Pourquoi la voiture électrique peine à s'imposer

Alors que le "bonus écologique" va être porté de 6.000 à 7.000 euros pour la moitié des ménages français achetant une voiture électrique, cette incitation sera-t-elle suffisante pour convaincre les automobilistes ? Les freins à l'achat semblent encore trop nombreux.

Laurine fait la queue depuis 30 minutes dans une station Total de Caen pour faire un plein de gazole. Elle en a "ras-le-bol d'attendre, de se lever plus tôt ou rentrer plus tard". Mais lorsqu'on lui demande si elle est tentée de passer au véhicule électrique, la réponse est sans appel: "non c'est trop cher et il n'y a pas beaucoup de bornes de rechargement !".

Pourtant le marché du véhicule particulier est en pleine transformation. Le Parlement européen a voté le 8 juin 2022, la fin des ventes de voitures neuves thermiques en 2035, une étape majeure pour atteindre la neutralité carbone en 2050. 

En Normandie, dans cet objectif de limitation des sources de pollution de l'air, les véhicules les plus polluants sont interdits de circulation à Rouen et dans 12 autres communes de l’agglomération depuis le jeudi 1er septembre 2022. Les véhicules disposant de vignettes Crit’Air supérieures à 3 ne sont plus autorisés à circuler. L'agglomération du Havre et la communauté urbaine de Caen la mer travaillent sur la mise en place de ce dispositif en 2025.

Olivier est commis de cuisine à Canteleu (76). Depuis des années, il a pris l’habitude, de s’y rendre en voiture depuis son domicile à Amfreville-la-Mi-Voie (76). Un quotidien sur lequel l'homme de 51 ans va devoir tirer un trait car depuis le 1er septembre, il ne peut plus utiliser son véhicule. Vieille de 1999 et classée Crit’Air 5, sa voiture est normalement interdite dans Rouen et les 12 communes qui l’entourent, même si une tolérance est prévue jusqu'en mars 2023. En attendant, il a testé son trajet en transport en commun : "je mets 1h de bus contre 20 minutes de voiture et le matin il n'y a pas beaucoup de bus et j'en ai deux à prendre pour arriver à destination" lance ce dernier.

Et pas question pour lui d’enfreindre la loi après la période de tolérance, car en cas d'absence de vignette Crit'Air ou de macaron supérieur à 3, il risque une amende de 68 euros. Sa voiture va terminer à la casse : "elle est vieille et invendable". Avec un revenu modeste, il n’envisage pas de racheter une nouvelle voiture mais peut-être de déménager à Canteleu, ville non concernée par la mesure.

La Région compte de nombreuses zones rurales et bien qu’imparfaite, une certaine corrélation se dessine : plus le niveau de vie des habitants d’une commune est faible, plus la proportion de véhicules bannis de la ZFE est élevée. En effet, les ménages aux revenus modestes n’ont souvent pas les moyens de remplacer leur véhicule ancien par un autre plus récent, qui respecte les critères de la ZFE et encore moins par un moteur électrique. Il faut compter entre 18 000 et 65 000 euros pour un véhicule électrique neuf.

Les voitures les plus polluantes disparaissent progressivement

Aujourd'hui, ce sont les voitures qui ont une vignette Crit'air 2 qui circulent le plus sur les routes normandes, elles sont suivies par celles qui ont un macaron Crit'air 3. 

En 2011, les voitures Crit'air 3, 4 et celles non classées étaient majoritaires sur le territoire. C'est à partir de 2013 et, plus significativement, de 2014 que les voitures les plus polluantes disparaissent progressivement. La tendance s'inverse en 2018, les Crit'air 2 passent largement devant.


Dans la Région, les voitures de type crit'air 1 sont en augmentation. Cette mesure de ZFE pousse les automobilistes qui ne seront pas dans les normes à changer de véhicule rapidement. Résultat : c'est la ruée dans les concessionnaires du centre-ville de Rouen. Chez Toyota par exemple, un client souhaite remplacer sa vieille voiture et rapidement. C’est le cas d’un client sur 2 depuis le début de l’été. Mais ils recherchent surtout des voitures d'occasion.


"Actuellement avec mon véhicule je suis en Crit'air 4, je suis donc interdit de circulation à Rouen et les alentours"
, nous explique le client. Et il n’est pas le seul, notamment à cause du prix et des délais de livraisons des voitures neuves. Les occasions apparaissent comme la seule solution.

"On sent vraiment que les automobilistes dans la zone rouennaise recherchent des véhicules moins polluants mais le neuf reste trop cher pour eux", confirme Baptiste Marie, conseiller commercial chez Toyota.

Les voitures essence et gazole encore très largement majoritaires

En effet, les voitures essence et gazole restent encore très largement majoritaires. En 2021, les moteurs diesel représentent 1 225 306 véhicules en circulation en Normandie. Le chiffre est de 775 783 pour les essence.

Les véhicules électriques et hybrides intéressent les normands à partir de 2017 avec plus de 4500 voitures au total en circulation. En 2021, on en compte plus de 18 000. Des types de motorisation qui restent encore loin derrière les moteurs diesel et essence.

La voiture électrique : la problématique du coût et de la méconnaissance

Aujourd’hui, le parc automobile français entame une phase d’électrification massive. C'est d'ailleurs l'un des sujets majeurs du Mondial de l'Automobile de Paris qui se tient du lundi 17 au dimanche 23 octobre 2022 au Parc Expo-Porte de Versailles.

Etienne Balmier est administrateur concession Autopartage et spécialiste des véhicules électriques chez Renault Retail Group Caen. Il constate que la Zoé électrique est sur le marché depuis 10 ans mais qu'elle peine à s'envoler sur le marché : "on fait environ 25 essais par semaine sur ce véhicule en ce moment mais ce n'est pas assez". La question du prix se pose : "on entend souvent les clients dire que c'est trop cher". Mais le professionnel pointe du doigt la méconnaissance de cette motorisation : "les clients viennent souvent par bouche à oreille, ils connaissent quelqu'un qui roule à l'électrique. C'est très confortable, ça ne fait pas de bruit et au quotidien on peut l'utiliser pour faire les allers-retours domicile-travail sans aucun souci". 

La question des bornes de recharges revient aussi sans cesse :

vous savez 95% des utilisateurs de véhicules électriques font leur recharge à domicile. Il suffit de se brancher sur une prise de 230 volts, pas besoin d'adaptateur

Etienne Balmier, Administrateur concession autopartage et spécialiste des véhicules électriques chez Renault Retail Group Caen

Les particuliers peuvent aussi installer une borne chez eux. Il faut compter environ 15 heures pour une recharge. Niveau prix, il explique que : "recharger pour rouler 300 km, cela coûte 10€ à domicile mais 40€ avec une borne de recharge rapide et pour le thermique, c’est 30€".

Et quand on lui parle de la flambée des prix de l'électricité, Etienne Balmier répond que : "la recharge à domicile demeure protégée par le bouclier tarifaire". En effet, le gouvernement a limité l’augmentation des prix de l’électricité à 4 % en 2022 et à 15 % en février 2023. Concernant les bornes publiques : "on estime une hausse d’environ 50 %, mais il existe beaucoup de cas de figure différents" selon Clément Molizon, délégué général de l’Avere (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique).


Le casse-tête des bornes de recharges

La borne électrique la plus rapide de France a vue le jour le 22 septembre dernier à Douains, près de Vernon (Eure), le long de l'autoroute A13. Selon son exploitant, Kallista Energy, elle peut effectuer une recharge complète d'une voiture en 20 minutes. À condition d'avoir, bien sûr, le véhicule adapté aux charges rapides.

 

Avec des véhicules qui ont en moyenne 450 kilomètres d'autonomie, les points de charge accessibles peuvent devenir un vrai casse-tête pour un conducteur de véhicule électrique. En Normandie, on compte, en moyenne, 97 points de recharges ouvert au public pour 100 000 habitants. Le temps de recharge d’une voiture électrique dépend de plusieurs facteurs : le modèle du véhicule, la capacité de sa batterie, la puissance de la borne de recharge utilisée et enfin l’état de charge de la batterie. Le temps de charge peut ainsi varier de 30 minutes à plusieurs heures.

Le développement actuel des infrastructures de recharge doit être poursuivi et renforcé car le souci de la recharge constitue encore un frein à l’adoption du véhicule électrique. Les collectivités ont ainsi un rôle à jouer pour planifier le déploiement d’infrastructures de recharge avec la bonne puissance au bon endroit. Pour les déplacements du quotidien, il est nécessaire de favoriser le déploiement de la recharge à domicile (dans les logements collectifs en particulier) et en entreprise, ainsi que le déploiement d’un réseau plus étendu de bornes de recharge simples et robustes de puissance « normale » notamment pour la recharge en ville et de nuit.

Véhicule électrique : plus propre ?

Pour Etienne Balmier c'est bel et bien un véhicule plus propre qui consomme moins : "on est à 12 KWh au 100 km alors qu'une voiture thermique est à 60 KWh au 100 km, l'empreinte carbone est beaucoup plus respectée".

Mais que faire de la batterie lorsqu'on la change ? "Il faut savoir qu'une batterie permet 1000/1500 recharges. Ça représente 300 000 kilomètres". Et une fois totalement usée : "on peut l'a recycler pour, par exemple, stocker l'électricité chez soi, c'est pratique pour ceux qui ont des panneaux solaires". 

De son côté, l'Ademe, agence de la transition écologique, explique que par rapport à une berline compacte diesel, la dette carbone est remboursée au bout d’environ 15 000 km pour un petit véhicule de type citadine électrique alors qu’elle n’est remboursée qu’après 100 000 km pour un SUV électrique haut de gamme.

En effet, l’impact carbone d’un véhicule électrique augmente quasiment proportionnellement à son poids, lui-même fortement impacté par la capacité de stockage de sa batterie. Il convient donc de choisir une batterie juste adaptée à l’usage majoritaire du véhicule (par exemple, le domicile-travail quotidien), en sélectionnant un modèle de véhicule le plus petit et léger possible, qui saura offrir l’autonomie la plus élevée à partir de cette capacité de batterie.

Des aides pour aider les ménages à changer de voiture

En France, plusieurs aides sont disponibles pour l’achat d’un véhicule électrique, mais elles sont soumises à certaines conditions.

Afin de leur permettre de changer de véhicule pour un modèle moins polluant, la Métropole Rouen Normandie, le département et l’Etat proposent des aides et des primes à la conversion. Leur montant peut atteindre 5 000 euros pour l'aide métropolitaine et 4 000 euros pour la partie départementale selon ses revenus

Mais ces aides sont "irréfléchies" pour l’Automobile club association. "La métropole verse 5.000 euros et l’Etat 4.000 euros sauf que la voiture électrique la moins chère, c’est la Dacia, elle est à 19.000 euros". 

L'Etat propose par ailleurs une aide, sous forme de crédit d’impôt à hauteur de 30 %, pour l’équipement d’une borne de recharge à domicile.

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