Témoignages. Malgré leurs handicaps, Quentin et Cécilia se rêvent chefs d’entreprise

Publié le Écrit par Stéphanie Letournel
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Quentin et Cécilia ne se connaissent pas, mais partagent la même ambition : devenir leur propre patron en dépit d’un handicap invisible. Lui souffre de troubles DYS, elle est malentendante à 80%. S'ils doivent travailler deux fois plus que d'autres, ils peuvent compter sur le soutien de leur environnement professionnel.

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Sa passion pour l'agriculture lui a été transmise par son oncle. Quentin Prévost sait très tôt qu’il en fera son métier. Dès l’école primaire, des troubles dyspraxiques et dysgraphiques sont repérés chez le jeune normand qui bénéficie alors d’une aide en psychomotricité du CM1 à la sixième.

Écrire lui demande un effort de concentration intense, et la motricité fine lui fait défaut. « Si je dois clouer quelque chose, je vais plutôt me taper sur les mains que sur le clou », explique-t-il non sans une pointe d’humour. 

Lorsqu’il s’engage dans un parcours CAP en alternance, il est déclaré travailleur handicapé et bénéficie de l’accompagnement du groupement d’intérêt public l’Alfeph (Alternance formation emploi des personnes handicapées).

Du soutien scolaire adapté

À l'Alfeph, Quentin fait la connaissance d’Emmanuelle Ronco, chargée de suivi, qui fera le lien entre l’organisme de formation, la famille et l’entreprise. Le jeune homme a aussi besoin de remédiation, autrement dit de cours de soutien. Farid Sid, formateur, encadre le jeune homme quatre heures par semaine sur le temps de stage en entreprise.

À l’école il y a tout un groupe, le prof ne peut pas se couper en vingt pour répondre aux besoins de chacun

Farid Sid, formateur pour l’Alfeph

Contrairement à la scolarisation classique, dans cette structure, s’il faut consacrer une heure, une séance, même plus sur un même exercice… qu’il en soit ainsi. « À l’école, il y a tout un groupe, le prof ne peut pas se couper en vingt pour répondre aux besoins de chacun », souligne le formateur.
Ce dernier insiste également sur la relation de confiance, et la considération pour ces jeunes qu’il accompagne. « Je ne les considère jamais comme des ados. Il y a toujours ce respect, une relation presque amicale, d’adulte à adulte. »

Emmanuelle Ronco suit le jeune homme depuis six ans et l’a vu se métamorphoser. « Quentin a énormément travaillé. Il a tout de suite compris l’intérêt du soutien », confie-t-elle avec fierté. « C’est un jeune qui est courageux et qui peut encore continuer après son BTS », affirme la chargée de suivi Alfeph.

Du CAP au Bac +2

Les efforts payent. Quentin obtient son CAP, puis un bac pro "conduite et gestion des entreprises agricoles". Gonflé à bloc, le jeune normand poursuit ses études en BTS. Pour la deuxième année consécutive, il est apprenti agriculteur à la ferme de Dominique Roulois. Fauchage, fanage, pressage, labour, semis, chaumage… La liste est longue et Quentin s’attelle à toutes les tâches. C’est parfois plus dur que pour les autres, mais il s’adapte. « Dévisser un écrou va plus vite me donner des crampes dans les mains, alors je m’arme souvent d’un marteau et d’une pince multiple », indique le jeune homme.

Son employeur, Dominique Roulois, a su rester patient et voit en lui « un apprenti comme les autres ». Il évite tout de même de l’accabler de tâches administratives. « L’écriture, c'est pas trop son domaine, il est parfois difficile à relire », précise-t-il, « pour le reste, il travaille comme ses copains ».

À force de patience, de travail et de confiance, Quentin avance et se voit même chef d’entreprise, dans quelques années. Son patron est un peu réservé quant à la réalisation de ce rêve. « Ça devient de plus en plus compliqué. Moi, je suis devenu agriculteur après mon papa, lui n’a pas la chance d’avoir un père agriculteur », explique-t-il. « Il faut déjà trouver la place. Un tracteur ça coute un minimum de 100 000 euros, une moissonneuse batteuse ça coute 300 000 euros » regrette l’agriculteur.

Des aides pour l’employeur quel que soit le secteur

Tout employeur qui recrute une personne en situation de handicap peut s’adresser à l’Alfeph pour percevoir une prime à l’embauche dès six mois de contrat d’apprentissage. Le montant maximal de l’aide est fixé à 4000€.

C'est le cas de Maisons du Monde, qui en 2021, a signé un accord handicap. L'entreprise de mobilier et de décoration dispose ainsi d’un budget dédié au handicap pour faire des aménagements de poste, des sensibilisations auprès des équipes ou encore former des managers. L’enseigne ambitionne d’augmenter son taux d’emploi de personnes en situation de handicap pour atteindre un taux d’emploi global de 3% d'ici à la fin 2023.

« C’est pas parce que je suis malentendante que je suis muette, il ne faut pas être bloqué avec cette idée »

Cécilia Becker, apprentie en Master Management d’affaires

Cécilia Becker, 28 ans, est atteinte de surdité à 80%. Elle a choisi l’enseigne d’ameublement et de décoration pour son Master Management d’affaires national et international, qu'elle poursuit en alternance. La jeune femme a enchaîné les diplômes : Bac Pro et BTS Métiers de la mode, CAP esthétique, Bachelor responsable commerciale.

Aujourd’hui, elle souhaite prouver que son handicap auditif n’est pas un frein à la communication. « J'ai choisi le domaine du commerce pour approfondir la communication avec les clients. C’est pas parce que je suis malentendante que je suis muette, il ne faut pas être bloqué avec cette idée », clame-t-elle. À terme, Cécilia souhaite ouvrir une boutique d’esthétique en centre-ville de Rouen, « là où il y a du monde, là où ça bouge ».

Équipée d’appareils auditifs, Cécilia entend, mais doit s’appuyer sur la lecture labiale pour comprendre son interlocuteur, ce que ses collègues ont parfaitement assimilé. « Il faut bien lui parler en face pour qu’elle puisse lire sur les lèvres », précise Stéphanie Lanier, adjointe du magasin de Tourville-la-Rivière.

Quelques adaptations ont été nécessaires pour ne pas mettre la jeune alternante en difficulté, comme un travail en caisse restreint, et une assistance en cas de besoin téléphonique. « Quand ils ont besoin de moi à la caisse, ils tapent sur le micro au lieu de parler pour m’appeler », spécifie-t-elle.

La différence fait la force

Tous les mois, Cécilia anime un atelier de langue des signes pour ses collègues pendant 30 minutes. Dire bonjour, signer son prénom ou connaître les jours de la semaine, certains collègues se sont pris au jeu et voient en Cécilia un atout pour l’équipe. « Ça met une certaine bienveillance dans les équipes. Le fait de parler de son handicap, ça casse les stéréotypes, ça brise les tabous clairement », résume Marine Boullier, responsable Diversité et inclusion à Maisons du Monde.

« Au quotidien, elle a beau être en situation de handicap, elle nous montre qu’il n’y a pas de barrière. Si pour elle tout est normal, pour nous tout est normal aussi », conclut Peggy Dehaye, tutrice de Cécilia et directrice du magasin.

Aujourd’hui, Cécilia et Quentin font la fierté de ceux qui les accompagnent dans leur vie professionnelle. Sans le soutien de cet environnement attentif à leur différence, leurs parcours auraient sans doute été plus sinueux.

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