata Barry, l'épouse de la victime et mère de leur enfant alors âgé de 2 ans, son mari s'est fait tuer "parce qu'il était noir" . Elle a en effet "soutenu de manière constante que l'accusé avait tenu des propos racistes avant d'agresser son mari".
"Vous les noirs, vous êtes des fils de pute, on va vous niquer ce soir", a lancé, selon la jeune veuve, ce Français d'origine turque, faisant référence à la finale Sénégal/Algérie de la coupe d'Afrique des Nations de football qui se jouait ce soir-là.
Il nous a vus avec notre couleur de peau noire. La seule infraction de mon mari c’est d’avoir la peau noire. Je suis choquée de voir qu’en 2021, au 21e siècle, on se fait tuer parce qu’on est noir.
Fatoumata Barry, 2021
A quelques jours du procès, Fatoumata Barry était toujours convaincue que son époux a été victime d'un "crime raciste", a-t-elle confié à l'AFP. Devant les enquêteurs, l'accusé a reconnu avoir dit "sale noir" mais sans qualifier cette insulte de propos raciste.
Le chauffeur du bus dans lequel est monté l'agresseur après les faits a en outre indiqué l'avoir entendu dire "fils de pute de catholique ou chrétien". La Licra et le Mrap sont parties civiles.
Reste que selon l'accusation, "il ressort des auditions de l'entourage" de l'accusé "qu'il n'avait nullement l'habitude de tenir des propos racistes". L'avocate de l'accusé, Herveline Demerville, ne " souhaite pas échanger sur le dossier avant l'audience". En 2019 son avocat d'alors, Selçuk Demir, avait déclaré avoir un "gros doute sur le mobile". "Je ne pense pas que Damien puisse être à l'origine d'une agression raciste", avait-il déclaré le 23 juillet 2019.
Les coups violents font eux peu débat. L'accusé les a reconnus. L'enquête a montré que cet homme sous curatelle renforcée depuis 2013 "pouvait se montrer violent", "d'autant plus lorsqu'il se trouvait en rupture de soin", ce qui était le cas depuis un ou deux ans au moment des faits, selon les déclarations de ses parents aux enquêteurs.
L'accusé souffre de schizophrénie se manifestant par une activité délirante générant des troubles du comportement de type agressif. Son casier judiciaire affiche trois condamnations. Il encourt cette fois 20 ans de prison.
Un procès attendu au-delà des frontières normandes
La violente agression de Mamoudou Barry avait suscité de vives réactions en France et en Guinée. Des milliers de Guinéens avaient assisté à son inhumation dans son village natal le 5 août 2019.
"Le gouvernement guinéen suit de très près l'évolution de l'enquête (...). Les crimes racistes ne peuvent être tolérés", avait déclaré le chef de la diplomatie guinéenne, Mamadi Touré, deux jours plus tôt.
Depuis 3 ans, des marches pacifiques exigent la justice pour Mamoudou Barry.