Qu'est-ce que la "cancel culture", ce mouvement qui appelle au boycott et à la censure de nombreuses œuvres sur les réseaux sociaux ?

Déboulonnage de statues, dénonciation sur les réseaux sociaux, boycott, censure… Qu'y a-t-il derrière la cancel culture ? A Rouen, l’expression n’a jamais été autant prononcée depuis que le maire propose de remplacer la statue de Napoléon, devant l'hôtel de ville, par une figure féminine.

Quel est le point commun entre la romancière J. K. Rowling, le film “Autant en emporte le vent”, et la statue de Napoléon sur la place de l’Hôtel de ville de Rouen ? Ils ont tous les trois été visés par la "cancel culture" (culture de l'annulation), qui appelle à boycotter des œuvres historiques. Où est né ce mouvement ? En quoi consiste-t-il ?

C’est quoi la Cancel culture ?

La "Cancel Culture", ou "culture de l'effacement”, c'est dénoncer, boycotter, voire censurer un individu ou une œuvre parce qu'il ou elle a été jugé offensant. Sexiste, raciste ou transphobe, le plus souvent. Afin de comprendre, voici quelques exemples connus de cancel culture. En Juin 2020, la créatrice d'Harry Potter, J.K. Rowling, publie un tweet dans lequel elle sous-entend que les femmes transgenres ne sont pas des femmes. Un tweet jugé transphobe sur les réseaux sociaux où les appels à boycotter ses livres se multiplient.

La cancel culture peut aussi s’attaquer à des œuvres cinématographiques, littéraires ou artistiques en elles-mêmes. Quelques jours après le tweet de J.K. Rowling, le film "Autant en emporte le vent" est retiré de la plateforme HBO pour ses "préjugés racistes". Un effacement pur et simple mais temporaire, car le film revient dans le catalogue deux semaines plus tard.

Autre exemple avec la série Friends, cultissime dans les années 90, aujourd'hui taxée de transphobie et de grossophobie. Enfin, à l'instar du président américain Thomas Jefferson, déboulonné parce qu'il possédait 600 esclaves, retirer des statues s'apparente pour certain à de la cancel culture.

Un phénomène qui s'accentue sur les réseaux sociaux

Mais le plus souvent, la cancel culture existe sur les réseaux sociaux, et particulièrement Twitter. C'est là que des personnalités sont pointés du doigt, que les appels au boycott se font ou que naissent les campagnes d'annulation et d'effacement.

Née aux Etats Unis il y a 5-6 ans, la cancel culture est un concept ambigu. D'un côté, c'est en partie grâce à la dénonciation en ligne que les mouvements #Metoo ou #BlackLivesMatter ont pu émerger. D'un autre côté, et c'est pour cela que le terme est connoté péjorativement, la cancel culture s'apparente souvent à l'insulte, au cyber-harcèlement, à l'humiliation publique et à la fin de la liberté d'expression. 

En juillet 2020, 150 écrivains et intellectuels, de J. K. Rowling à Margaret Atwood, publient une tribune dans "Harper’s Magazine" pour dénoncer "l’intolérance à l’égard des opinions divergentes, un goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme". L'universitaire et féministe américaine Loretta Ross dénonçait en juillet 2020 le manque de nuance d'une pratique qui est parfois utilisée pour "faire honte et humilier publiquement des gens".

A Rouen, la statue Napoléon visée par la Cancel Culture ?

A Rouen, en Seine-Maritime, les mots cancel culture n'ont jamais été autant prononcés. En juillet 2020, la statue de Napoléon sur son cheval, située sur la place de l'Hôtel de ville depuis 1865, a été enlevée pour être restaurée. Deux mois plus tard, le maire PS Nicolas Mayer-Rossignol propose de remplacer Napoléon par une figure féminine.

A titre personnel, je trouverai formidable que Rouen soit la première ville de France à mettre une statue par exemple de Gisèle Halimi.

Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen

Installer une statue de l'avocate, figure de la lutte pour les droits des femmes, afin de féminiser l'espace public, Edouard Varin n'est pas contre, mais à condition de laisser Napoléon à sa place. Dès l'annonce de la municipalité, le jeune homme de 20 ans, président de l'UNI, association étudiante de droite, organise des tractages et lance une pétition.

Le maire de Rouen se sert des figures féminines pour remplacer, effacer une partie de notre histoire, c'est l'œuvre de la ‘cancel culture’, de la déconstruction.

Edouard Varin, président de l'UNI

Nicolas Mayer Rossignol fait-il de la destruction mémorielle, comme l'assurent certains ? Jean-Pierre Chaline est lui aussi opposé au déplacement de la statue. Cet historien et président de l'association des Amis des Monuments Rouennais en est persuadé, la mairie est hostile à Napoléon :

"Ce qu'on reproche à Napoléon aujourd'hui, c’est certaines mesures et en particulier d’avoir rétabli l’esclavage chez les noirs, ce qu’avait supprimé la Révolution en 1794. C'était certainement une maladresse. Ce qu'un historien sérieux sait bien, c'est qu'il faut se défier de l'anachronisme, c'est-à-dire de mélanger les valeurs d’une époque avec celle d’autres époques. Il y a des choses qui, dans le passé, ne choquaient personne. C’est le cas de l’esclavage qui, aujourd'hui, est considéré comme un crime contre l'humanité.”

Une consultation citoyenne

Rétablir l'esclavage, une simple maladresse à remettre dans son contexte ? Ou bien un acte suffisamment grave pour faire descendre Napoléon de son piédestal ? Le débat est ouvert.

Pour imaginer ce que sera la future place de l'hôtel de ville de Rouen, les habitants sont invités débattre et à faire des propositions. "Napoléon est une figure, avec ombre et lumière. Ça interroge. Est-ce que c'est le meilleur symbole de la République aujourd'hui au 21ème siècle ?", soulève Elizabeth Labaye
Conseillère municipale déléguée au patrimoine et matrimoine

La question sera posée aux rouennais en décembre. Ils devront voter pour ou contre le retour de Napoléon sur son socle.

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