A Paris, après les trois premières semaines du procès de l'assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray, Roseline Hamel témoigne et décrit ce qu'elle ressent après avoir vu et entendu les accusés.
C'est la sœur du père Hamel. A plus de 80 ans elle a tenu à se rendre à Paris, à la cour d'assises spéciale où, pendant un mois, a lieu le procès de l'attentat de Saint-Etienne du Rouvray survenu le 26 juillet 2016.
Un procès où depuis le 14 février 2022 quatre hommes sont jugés pour "association de malfaiteurs terroriste" : Jean-Philippe Jean Louis, Farid Khelil et Yassine Sebaihia. Ils sont soupçonnés d'avoir été au courant des projets des deux jeunes hommes, d'avoir partagé leur idéologie ou d'avoir tenté de rejoindre la Syrie. Le quatrième accusé, Rachid Kassim, est absent du procès. Il est présumé mort dans un bombardement en Irak en février 2017. Ce propagandiste français du groupe Etat islamique est le seul à être mis en examen pour complicité de l'assassinat du prêtre, pour avoir "sciemment encouragé et facilité le passage à l'acte" d'Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean.
Face aux accusés
Prenant appui sur sa canne, Roseline Hamel se tient debout et affronte avec force et détermination l'épreuve de ce long procès au cours duquel elle a fait face aux accusés. "Vous n'aurez pas ma haine. La souffrance est tellement immense, il n’y a pas de place pour la haine" leur avait-elle déclaré.
Trois semaines plus tard, le vendredi 4 mars, à la fin de la dernière journée de la troisième semaine de ce procès, à la sortie de la cours d'assises, la sœur du père Hamel s'est confiée à notre journaliste Maxime Fourrier, évoquant avec émotion, son ressenti mais aussi sa perception de la personnalité des accusés.
"Dans chaque religion il y a amour, partage, solidarité, fraternité…"
Comprendre. Comprendre pourquoi ces jeunes hommes en sont arrivés-là ? Et pourquoi ils ont agi avec, en plus, un motif, une justification en relation avec la pratique d'une religion ? C'est qu'a tenté de faire durant ces trois premières semaines de procès Roseline Hamel, tout en se préoccupant de l'avenir spirituel de ces jeunes tombés dans la radicalisation :
"Tous les trois sont entrés là-dedans… Les uns disent "c'est pour me montrer fort, vis-à-vis de mes copains", ou "je m'ennuyais et je n'avais pas de liens familiaux". Mais ils se sont fait prendre au piège, et ils y ont cru, dur comme fer. Je ne sais pas par quel truchement, mais voilà : ils y sont allés, en trouvant que, toute cette violence, tout ce qui était raconté sur les chaînes [vidéo] eh bien, c'était vrai, que leur vie aurait un sens…"
"Le problème c'est que… je ne pense pas que les années de prison changeront quelque chose si, de toute façon, pendant ces années, il ne leur est pas donné de lire convenablement ce qui est écrit dans leur livre de religion, le Coran. Et d'en comprendre vraiment le sens qui est, comme dans chaque religion : amour, partage, solidarité, fraternité… Dans aucun livre d'aucune religion où on a un dieu unique, n'est écrit la violence, les décapitations et toutes les violences faites pour des raisons inhumaines."
"Ils n'ont pas grandi dans leur tête"
"Ils sont vraiment immatures. De ces années de prison qu'ils ont faites là, ces 6 années, ils n'ont pas grandi dans leur tête. Ils sont toujours en recherche de leur propre personnalité, de ce qui pourrait leur convenir. Ils en sont là aujourd'hui. Ils disent qu'ils ont grandi, qu'ils ont réfléchi, avec du recul, en fait, je ne sais pas. J'espère, mais je n'ai pas grande confiance… Le dernier qui a été interrogé, lui, il ne voit pas d'où est le mal de s'être investi dans cette religion où il sait très bien qu'il y a des exactions. Il en est conscient mais il ne pense pas qu'il aura à faire ces choses-là, donc il ne voit pas où le problème."
"Tout ce qu'on entend, c'est tellement grave pour ces jeunes qui se trouvent être enrôlés. Pour quelle raison ne trouvent-ils pas leur place dans la société ? C'est vrai que ces trois jeunes hommes, à la base, ont eu une enfance un peu broyée. Mais le jeune Kermiche n'avait pas d'enfance broyée… On a du mal à comprendre. Alors qu'est ce qui l'a poussé vers ça ? Et tellement enrôlé, si vite, dans la persuasion de bien faire ? Dans cette religion où il n'est question que de violence, où les femmes n'ont pas leur place, les enfants non plus… Cela leur parait banal. A la base, ils ne pas instruits de leur religion, de ce qui est écrit vraiment dans le Coran.
Le bon Coran.
"Que ces années de prison ne soient pas que du vide"
"Donc je pense que pendant toutes ces années, que si on veut que ces jeunes gens ressortent matures, se sentent responsables dans leur vie, pour grandir et changer, il faut qu'ils soient entourés. Et si c'est la religion musulmane qu'ils veulent, qu'ils soient instruits de ce que c'est cette religion, pour un même dieu d'amour, de pardon, de solidarité, d'entraide. Ce que je souhaite pour ces jeunes gens c'est qu'au bout du compte, que ces années de prison ne soient pas que du vide."
"Un petit éclair de compassion, c'est bon à entendre"
Questionnée sur les propos des accusés au cours de toutes de ces audiences, durant les trois premières de ce procès, et plus précisément sur leur sincérité, Roseline Hamel a quelques secondes d'hésitation avant de répondre "le dernier, non pas du tout. L'autre, il n'a pas encore demandé d'excuses…" Puis après un temps de réflexion, elle ajoute : "mais un petit éclair de compassion, c'est bon à entendre, c'est que tout n'est pas perdu.
Par contre, le premier, celui qui m'a fait des excuses, ainsi qu'à monsieur Coponet, je garde un brin de doute, un brin assez fort, mais je l'ai accueilli plus fort. J'accueille ce qu'il m'a dit, ce qui n'est peut-être pas à la hauteur de ma confiance, mais je l'accueille comme quelque chose de précieux, qui j'espère mûrira, et fera de lui un homme plus mûr, plus responsable et correct dans ses décisions."
"Je suis tellement déçue"
Ce soir-là, après avoir répondu aux journalistes présents, Roseline Hamel, avant de remonter les marches du palais de justice de Paris, a encore ces mots, évoquant l'épreuve de ce procès :
"Je suis tellement déçue… Mais bon, ce n'est pas fini. On attend encore quelque chose. J'ai bien peur de repartir sans réponses. Et je regrette toute la souffrance que, par bonne volonté, on a accepté de faire revivre. Si toutefois on n'a pas de réponses, je vais repartir avec ma peine. Et je vais essayer de gérer…."
La quatrième semaine de ce procès doit débuter le lundi 7 mars 2022.