Des places de stationnements qui augmentent dans le centre-ville de Caen à partir du 1er janvier 2024, des restrictions de circulation dans la métropole rouennaise pour les voitures Crit'Air 4 et 5. Les grandes villes normandes veulent-elles chasser les véhicules de leur hyper centre?
À partir du 1er janvier 2024, il faudra payer plus cher pour se garer dans le centre-ville de Caen. En effet, l'heure de stationnement augmente de 30 centimes et passe donc de 1,50 euros à 1,80 euros. "C'est inadmissible, 1,50 euros de l'heure, c'est déjà beaucoup", réagit Dominique qui vient de se garer Place de la République.
Ludivine, elle est catégorique : "C'est déjà une galère de se garer dans le centre-ville de Caen alors si en plus on paye le prix fort, on va où ? J'habite à 30 kilomètres d'ici, j'ai besoin de ma voiture".
S'aligner sur Rouen et Le Havre
"Ça peut choquer nos concitoyens mais en réalité en huit ans, le tarif n'a jamais augmenté à Caen, tient à préciser Patrick Jeannenez, conseiller municipal délégué au stationnement et à la circulation. De plus Cela ne concernera que la zone rouge, c'est-à-dire le centre ancien de la Ville."
La Ville souhaite donc s'aligner sur les villes voisines de taille équivalente. Au Havre comme à Rouen, le tarif est fixé à 1,80 euros par heure pour les habitants.
Cette mesure permet aussi de répondre aux besoins de fonctionnement de la Ville, estimés à 140 millions d'euros pour l'année 2024. Actuellement, le stationnement payant à Caen permet de réaliser quatre millions d'euros de recettes par an. Il faut noter que les parkings gratuits de la place Guillouard et de la place Monseigneur des hameaux vont devenir payants.
"Pour les communes, le stationnement c’est la mine d’or. Avec les modes de contrôles mis en place et grâce aux forfaits post-stationnements instaurés, ça permet de ramasser de l’argent assez facilement", lance Nathalie Troussard, secrétaire générale à la Ligue de défense des conducteurs. Elle ajoute :
On sait qu’aujourd’hui les communes ont besoin d’argent avec le contexte d’inflation et c’est l'automobiliste qui va être amené à payer la note de plus en plus salée mise en place par les communes.
Nathalie TroussardSecrétaire générale à la Ligue de défense des conducteurs
Désengorger les centres-villes
De son côté, Patrick Jeannenez, se défend : "On souhaite éradiquer les voitures ventouses". La première heure de stationnement restera gratuite le samedi.
La ville du Havre (Seine-Maritime) s'attèle, elle aussi, depuis un moment à lutter contre les voitures ventouses en zone résidentielle et assurer ainsi une bonne rotation des véhicules dans les zones commerciales.
Elle a notamment mis en place plus de contrôles automatisés depuis octobre 2023 avec un nouveau système qui permet à une voiture de circuler dans les rues en verbalisant par lecture automatique des plaques d’immatriculation (Lapi) pour les stationnements non payés.
"Il faut contrôler et ce contrôle nécessite des moyens adaptés, compte tenu de la taille de notre ville, car nous avons 14 000 places de stationnement réglementé. La lecture automatique des plaques doit donc faciliter le travail des agents mais en aucun cas les remplacer. Il y aura toujours un contrôle humain au final", précise Augustin Bœuf, adjoint au maire chargé du stationnement et conseiller communautaire délégué aux modes doux.
Un échange humain toujours présent ? Faux, pour Nathalie Troussard : "Nous traitons des dossiers où des citoyens ont été verbalisés par de la vidéoverbalisation. Dans certains cas, il s'agissait d'un véhicule appartenant à une personne en situation de handicap qui avait sa carte mais impossible pour ce système de le savoir avec une simple immatriculation. S'il y avait un agent physique qui verbalisait, il aurait vu la carte".
Une automatisation où l'échange n'existe quasi plus avec l'agent de police : "C'est plus facile et rentable d'automatiser que de mettre un agent derrière chaque verbalisation".
La ZFE dans la métropole rouennaise
À Rouen, ce sont les véhicules anciens qui ne peuvent plus stationner, ni même traverser la métropole. En effet, avec la "Zone à faibles émissions" mise en place en septembre 2022, les restrictions de circulation et de stationnement sont étendues aux véhicules particuliers Crit’Air 4, 5 et non classés.
L'objectif est de réduire la pollution atmosphérique, une obligation gouvernementale : "500 personnes décèdent dans la métropole rouennaise à cause de la pollution", explique Cyrille Moreau, conseiller municipal à Rouen et vice-président à la mobilité à la Métropole de Rouen.
"En 2019, notre indice de pollution s'élevait à 56 alors que le seuil autorisé est de 41 selon Atmo Normandie. On a réussi à faire descendre ce chiffre à 34, en 2022". En 2025, la ZFE pourrait aussi s’étendre aux vignettes Crit’Air 3.
"L'interdiction des Crit'Air 3 ne s'appliquera pas au 1er janvier 2025 si les seuils réglementaires de pollution de l'air ne sont pas dépassés pendant plus de trois des cinq dernières années. Les seuils ayant été franchis en 2019 et en 2021, il faudra espérer qu'ils ne le soient pas à nouveau en 2023." À défaut, la restriction s'appliquera obligatoirement en 2025.
Que ce soit pour le stationnement ou la ZFE, certains automobilistes sont un peu les oubliés de ces politiques : "Les ZFE sont d’intérêt de santé publique mais c’est une politique rigide et incompréhensible. Régulièrement des gens nous appellent et nous demandent c’est quoi une ZFE", nous confie Nathalie Troussard.
Cyrille Moreau, conseiller municipal à Rouen et vice-président à la mobilité à la Métropole de Rouen est aussi président du groupe EELV à la métropole. À ce titre, il lance : "Est-ce que le dispositif de la ZFE est un bon dispositif de l'État ? Non ! Ils font de la politique politicienne. Il faut un vrai plan de communication qui parle aux gens. La population est perdue donc forcément la plupart fait un rejet de la ZFE".
Un véhicule plus propre ?
Et surtout, la population qui vit loin des centres-villes mais qui doivent s'y rendre pour travailler ou faire des courses se sent complètement délaissés : "C'est une population qui a une situation financière moins confortable. Ces personnes ne peuvent pas se permettre d’acheter des voitures plus récentes ou électriques ou encore payer des heures et des heures de stationnements alors de fait ils sont bannis de ces zones", prévient Nathalie Troussard.
Des aides pour financer un véhicule plus propre existent. L'agglomération rouennaise propose un financement qui peut aller jusqu'à 5 000 euros et l'État peut encore ajouter 3 000 euros en fonction des situations. Mais faut-il miser sur une voiture électrique ? "Non pas forcément. Il s'agit de réduire la pollution, donc une voiture essence Crit'Air 1, c'est très bien aussi", souligne Cyrille Moreau.
Pour l'élu, la solution serait d'adapter son mode de déplacement en fonction des offres proposées, et de ne choisir la voiture que lorsqu’aucun autre moyen de transport n'est possible :
Aujourd'hui, dans la métropole rouennaise, on a un million de personne qui se déplace en voiture. Un quart de ces personnes utilisent leur véhicule pour des distances de moins de deux kilomètres. C'est là-dessus précisément que l'on doit agir !
Cyrille MoreauConseiller municipal à Rouen et vice-président à la mobilité à la Métropole de Rouen
Les centres-villes de demain : la mixité des modes de transport
Pour éviter la pollution et une saturation de la circulation dans les centres-villes, les communes mettent en place des grands parkings à l'entrée des villes pour y laisser sa voiture et emprunter les transports en commun, ou son vélo, rangé dans le coffre.
C'est le cas à Caen : "Il faut que les gens comprennent que s'ils veulent profiter du centre-ville de Caen, c’est mieux de se garer dans un parking relais et prendre les navettes gratuites que nous avons mises en place ou encore le tramway", prévient Patrick Jeannenez, conseiller municipal délégué au stationnement et à la circulation.
À Caen, ces grands parkings sont encore trop peu nombreux, et ne sont pas situés à toutes les entrées de la ville. Une prochaine étape qui devrait arriver avec une offre de lignes de tramway plus importante. De toute façon, il faudra trouver des solutions pour réduire encore le trafic routier dans la ville : "Il ne s’agit pas de supprimer les voitures dans le centre-ville de Caen mais on voit aux heures de pointe que la circulation est difficile, il faut désengorger !", ajoute ce dernier.
Du côté du Havre, selon la Ville, le réseau LiA a fait des progrès considérables ces dernières années en termes de desserte, de fréquence, d’amplitude horaire et de confort. Une troisième ligne de tramway va arriver : "Notre flotte de bus est en cours de renouvellement. Les trottinettes électriques en libre-service connaissent un grand succès. Nous proposons 2 500 vélos à la location longue durée et ils sont tous loués ! Pour accompagner cet élan, nous renforçons le réseau de pistes cyclables avec un Plan vélo très ambitieux déployé sur toute la communauté urbaine d’ici 2030".
Même constat du côté de Caen et de Rouen où les pistes cyclables sont de plus en plus fréquentes.
Et les zones rurales dans tout ça ?
Des transports plus verts que la population éloignée ne peut pas toujours utiliser. Laurent vit dans un village à quelques kilomètres Lisieux (Calvados), il a 80 ans et ne peut se rendre à Caen sans sa voiture : "Je ne peux pas prendre un bus, ce serait trop long. Il y a le train d'accord mais entre le billet de train et le billet du tramway sur place, c'est plus simple que je paie mon stationnement".
Dans les zones rurales, les transports en commun mal desservis sont une véritable problématique :
Dans les grandes villes comme Rouen, Caen ou Le Havre, il y a des transports en commun, certes, mais en réalité ils ne sont pas si développés que ça surtout pour se rendre dans les zones rurales. C'est compliqué pour les personnes qui vivent dans ces endroits.
Nathalie TroussardSecrétaire générale à la Ligue de défense des conducteurs
"Il faudrait mettre en place des bus express qui vont d'une commune en zone rurale jusqu'à un centre-ville de la métropole rouennaise sans marquer des arrêts. Un trajet direct qui serait une solution et ça encouragerait la population à laisser leur voiture pour ce mode de transport", selon Cyrille Moreau.
Le budget mobilité pour la Métropole de Rouen est de 140 millions d'euros. Mais pour l'élu, c'est loin d'être assez. "On a besoin de plus d'argent".
Il souhaite notamment le déplafonnement du versement mobilité. C'est une sorte de "taxe transport" prélevée sur les entreprises pour financer l’offre de bus, de métro, de trams et de RER. Cette ponction représente au maximum 2 % de la masse salariale des entreprises de 11 salariés et plus.
L'élu fustige la différence de traitement entre Paris et le reste de la France : "Ce taux est de 3% en Ile de France et dans les Hauts de Seine. Nous voulons la même chose. Nos citoyens ont besoin qu'on développe nos transports également".
Que ce soit à Rouen, au Havre ou à Caen, la volonté est d'améliorer la qualité de vie de la population tout en répondant aux besoins de déplacements de tous... Quitte à réduire un peu la place de la voiture, qui reste prépondérante, pour partager l’espace public avec d’autres modes de déplacement.