Procès du double assassinat à Eu en 2019. Qui est Cédric P., poursuivi pour homicide ?

Il est accusé d’avoir mortellement tiré sur son ex-compagne et le nouveau conjoint de cette dernière en 2019 à Eu (Seine-Maritime). Qui est Cédric P., jugé à partir de ce mardi 17 septembre 2024 à la Cour d'assises de Rouen ?

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"Je n'aurais jamais cru me retrouver ici un jour, devant des personnes qui me sont proches. C'est vraiment très compliqué pour moi." Tels sont les mots de Cédric P. lorsqu'il s'avance à la barre, ce mardi 17 septembre. À sa gauche, les familles des deux victimes, Caroline Noureux et Christophe Granger. Dans la salle, son fils, Thomas, 12 ans. Il ne s'attendait pas à le voir.

Cédric P. lâche quelques larmes : "Je mérite les quatre années que j'ai passées en détention. Et je mérite de refaire de la prison après."

"Je ne suis en aucun cas violent"

Cédric P. s'efforce de ne pas croiser le regard de ses ex-beaux-parents. Il garde les yeux baissés et répond aux questions de la présidente de la Cour d'une voix tremblante. Elle l'interroge sur ses qualités et ses défauts.

Les réponses la surprennent : en couple, l'homme se défend de la moindre jalousie, assure ne pas être possessif mais "avoir un cœur d'artichaut : trop bon, trop con". "Je suis aimant, passionné, curieux de tout", décrit-il. Ajoutant "je suis aussi têtu, un peu monsieur je-sais-tout... Mais en aucun cas violent."

Pourtant, le 5 février 2019 peu après 1h du matin, il cède à une pulsion particulièrement violente. Venu devant le domicile du couple pour "se suicider", dit-il, et pas pour tuer, il tire finalement deux balles à seulement quelques secondes d'intervalle. Caroline s'effondre. Christophe la suit.

La gendarmerie retrouve un premier corps en position semi-assise, à l'extérieur du pavillon. Le deuxième est couché sur le ventre, dans l'entrée. Les deux ont vu leurs organes perforés par le calibre 12. 

Au moment des faits, il avait consommé une demi-bouteille de rhum arrangé. Ça ne permet pas le même contrôle. Le surmoi est soluble dans l'alcool, c'est une vieille formule de psychiatrie.

L'expert psychologue

le 17/09/2024 à la barre

Une enquête de voisinage évoque "des bruits de dispute". Un témoin assure même avoir entendu quelqu'un "rire aux éclats" après les faits, sans que ce détail ne puisse être strictement authentifié.

Après son crime, Cédric P. joint ses parents par téléphone et leur avoue tout, répétant "Je suis désolé, je suis désolé". Flou gaussien : ils ne comprennent rien. Quand la gendarmerie se rend sur les lieux, le meurtrier présumé se rend, en revanche, sans résistance.

Un homme "excessif"

Alors, qui est Cédric P. ? L'homme semble montrer deux visages. D'un côté, celui d'un homme "normalement intelligent", selon l'un des experts présents lors du procès, "intégré", mais souffrant "d'angoisses profondes", liées à "l'intériorisation d'un ordre parental avec une forme de rigidité, devenu capital dans sa vie de couple". En couple, il craint d'être trahi, souffre d'une "fragilité narcissique", d'un "manque de confiance", d'un "certain égocentrisme".

De l'autre, l'accusé fait preuve, selon une autre experte, psychiatre, d'une "froideur affective". En juillet 2019, cinq mois après les faits, la psychiatre rencontre Cédric P. en détention. Elle décrit "son immense sentiment de colère, sa rancœur envers son épouse" après la découverte de ses tromperies et alors qu'il doit gérer presque seul l'éducation de son fils.

Après la rupture, il a ressenti une grande souffrance. Il m'a confié : 'A elle, on lui disait, pense à toi. A moi, pense à ton fils.'

L'experte psychiatre

le 17/09/2024 à la barre

Il lui arrive également de rire ou de sourire pendant les auditions avec la juge d'instruction, un possible mécanisme d'évitement mais qui brosse le portrait d'une personnalité "narcissique et psychorigide". Le directeur de l'enquête de gendarmerie au moment des faits, venu lui aussi témoigner, estime : "Pendant les interrogatoires, il était froid, semblait détaché, appelait son épouse 'Madame'."

Ses ex-compagnes, elles, parlent d'un homme "excessif", notamment dans ses cadeaux, parfois étouffant, souvent dépendant affectif. Ce à quoi le principal intéressé répond : "En quoi est-ce excessif d'offrir un bouquet de fleurs ou le livre de son auteur préféré ? Je ne suis pas d'accord avec ça." A ses yeux, les ruptures sont toujours causées par l'autre. La remise en question est absente, remarque la cour.

Une "décompensation narcissique dépressive" après la rupture

Né en janvier 1986 en Picardie, Cédric P. vit une enfance relativement normale. Proche de sa mère, il voit moins son père, souvent parti pour le travail. Sa famille reste néanmoins présente, figure de stabilité, rassurante pour un enfant plutôt fragile. Il accompagne tôt son père à la chasse, passionné par la nature, avant de lui-même passer son permis de chasser en 2002, à l'âge de 16 ans. 

Son parcours scolaire est semé d'embûches. Cédric P. redouble sa première, puis sa terminale scientifique, perd une année "à cause de son côté fêtard", avant de finalement obtenir un diplôme de manipulateur en radiologie et d'être embauché au CHU d'Amiens (Somme).

C'est à cette période qu'il rencontre Caroline Noureux, par le biais d'amis communs : sa première vraie et longue relation. Leur fils naît en 2012. Suivent un mariage et un voyage de noces en Polynésie.

À ce moment-là, l'infirmière de profession a déjà quelques doutes sur l'avenir de leur relation, mais compte sur le mariage pour raviver une flamme prête à s'éteindre. Cela ne fonctionne pas. Elle entretient une relation extraconjugale en 2018, signe la fin de son mariage et rencontre Christophe Granger quelques temps plus tard, avec qui elle s'installe en concubinage.

La stabilité rassurante de Cédric P. est rompue. Arrivent une "décompensation narcissique dépressive", selon les experts, et des "ruminations colériques" que les traitements antidépresseurs et anxiolytiques apaisent.

En janvier 2019, il "va mieux", selon les dires de ses parents, arrête sa médication... Et commet l'irréparable, moins d'un mois plus tard, après la découverte d'une commande de lingerie fine passée par son ex-compagne : lui souffre, elle revit, une dichotomie insupportable à ses yeux.

La préméditation retenue

S'il assure toujours, cinq ans après les faits, n'avoir jamais voulu tuer Caroline Noureux et Christophe Granger, la préméditation a été retenue dans l'affaire Cédric P.

"Même s'il est allé sur place avec un fusil, armé, et que malheureusement deux personnes sont mortes, des éléments démontrent qu'au moment où il part de chez ses parents, il n'a pas l'intention de tuer quiconque", assure de son côté Me Fabien Picchiottino, son avocat. "Après, une interprétation aura lieu, mais ça me semble évident que des questions se posent, et qu'il y a de grosses zones d'ombre et de doute."

Pour les parties civiles, cette théorie est insupportable. "(Les familles) attendent que l'accusé reconnaisse les faits", plaide Me Rose-Marie Capitaine, avocate de la famille Granger. "Ils ne peuvent pas accepter sa thèse qui consiste à dire 'j'avais le fusil, mais si les coups sont partis, c'est parce que Christophe et Caroline ont tiré le fusil vers eux'. Je ne vois pas comment on peut tirer et contester avoir tué."

Les prochains témoignages pourraient donc être déterminants. L'homme encourt la réclusion à perpétuité : verdict vendredi 20 septembre.

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