Depuis leur construction à la Renaissance, les deux cadrans du Gros-Horloge de Rouen (Seine-Maritime) indiquent l'heure à tous les Rouennais. Ce dimanche 27 octobre 2024, quant à trois heures du matin, il ne sera plus que deux heures, comment le célèbre édifice passera-t-il à l'heure d'hiver ?
Lorsque nous le contactons par téléphone, avec cette question en tête, très rapidement, Dominique Charlet nous répond : "je crois que vous allez être déçus".
Des cadrans radio-pilotés
Installé autrefois dans un atelier dans le centre-ville de Rouen, Dominique Charlet a exercé à son compte comme horloger. Meilleur ouvrier de France, il excelle dans la restauration des horloges mécaniques.
Alors forcément, une fois à la retraite, ce Rouennais a mis ses compétences au profit du Gros-Horloge.
Notre rendez-vous est fixé en début d'après-midi, vendredi 25 octobre 2024. Ensemble, nous gravissons l'escalier qui mène à la salle des cadrans. À ce moment, nous sommes au cœur du Gros-Horloge. À notre gauche et à notre droite, l'arrière des deux cadrans surplombant la rue piétonne.
"Aujourd'hui, ces deux cadrans sont radio-pilotés, comme toutes les horloges publiques de Rouen : à la gare, à l'hôtel de Ville, explique Dominique Charlet. C'est un boîtier électronique gros comme un poste de radio, installé et entretenu par une entreprise de Saint-Martin-de-Boscherville, près de Rouen."
Ce boîtier radio-piloté est un mini-ordinateur qui dispose d'une antenne et reçoit un signal comme nos téléphones portables pour dire il n'est plus 3h mais 2h.
Dominique Charlet, horloger à la retraite
Désormais, cette horloge électronique pilote tout l'affichage de l'heure mais aussi les mécanismes qui sonnent les cloches. "Et la précision de cette horloge atomique est redoutable, confie le spécialiste des mécanismes anciens. Bien sûr, il peut toujours y avoir une panne mais il suffit alors de changer le composant électronique."
Une horloge sans cadran
Mais avant de passer dans l'ère moderne du radio pilotage dans les années 1980, le Gros-Horloge a connu toutes les révolutions de l'horlogerie.
Le tout premier mécanisme est installé en 1389. Très préservé, avec essentiellement des pièces d'origine, il peut encore être admiré aujourd'hui sur place même s'il ne tourne plus.
Situé tout en haut de la tour d'horloge, c'est lui qui dès le XIVe siècle déclenche tous les quarts d'heure les tinterelles et toutes les heures la Normande, les cloches situées juste au-dessus dans le campanile.
"Lorsque la tour d'horloge a été édifiée au XIVe siècle, l'horloge n'avait pas de cadran. L'objectif était de faire sonner les cloches, explique Dominique Charlet. Les habitants entendaient l'heure mais ne pouvaient pas la lire."
Un Gros-Horloge sous haute surveillance
Au Moyen-Âge, la maîtrise de l'heure revêt une telle importance qu'un gardien réside sur place. "Jusqu'en 1970, celui qui porte le nom de gouverneur habite sur place avec sa famille. Il est chargé de l'entretien des mécanismes et des réglages et au rez-de-chaussée, il dispose d'un commerce d'horlogerie, raconte Dominique Charlet. La fonction se transmet souvent de père en fils".
Les cadrans en bois peint, restaurés à maintes reprises depuis, sont installés pour la première fois en 1409.
"Le mécanisme de 1389 doit désormais faire sonner les cloches mais également faire avancer l'aiguille, le semainier qui indique le jour de la semaine par un dieu de la mythologie grecque et la phase de Lune, poursuit l'horloger à la retraite. Pour ce faire, un axe en métal transmet le mouvement du mécanisme situé tout en haut aux cadrans installés plus bas. Cette tringlerie est encore visible aujourd'hui à plusieurs endroits dans les murs de l'édifice."
Un cadran avec une seule aiguille
Mais au XVe siècle, si résistant soit-il, le mécanisme manque de précision.
Il n'y a qu'une seule aiguille sur les cadrans qui marque les heures. La précision était si faible au XVe siècle qu'une aiguille des minutes n'aurait pas eu de sens.
Dominique Charlet
La précision va aller croissant au fil des siècles : horloge à foliot au XVIIe siècle puis horloge à balancier pendulaire jusqu'à l'horloge atomique dans les années 1980.
Mais alors comment l'heure était-elle réglée avant le radio pilotage ? "Il suffisait de débrayer le mécanisme pour qu'il n'entraîne plus l'aiguille des cadrans. Ensuite, il fallait tourner vite jusqu'à ce que l'aiguille affiche la bonne heure s'il fallait l'avancer. Pour ce faire, le gouverneur avait un disque miroir qui lui servait de référence au niveau du mécanisme. S'il fallait reculer l'heure, il suffisait de laisser le mécanisme débrayé suffisamment longtemps", nous explique Dominique Charlet.
Depuis près de dix ans qu'il est à la retraite, Dominique Charlet a modélisé tout le mécanisme du Gros-Horloge et déposé ces documents aux archives municipales. Une façon de transmettre ses connaissances aux générations futures.
Son rêve : en faire une maquette grâce à l'impression 3D pour la rendre accessible aux plus grands nombres. Car pour admirer le mécanisme d'origine grandeur nature, il faut monter près d'une centaine de marches.